Ce fut la guerre de trop
  • mer, 26/12/2012 - 18:34

Les parrains du monde, la Grande Bretagne et les états-Unis, ont parlé. Sauf surprise improbable, le Congo est sauvé. à nous de faire montre de cohésion et de gouvernance afin que plus jamais le pays ne retombe dans des images d’un autre âge.

l LE SOFT INTERNATIONAL | ÉDITION NATIONALE | N° 1207 | LE 23 DECEMBRE 2012


LETTRE À L’HISTOIRE.

par Tryphon Kin-kiey Mulumba, professeur.
Texte revu et corrigé.

Personne nulle part au monde ne veut plus de croisade armée. Le monde réclame la paix infiniment, les échanges commerciaux, la croissance, le développement.

Les guerres barbares qui bloquent le développement humain appartiennent à un autre âge. Si un génocide anti Tutsi a été commis en 1994 et un million de Tutsis et de Hutus fauchés, le monde veut pouvoir tourner la page, aller de l’avant et supporte mal l’évocation d’un crime qui n’a pas livré tous ses secrets.

LE M-23 ET SES COMMANDITAIRES DEBALLÉS.
Si la guerre rwandaise a été de type identitaire et si celle de l’Afdl pouvait s’expliquer outre la décadence d’un régime Mobutu honni, la guerre du RCD suivie de celle du MLC d’un même tronc, était déjà une guerre de trop à ne pas livrer. Elle le fut...

Reprouvée par l’extérieur, les Congolais la jugèrent répugnante. On comprend pourquoi le RCD et ses chefs, comme le MLC et ses chefs, ont disparu des écrans radar politiques.
Le premier certainement plus que le second. Celui-ci survit grâce à la résurgence en équateur d’un mobutisme encore vivace qui rêve d’un grand soir de retour aux affaires...
On ne saurait expliquer autrement le sort qui frappe son icône Jean-Pierre Bemba rattrapé par des outrances d’une colonne armée centrafricaine que l’étranger a voulu frapper afin que cela serve d’exemple.

On connaît la suite... La CPI, la Cour pénale de La Haye, aurait pu avoir vu le jour pour accueillir les mauvais garçons du Congo.

Le même sort a frappé d’autres chefs de guerre qui ont essaimé dans ce Kivu frontalier du Rwanda: Jules Mutebutshi, le général Laurent Nkunda (Batware) Mihigo, le général Bosco Ntaganda et aujourd’hui ceux qui se réclament du Mouvement du 23-Mars, le colonel Sultani Makenga, Sylvestre Mudacumura, le Bishop Jean-Marie Runiga Lugerero.

Joseph Kabila Kabange, le président de la République, a été percutant le 15 décembre à Kinshasa lors de son discours sur l’état de la Nation devant les deux Chambres parlementaires réunies et les plus hauts dignitaires de l’état.

Il a qualifié cette guerre du M-23 de «guerre d’agression de la part du Rwanda» et, mieux, sur laquelle «tout a été dit».

Puis: «Des preuves suffisamment documentées sont fournies aussi bien par nos services spécialisés que par différents rapports des Nations Unies».

Tout comme, a-t-il poursuivi, sur cette même veine mordante, sur «la nature du M-23, de ses dirigeants, de ses motivations et de ses projets, la vérité est connue de tous: au pays, dans la Région, comme partout ailleurs dans le monde». C’est tellement vrai!

Définitivement, le Rwanda paraît avoir été mal inspiré en se lançant dans une énième aventure armée.

A force d’invoquer les mêmes menaces identitaires, le pays a fini par vider son crédit et lasser même ceux qui par opinion ou par sentiment lui étaient favorables.

C’est encore Kabila qui martèle dans ce discours du 15 décembre appelé à passer à la postérité comme un moment politique majeur et dont chaque mot se trouve si bien à sa place:

«Une guerre dont les véritables concepteurs et commanditaires sont aussi insaisissables que le sont leurs motivations profondes, sujets tabous, parce qu’inavouables» (...).
Un conflit au départ «mutinerie (qui) s’est ensuite muée en une rébellion, aux motivations fluctuantes et élastiques, variant en fonction des alliances et des circonstances».

