Comment Kabila gagne
  • lun, 23/10/2017 - 13:43

Dans la vie, il y a ceux qui parlent, fascinent, soulèvent des foules et réussissent. Il y a ceux qui ne parlent pas ou parlent peu, observent, doutent de tout ou se méfient, vivent l’adversité ambiante, font parfois/souvent l’ignorant, agissent en douceur, avancent comme la lionne à la jungle, attaquent, réussissent... Mobutu fut comme Castro, Chavez ou Sankara. Il hypnotisait les Zaïrois. Au fond, de ce point de vue, malgré une fin de vie déplorable, il appartient au premier cercle de ces hommes d’exception! Ces hommes qui déclinent tout en public, règlent tout en public, arrachent l’assentiment populaire sur la place publique, donnent des sueurs froides à l’adversaire mais aussi hélas!, des armes... Au fond, la politique s’apparente au théâtre! Ceux-là font salle comble, le succès au rendez-vous. Mais face au cogneur intelligent, déterminé, au combattant à la recherche du résultat plutôt que du spectacle, le succès peut être de courte durée.

La parole n’est-elle pas d’argent, le silence d’or?
«Le silence c’est la réponse des sages» (Euripide); il «renferme toutes les vérités; la parole porte tous les mensonges» (Ferron); «manier le silence est plus difficile que manier la parole» (Clemenceau); «le silence fait plus peur que les cris» (Cocteau); «apprend à faire silence. Que ton esprit en paix écoute et absorbe» (Pythagore); «le silence est l’un des arguments les plus difficiles à réfuter» (Billings); «Dieu est l’ami du silence.
Les arbres, les fleurs et l’herbe poussent en silence. Regarde les étoiles, la lune et le soleil, comment ils meuvent silencieusement» (Mère Teresa); «par le silence, on atteint ses demeures. Mais celui qui prend, celui qui donne perd ses demeures» (Lie-Tzu); «seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse» (Alfred de Vigny); «parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence» (Euripide, 480 avant J-C); «le silence est un ami qui ne trahit jamais» (Confucius, 551 ans avant J-C).

TOURNANT.
Au fond, le silence, quelle vertu! On pourrait en faire un hymne...
A la 72ème Assemblée générale des Nations Unies à New York, Kabila est absent sur la photo de famille! Il a fait exprès...
Ce «silence, la grandeur des puissants» (Charles André Joseph Marie de Gaulle (22 novembre 1890-9 novembre 1970).
Il n’a pas pris part à l’ouverture de l’Assemblée générale, ni au discours du président Trump, pas plus qu’à celui de son homologue français Emmanuel Macron, qui ont drainé la Planète...
Il n’a pas été vu au déjeuner du président américain offert à un groupe de Chefs d’État africains...
Retenu au Congo par un agenda politique électrique (visite au Katanga où la sécurité est à renforcer, conférence au Kasaï sur la paix, la réconciliation et le développement après les horreurs des Kamwina Nsapu, mouvements citoyens des jeunes instrumentalisés par des milliardaires congolais et étrangers, etc.), rien ne filtre dans la presse sur sa venue ou non aux Nations unies où son message est attendu par ses compatriotes certes, par des chancelleries qui traquent médias, ONG, blogueurs, réseaux sociaux ou soufflent aux oreilles, se faisant l’écho d’une opposition en pointe, montent chaque jour la pression sur un «mandat échu», «l’illégalité et l’illégitimité du pouvoir congolais»...
Sur le toit du monde, même si cela aurait paru improbable, d’aucuns caressent un rêve maboul: celui d’une grande annonce que ferait Kabila - «j’organise les élections à telle date et je m’en vais»! Ou, plus dément encore, la politique n’est jamais un jeu, «je laisse le Congo et les Congolais se débrouiller, je m’en vais», une phrase qui aurait allumé l’incendie annoncé, attendu, dans le pays, la région, le Continent...
Si Kabila a fini par faire le voyage de New York et qu’il s’est adressé ce samedi 23 septembre à l’Assemblée générale, hormis ce nouveau look qu’il arbore désormais - barbe blanche et poivre sel en touffe, chevelure noire en toison fauve, image de vieux sage africain - il n’a pas changé d’un iota sa parole.
Il a repris ses thèmes souverainistes connus (souveraineté des États qui fonde la Communauté des Nations, portée - insiste-t-il - par des femmes et des hommes du monde déterminés à faire triompher cette valeur parfois/souvent au péril de leurs vies; dialogue avec la classe politique nationale; calendrier électoral dont la responsabilité revient, ressasse-t-il, à la Centrale électorale nationale indépendante et, à elle seule; appel au départ des forces onusiennes, etc.).
Silence, «cet ami qui ne trahit jamais»! Silence total sur ses intentions actuelles et à venir...
Pourtant, à New York, malgré son arrivée tardive, Kabila, loin de tout tintamarre, noue, renoue, resserre des contacts cruciaux.
Avec son aîné Alpha Gondé. Ce président de Guinée, président en exercice de l’Union Africaine - qu’il va voir à son hôtel - en pointe sur des thèmes souverainistes rappelés à l’unisson, ceux des pères fondateurs de l’ex-OUA. «L’Afrique aux Africains» commence par une auto-prise en charge. Elle commence par un financement propre. L’Afrique n’en manque pas. Ce potentiel est à transformer. Il faut commencer par parler avec le monde. Mais en adulte. Kabila chérit cet homme qui s’apprête à passer le flambeau au Rwandais Paul Kagame, aussi ferme sur ces thèmes. Qui regarde le monde droit dans les yeux. Droit dans ses bottes.
Kabila a aussi eu des contacts avec des groupes de pression.
En premier, le milliardaire George Soros, grand financier populiste, faussement philanthropique des ONG, mouvements citoyens et médias qu’il appelle à surveiller et à déstabiliser des régimes africains, «rétrogrades» à ses yeux, via son Open Society Foundations. L’homme qui finança et finance Y en a marre au Sénégal à l’origine du départ à la retraite d’Abdoulaye Wade. Après des mois de contestation dans le pays en 2011, ce mouvement eut raison du président le poussant à renoncer à un projet de révision de la Constitution devant abaisser à 25% le seuil minimum des voix pour élire un «ticket présidentiel».
C’est ce Soros qui créa Le Balai Citoyen, le fit exister au Burkina Faso. On lui doit la chute et la fuite en Côte d’Ivoire de Blaise Campaoré. Le président voulut en 2014 faire réviser la Constitution qui lui aurait permis de concourir une nouvelle fois.
C’est ce même Soros qui téléguide Filimbi et Lucha au Congo dont le but déclaré, assumé est le départ de Kabila du pouvoir.
L’autre lobbyste reçu par le président est l’ex-«Monsieur Afrique» de George Bush senior, un hostile patenté, gold star des média anti-Kabila! Des images montrent l’ancien secrétaire d’état adjoint Herman Cohen debout, attendant patiemment devant la porte de l’appartement de l’hôtel où logeait le Chef de l’État congolais...
Quand ces hommes d’influence se déplacent pour rencontrer en plein jour le fils Kabila, cela marque un tournant...
Autre entrevue, celle avec la procureure de la Cour Pénale Internationale, la Gambienne Fatou Bensouda. Son institution est fière de l’appui permanent du gouvernement congolais alors que la CPI est déstabilisée par des critiques de toutes parts, et donc du Continent qui, avec 34 membres, compte le plus grand nombre d’États Parties - le Burundi a annoncé officiellement son départ, l’Afrique du Sud et la Gambie n’en étaient pas loin - quand l’image de cette justice internationale est gravement écornée dans les affaires Luis Gabriel Moreno Ocampo - du nom de l’ancien procureur argentin - en Libye, en Côte d’Ivoire, etc.
Il faut noter l’audience accordée au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le Jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein dont sur le coup, on s’étonne mais que l’on comprendra plus tard...
Enfin, ce tête-à-tête avec le premier ministre belge qui dut réaménager son agenda en attendant cette rencontre qui dura une heure et quart, que Charles Michel qualifia d’«instructive et utile».