S’il s’agit d’un accord - celui du 23 mars qui serait contesté par le M-23, il a été signé par une trentaine de groupes armés.

Or, explique le Chef de l’état, cet accord ne serait aujourd’hui contesté que par le seul M-23, et, en réalité, par quelques-uns de ses seigneurs de guerre (Le Soft International n°1206, daté lundi 17 déc. 2012, 1ère éd.). Jamais le M-23 et ses commanditaires n’avaient à ce jour été aussi déballés sur la place publique par l’Autorité suprême du pays! De là l’exaspération des Congolais de tous bords même des opposants qui d’ordinaire sont prompts à rallier tout mouvement ou tout discours susceptible de porter un coup quelconque au camp du pouvoir...

LE GENDARME DU MONDE ENTRE EN COLÈRE.
On comprend l’agacement de l’extérieur qui, chaque jour qui passe, diabolise une guerre qui paraît être LA guerre de trop que le Rwanda n’aurait jamais dû livrer.
Le tocsin fut sonné par des touts petits pays d’Europe, Pays-Bas, Suède, Danemark. Puis ce fut au tour des poids lourds: l’Allemagne et surtout la Grande Bretagne qui annoncèrent la suspension d’une aide budgétaire précieuse consentie à Kigali depuis la commission du génocide et qui aide le pays à boucler des fins de mois périlleux.

La Belgique rejoindra le groupe plus tard...

Puis, pour boucler la boucle, l’Amérique, l’hyper puissance, le gendarme du monde, entrait en scène avec force...

L’Amérique qui avait déjà tôt fait l’annonce de sa décision de suspendre une part quoique infime de l’aide militaire au Rwanda.

Les états-Unis dont le président Obama paraît à ce point outré par des dénonciations répétées des parlementaires américains et par l’échec essuyé au Sénat dans la nomination de Susan Rice rattrapée par des prises de position pro-rwandaises lors des années où elle fut secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines de Bill Clinton tout comme aux Nations unies où, ambassadrice, elle s’employa à ferrailler pour éviter une résolution condamnant le Rwanda dans le soutien au M-23 (on sait que Kigali fut un client d’Intellibridge quand Susan Rice y travaillait), mais voici que le 18 décembre le président prend son téléphone pour admonester Paul Kagame.

C’est un tournant dans la politique américaine: Kigali est explicitement désigné dans les guerres des Kivu.

Afin que nulle part, nul n’en ignore rien, la Maison Blanche rend public le contenu d’un message sans ambigüité.

«Tout soutien au groupe rebelle M-23 est contradictoire au désir rwandais de stabilité et de paix». «Tout soutien à des groupes armés en RDC doit cesser de façon définitive».

«Vous devez respecter les engagements pris avec les présidents Joseph Kabila, Yoweri Museveni et convenir d’un accord politique transparent et crédible permettant entre autres de mettre un terme à l’impunité des commandants du M-23 et d’autres criminels poursuivis pour de graves violations des droits humains».

«Je crois que cette crise devrait faire émerger un accord politique traitant de la sécurité régionale sous-jacente, des questions économiques et de gouvernance, tout en garantissant la souveraineté et l’intégrité territoriale».

LA VICTOIRE EST CELLE DES PUISSANTS.
Décryptons ce message: «Oui, les états-Unis savent que vous êtes le fauteur des troubles dans le pays voisin et dans la région. Oui, les états-Unis restent activement saisis de cette question et de la suite que vous réserverez à ce message qui doit être le dernier...».

En clair, une cinglante mise en garde...

Si cet appel téléphonique a connu un tel retentissement, c’est qu’il s’agit d’une démarche initiée avec la sous-région et l’Union Africaine; elle résulte d’une concertation avec les autres puissances...

Après Londres, le gendarme du monde a parlé. Inutile de faire une photo: à Kigali, on en a compris la quintessence.

Sauf surprise improbable, le Congo est sauvé... à Bruxelles, le gouvernement se frotte les mains.

Et les événements de se précipiter à Kampala où une délégation gouvernementale peinait à démarrer ses pourparlers avec des rebelles du M-23. Pour la première fois depuis deux semaines, le M-23 concède «des avancées»...

Sans négliger une part de mobilisation interne qui fait la Nation Congo fière et solidaire, Kinshasa découvre qu’il n’y a de victoire véritable que celle décidée par les puissants du monde...