En termes moins diplomatiques, il y a eu échange d’informations au plus haut niveau de l’État, des équivoques ont été levées, un rétablissement des communications engagé... Tant mieux!
Quand on sait que le Congo a, par courrier du ministre de la Défense Crispin Atama Tabe adressé le 12 avril 2017 à l’attaché militaire belge à Kinshasa, mis fin à la coopération militaire avec la Belgique renouée en 2004 avec l’avènement du fils Kabila, décision justifiée par des critiques du ministre des Affaires étrangères belge après une ordonnance présidentielle portant nomination du premier ministre Bruno Tshibala Nzenzhe, on mesure le fossé qui a pu exister entre Kinshasa et Bruxelles.
Trois mois avant ce tête-à-tête, c’est le même chef de la diplomatie belge Didier Reynders qui, au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, initie une estocade portant projet de l’Union Européenne d’une commission d’enquête internationale indépendante sur les tragédies du Kasaï. L’UE suspecte les dirigeants congolais d’être mêlés dans ces atrocités et dans l’assassinat des deux experts onusiens, la Suédo-chilienne Zaida Catalan et l’Américain Michael Sharp.
À New York, en marge de l’Assemblée générale, Didier Reynders fait encore mouche sur les réseaux sociaux, offrant des repas aux opposants, selfies à l’appui, répercutant le discours de l’opposition katumbiste, montant la tension à son paroxysme, appelant «une transition sans Kabila». Au même moment, son collègue flamand Alexander De Croo en charge de la Coopération au Développement présent à New York, nie l’existence d’un «État au Congo», parle «d’un système d’enrichissement personnel»!

COMME JAMAIS.
Malgré ce déluge d’invectives, la diplomatie était lancée. En marche! Cette fois sans doute comme jamais auparavant. En marche et en offensive. Une ligne politique sous forme d’argumentaire avait été élaborée par le Chef de l’État lui-même qui montait une équipe de combat. S’y trouvaient le ministre des Affaires étrangères Léonard She Okitundu, ancien ministre des Droits humains, le conseiller principal de la cellule diplomatique présidentielle Barnabé Kikaya Bin Karubi, l’ancien Vice-premier ministre en charge de l’Intérieur Adolphe Lumanu Bwana Nsefu, l’ambassadeur et juriste de renom Me Norbert Nkulu Kilombo Mitumba. Muni d’une lettre personnelle du président, le team rejoint par le diplomate en poste dans chacun des pays visités, reçoit mission de parcourir les États du monde membres des Nations unies. Ceux d’Afrique bien sûr d’abord, d’Asie-Pacifique, les pays arabes, l’Europe occidentale et orientale, l’Amérique Latine et les Caraïbes. Objectif: rencontrer le président du pays, expliquer, écouter, convaincre. Et, à New York, faire le tour des missions diplomatiques... Les Missi Dominici se distribuent la tâche. Chacun reçoit une zone à couvrir...
Jamais dans le passé, peut-être jamais depuis la chute de Mobutu, des officiels de Kinshasa n’avaient aussi battu le pavé dans des capitales étrangères...
En dépit de polémiques, de campagnes négatives ou d’approches «aimables» - des pays demandent à Kinshasa de retirer sa candidature, hypothèse jamais envisagée qui aurait nécessité la tenue d’un sommet extraordinaire des Chefs d’États de l’Union africaine en charge de trouver un pays de remplacement - le Congo ne manque pas d’arguments pour attirer, séduire, convaincre.
Son arsenal législatif et juridique méconnu de ses partenaires, est mis en avant à l’occasion d’une tournée au pas de charge - un véritable marathon - tout comme la riche expérience dans le domaine des droits de l’homme.
Par exemple - qui le sait sans portail gouvernemental connu? - le gouvernement est doté, depuis 1999, d’un ministère des droits humains; il dispose d’un Plan national de promotion et de protection des droits de l’homme qui décline les objectifs visés, les actions à mener à court, moyen, long terme, les moyens mis en œuvre, les résultats atteints...
Le Congo est l’un des rares pays au monde à disposer d’une CNDH, Commission nationale des droits de l’homme, qui fait partie d’une panoplie d’institutions d’appui à la démocratie, en charge de la promotion et de la protection des droits de l’homme, veille au respect de ces droits et des mécanismes de garantie des libertés fondamentales. «Dans l’accomplissement de sa mission, (la CNDH) n’est soumise qu’à l’autorité de la Loi», édicte la Loi organique n° 13/011 du 21 mars 2013 qui précise que la CNDH «exerce son action à l’égard des personnes physiques ou morales tant publiques que privées se trouvant sur le territoire national ou à l’étranger», tout comme «à l’égard des personnes physiques, victimes ou auteurs, et des personnes morales auteurs des violations des droits de l’homme en République Démocratique du Congo». Outre cela, cette CNDH «exerce son action à l’égard des personnes physiques de nationalité congolaise se trouvant à l’étranger, victimes ou auteurs des violations des droits de l’homme».
Le Congo - qui le sait? - figure au monde parmi les pays ayant ratifié le plus d’instruments internationaux des droits de l’homme et de droit international humanitaire.
Quand certains hésitaient à adhérer au Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale ou à ratifier son traité adopté en juillet 1998 permettant la création et la mise en œuvre de la CPI, c’est la signature de Kinshasa qui lança le processus permettant à la Cour de La Haye de voir le jour le 1er juillet 2002 après ratification du traité international qui porta à 60 le nombre d’États Parties.
Depuis, le Congo coopère - de l’avis de la CPI - de façon exemplaire dans la lutte contre l’impunité et les crimes internationaux en permettant à la Cour de La Haye l’arrestation d’au moins cinq de ses citoyens détenus ou jugés par la justice internationale. Les plus connus sont Jean-Pierre Bemba Gombo, Thomas Lubanga, Matthieu Ngudjolo, Germain Katanga, Bosco Ntaganda, Fidèle Babala Wandu.
Le Congo a réalisé des performances dans la lutte contre les violences sexuelles, la démobilisation des enfants soldats. Il s’agit nul doute d’un pays qui, en l’espèce, a le plus évolué.

L’OCCASION.
Mais face au lobbying d’une opposition au verbe haut, face aux gouvernements occidentaux, face aux manifestations médiatisées de la diaspora congolaise dans des capitales européennes et américaines, face aux combattants nichés dans les réseaux sociaux, face à la campagne des activistes des droits de l’homme, qui le sait?
Il est vrai que les États-Unis sont encore sous le choc de l’assassinat de Michael Sharp et aussi longtemps qu’existera le moindre doute dans cette affaire, l’administration américaine ne lâchera pas prise. «Elle continuera à avoir une attitude belliqueuse face aux dirigeants congolais», explique un proche du dossier. L’Amérique - c’est connu - n’abandonne jamais un Américain, qui et où qu’il soit. Elle cherche toujours à savoir pourquoi et dans quelles circonstances son citoyen est mort et, le cas échéant, à punir ses assassins. Au Congo soucieux de voir ses relations évoluer positivement d’ouvrir ce dossier en donnant la preuve que le pays n’a rien à cacher. Ce qu’il entend faire lors de la visite cette semaine du 26 au 28 octobre à Kinshasa de l’ambassadrice américaine Nikki Haley. Le fait que la nouvelle administration américaine ait choisi le Congo pour cette première sortie africaine de l’ambassadrice aux Nations Unies qui, pour l’occasion, et en attendant la désignation d’une équipe Afrique, est auréolée du titre d’«Envoyée du Président», est signe du plus grand intérêt que porte Donald Trump au pays et à la région. On ne visite qu’un ami, jamais l’homme que l’on veut abattre ou... le pays auquel on promet «le feu et la colère».
Cette visite est l’occasion pour le Congo et l’administration Trump de se parler en toute franchise, de s’écouter, de se comprendre. Pour Kinshasa, l’heure a sonné de montrer les réalités d’un pays Continent, les risques encourus par le pays, la région et l’Afrique sans un apaisement politique.
Ces opportunités ont longtemps fait défaut. Quand les contacts sont noués au plus haut niveau, l’information délivrée aux décideurs, les résultats sont au rendez-vous.