Qui aurait pu s’imaginer que le colonel Kadhafi ait pu être mis en déroute à Tripoli par un groupement de rebelles hétéroclites et désespérés?

Qui aurait pu croire que le Pharaon d’égypte pouvait s’écrouler aussi facilement sans un désengagement des généraux inspiré par des chancelleries?

Qui peut penser que le régime de Damas soit désormais à compter ses jours sans une décision prise hors du territoire national?

Quand un matin du 16 janvier 2001, un coup de feu a lieu au Palais de marbre, fauchant le Chef de l’état, forces du RCD et troupes rwandaises de l’APR bivouaquent à Pweto à deux jours de marche de la deuxième ville du pays, Lubumbashi mais le Lieutenant-Général Faustin Kayumba Nyamwasa reçoit l’ordre de se rendre par hélicoptère à Pepa, dans le Nord Katanga. Le chef d’état-major général de l’Armée rwandaise donne l’ordre aux troupes de revenir à leurs positions de départ et de ne pas en bouger!
La guerre est finie. Vive la paix! Place aux négociations politiques.

Dans nos sociétés contemporaines, aucun conflit ne prolifère nulle part au monde devenu le petit village planétaire de Mac Luhan, qui ne trouve la main des puissants.
Ces puissants qui sont des groupes de pression qui gouvernent le monde: les milieux d’affaires, les cartels économiques et leur industrie de communication qui en est le relais, qui cristallise l’opinion publique mondiale et pèse sur les gouvernements du monde qui en sont des porte-parole.

DISPOSER D’INTÉRÊTS VITAUX.
Quand un Chef d’état prend la parole pour fustiger un autre et invoquer l’absence de démocratie ou de droits de l’homme, c’est parce que les deux pays n’ont pas d’intérêts vitaux communs.

D’où l’urgence pour le Congo d’organiser un déploiement stratégique vers ces trois pôles: les milieux financiers, les grands groupes de médias, les grandes chancelleries du monde, Paris, Berlin, Londres, Washington sans oublier notre bonne vieille ancêtre, la Belgique, cette lucarne par laquelle le monde nous observe...

Car nos relations avec ces trois pôles qui comptent sont si exécrables. Le pays est en constante chamaillerie avec les majors financiers comme avec les grands groupes de medias ou avec les capitales du monde où se prennent les décisions qui comptent dans la gouvernance du monde.

A proprement parler, il n’y a au Congo aucune firme venant ni d’Allemagne, ni de Grande Bretagne, ni de France, ni des états-Unis et la Belgique, historiquement si proche, n’est pas logée à meilleure enseigne! Nous on cherche à refaire le monde! Les télégrammes des ambassades squelettiques se réduisent à des rapports sur l’humanitaire et les guerres à répétition des Kivu.

L’Angola et le Congo Brazzaville voisins savourent la paix, une paix garantie par des puissants intérêts pétroliers, américains et français. La Chine peut s’y installer en force, cela n’est pas un casus belli! C’est tout différent de la RdCongo! Ceci expliquant cela, les déboires des cartels financiers sont exploités par des médias de connivence qui leur donnent une résonnance disproportionnée. Au lieu de passer à l’offensive en plaidant lui-même sa cause sur tous les théâtres où se prennent les décisions qui comptent, le pays continue de s’avachir.

Quand l’avenir du régime rwandais est en cause, ce sont 100 Rwandais qui débarquent à New York et investissent le Conseil de sécurité, les groupes de pression et les médias transcontinentaux.

Comme rarement, Kigali a affiné la théorie des guerres modernes: elles sont des guerres psychologiques.

Contrairement au Congo où il n’y a pas un journal, pas une radio, pas une télé qui ne donne à la mode: frapper, frapper, toujours frapper; humilier, humilier, toujours humilier des dirigeants qui seraient des Lucifer quand la réalité est autre, un pays qui serait l’Enfer quand la réalité sans ressembler à celle du Paradis est loin d’être l’Enfer.
Le pays a un Franc lourd, une croissance soutenue proche de 8%, des prix qui ne bougent pas même en période des fêtes, une inflation proche de zéro quand dans sous Mobutu le pays a connu une inflation de 10.000%, un commerce extérieur sain que garantit un beau matelas de devises. Jamais cela n’avait été observé. Signe de gouvernance exercée par Kabila...