Certes, par trois vagues et certainement par défaut d’informations partagées, les États-Unis et l’Union Européenne ont annoncé des sanctions ciblées contre des personnalités congolaises, hauts gradés militaires, responsables des services de sécurité, gouverneurs de province, ministres, accusés d’être impliqués dans la répression de manifestations ou des arrestations arbitraires.
Les droits de l’homme étaient ou apparaissaient au Congo comme le talon d’Achille. Cela malgré l’existence d’une parole libérée introuvable dans la sous-région, des partis politiques approchant le chiffre de 1000, des médias en surnombre qu’aucune logique de marché n’explique diffusant ce qu’ils veulent, quand ils veulent, insultant à longueur de journée qui ils veulent, quand ils veulent, etc., sans qu’un procureur n’intervienne!
Mais tout est loin d’être rose. Des journalistes ont été assassinés, des hommes politiques emprisonnés. Cela est-il pire qu’ailleurs dans la sous-région ou dans le monde?
Pourquoi cette stigmatisation? Quand un sommet des Chefs d’État de l’Union Africaine décide de porter le Congo sur un ticket de quatre pays africains devant être élus au Conseil des droits de l’homme de Genève et dont «l’objectif principal est d’aborder des situations de violations de droits de l’homme et d’émettre des recommandations», Washington monte en première ligne, agite le bannissement. Suivi ou précédé par des ONG.
A Genève, au mois de juillet, quand la perspective se précise de voir le Congo siéger à cet organe intergouvernemental auquel ce grand pays au cœur du Continent avec ses 70 millions d’âmes, n’a jamais fait partie, Nikki Haley ne mâche pas ses mots: elle critique le groupe Afrique qui a porté ce choix, parle de «manquement inexcusable» à la défense des droits de l’homme, appelle à la présentation de candidats «crédibles». Elle ne s’arrête pas en si bon chemin. Washington fait du lobbying pour que Kinshasa soit retiré de la liste mais trouve l’Afrique gonflée à bloc. La diplomatie de Kabila tient bon...
Mais menaçante: «Quand des pays du Groupe Afrique avancent la candidature d’un pays comme la R-dCongo pour qu’il devienne membre du Conseil des droits de l’homme, cela n’affaiblit pas seulement cette institution mais alimente le conflit qui provoque tant de souffrance sur ce Continent».
Et le jour j, lundi 16 octobre. Le pays de Kabila est élu, démocratiquement. Qui dit mieux? Au vote direct et secret! C’est une volée de bois vert...
Ce vote qui voyait l’Assemblée générale des Nations Unies renouveler à partir de janvier prochain pour trois ans (avec possibilité de deux mandats consécutifs), 13 des 47 sièges du Conseil des droits de l’homme - 4 pour l’Afrique, 4 pour l’Asie-Pacifique, 2 pour l’Europe Orientale, 3 pour l’Amérique latine, 2 pour d’autres états - a fait le plein de ses États membres des Nations Unies. 193 au total. Des quatre pays africains en lice pour faire le compte en janvier 2018 des 13 sièges qui reviennent au Continent, le Congo recueille le moins des voix, 151 sur 193. Le Sénégal a mobilisé le plus de voix, 188, l’Angola 187, le Nigeria 185. Le Congo a récolté 151? Qu’importe!

PARADOXE.
Il lui en fallait 97 pour être élu. Il en a mobilisé 151. 58 de plus! Kinshasa a réuni tous les 54 votes Afrique, auxquels se sont ajoutés des latino-américains, des pays arabes, des asiatiques. L’Europe, les États scandinaves, des asiatiques, etc., ont suivi par solidarité ou par conviction le vote américain. La démocratie a joué. A vaincre sans périls, on triomphe sans gloire. Le triomphe est total...
En revanche, grosse colère des anti-Kabila. «Une insulte pour les nombreuses victimes des abus commis par le gouvernement congolais à travers le pays», vitupère HRW, Human Rights Watch, dans un communiqué de son directeur newyorkais Louis Charbonneau. «Les forces de sécurité gouvernementales sont soupçonnées d’être responsables de la plupart des violences dans la région Kasaï et près de 90 fosses communes ont été recensées, montrant que la RDC ne mérite pas un siège», poursuit-il.