De tout cela, personne ne sait rien à l’étranger! Et quand vous l’évoquez, les gens renversent les tables!


DES NULS LES SURDOUÉS DU CONGO?

Des nuls les surdoués du Congo? Allons donc! Surdoués, ce terme qui fut utilisé pour la première fois dans ce journal au lendemain de l’annonce d’une équipe gouvernementale resserrée comme jamais dans le pays (29 ministres, le Premier ministre compris). L’article écrivait: «Chacun de ces 29 ministres peut être considéré comme un doué sinon un surdoué dans son domaine» (Le Soft International n°1166 daté 30 avril 2012). A l’arrivée, une situation macro-économique à faire pâlir les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et South Africa), les cinq grandes puissances émergentes, respectivement neuvième, sixième, quatrième, deuxième et vingt-cinquième puissances économiques mondiales qui totalisent un PIB de 11.221 milliards pour 3 milliards d’habitants et, en 2015, vont assurer 61 % de la croissance mondiale et qui renforce l’option du pays de mettre le cap sur l’émergence...

Dans son même discours du 15 décembre, le Président rassurait ses compatriotes: Le pays «va rebondir. Notre programme de reconstruction nationale et de modernisation va se poursuivre». Pour sûr!

Reste qu’au Congo, nous nous contentons un peu trop de nos tabloïds qui n’influent personne, ne touchent personne, n’ont aucune crédibilité. On se régale de ces radios et de ces télés qui amusent plus qu’elles n’informent malgré des talents certains et dont l’écho se brise au contact des eaux du fleuve.

Nous prenons plaisir à nous regarder dans ces miroirs qui nous le rendent bien, et à nous satisfaire de ce que nous sommes et de ce que nous ne sommes pas!

Ce n’est pas qu’il faille négliger l’interne qui est notre dernier rempart. Le problème est que nos pays sont si dépendants de l’extérieur que la moindre petite phrase prononcée par le moindre petit reporter sur la moindre petite radio étrangère prend une telle consonance parce que bue jusqu’à la lie par notre opinion publique qu’elle peut être à la base d’un début d’émeute dans nos états fragiles. Ce qu’il faut reconnaître est que c’est moins nos médias locaux que les médias internationaux qui forment l’opinion publique locale... Il n’y a pas un Kinois qui ne commence sa journée sans tourner le bouton de Rfi et il n’existe pas un seul qui ne s’épuise devant les monotones journaux en continu de France 24 ou ceux de TV5. Hélas! La vérité c’est ailleurs...

Mais les plus puissants étant les Anglo-saxons, un reportage sur CNN ou sur BBC prend des allures de tremblement de terre...

Or, notre Congo est partout sauf sur ces médias qui informent ceux qui gouvernent le monde. Dire que nous restons bras croisés peut être excessif. Le problème est de savoir si ceux qui décident nous écoutent quand il nous arrive de prendre la parole. Ou si nos propos sont repris dans ces espaces de médias qui comptent... C’est dire si nous avons une incidence sur la marche du monde!

En clair, si l’image du pays et du régime est mieux rendue. à l’heure du bilan, la question est d’une pertinence extrême. Il paraît temps de secouer le cocotier...

Nous ignorons que lorsqu’un homme vient à prendre la parole pour s’expliquer, ce qu’il a échoué à communiquer. Communiquer c’est d’ailleurs souvent se taire! Stricto sensu, la communication ne nécessite pas de prise de parole. Au fond, communiquer est une posture qui n’a aucun besoin d’expression verbale.

Dans le processus de communication, la prise de parole n’a de sens que comme complément d’information. Lorsque la prise de parole devient l’information principale, ce qu’elle est sujette à suspicion et est souvent rejetée par l’audience.

Un pays, un régime n’ont de sens que par des actes d’adéquation que jour après jour ils posent et génèrent, ces actes d’adéquation sont autant de faits de séduction qui concourent au consensus et à la cohésion susceptibles de permettre la reproduction et la pérennisation, but ultime recherché par toute action politique.

T. Kin-kiey Mulumba

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