Une «élection regrettable au regard de la difficile coopération entre la RDC et les Nations unies. Elle peut paraître comme une prime à l’impunité et à la non-coopération, notamment en ce qui concerne la situation dans le Kasaï», tonne Florent Geel, directeur Afrique de la FIDH, Fédération internationale des droits de l’homme.
«C’est la déception. La situation des droits de l’homme est déplorable en RDC. Des groupes armés y commettent des crimes, le gouvernement est incapable de garantir les droits humains. Cette élection met en avant-plan un acteur qui, du point de vue du respect des droits de la personne humaine, ne contribuerait pas à l’évolution des droits de l’homme à travers le monde. C’est un mauvais exemple. Le gouvernement congolais est considéré comme un violateur des droits humains», surenchérit Joseph Dunia, Congolais, de l’ONG PDH, Promotion de la démocratie et des droits de l’homme.
Puis: «Cette élection oblige Kinshasa à mieux coopérer dans le futur et à avoir une politique exemplaire, notamment à l’approche, on l’espère, des élections en RDC. Cela ressemble à un paradoxe, mais c’est un paradoxe dynamique. Il ne faut pas que cette élection soit vue comme une prime à l’impunité, mais plutôt comme une obligation supplémentaire à respecter non seulement les droits humains plus largement, mais à mieux coopérer avec l’ONU et la communauté internationale», positive Florent Geel. Le même 16 octobre, Nikki Haley signe un torrent de colère. «L’élection d’aujourd’hui est un exemple parmi tant d’autres de la raison pour laquelle le Conseil des droits de l’Homme manque de crédibilité et doit être réformé pour être préservé. La République Démocratique du Congo, pays notoirement connu pour sa répression politique, sa violence faite aux femmes et aux enfants, ses arrestations et détentions arbitraires, ses homicides et disparitions illégales, a été élue comme membre de ce qui est censé être l’instance la plus prééminente au monde en matière de droits de l’homme. En fait, la candidature de la RDC, pays faisant l’objet d’une enquête du Conseil des droits de l’homme, n’a fait l’objet d’aucune opposition. Cela remet sérieusement en cause les méthodes de sélection des membres du Conseil des droits de l’homme utilisées par l’Assemblée générale».
De poursuivre: «Le CDH ne peut endurer aucun autre coup porté à sa crédibilité avant de perdre absolument tout son sens. C’est pourquoi, les États-Unis mènent les mesures consistant à réformer le CDH, incluant, très récemment, une réunion ministérielle lors de la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale de l’ONU, où plus de 40 pays ont réclamé un CDH plus efficace. Les pays qui enfreignent de manière agressive les droits de l’homme ne doivent pas se retrouver en position de protecteur des droits de l’homme d’autres pays. Les droits de l’homme importent trop pour que l’on manque de contrôler et de réformer un système rétrograde et qui ne fonctionne pas».
Puis: «Dans le monde entier, des personnes voient leurs droits et libertés inaliénables disparaître aux mains de régimes oppressifs. Nous avons besoin d’une voix unifiée de clarté morale avec le cran et l’intégrité nécessaires pour critiquer les États abusifs. Cette élection prouve encore une fois que le Conseil des droits de l’homme, tel qu’il est actuellement constitué, n’est pas cette voix».

PETIT BAUME.
Au fond, cette éruption de colère peut se comprendre. Dans son rapport du 2 octobre sur le Congo, le secrétaire général des Nations Unies, le Portugais Antonio Guterres écrit: «La Monusco a recensé 1.329 violations des droits de l’homme commises de juin à août, contre 1.444 durant la période allant de mars à mai. (…) L’espace démocratique s’est encore rétréci, victime d’atteintes aux droits civils et politiques, notamment les libertés de réunion pacifique, d’opinion et d’expression. (…) Des journalistes, des opposants politiques et des activistes de la société civile ont continué d’être la cible de menaces, de manœuvres de harcèlement et de violences. Des manifestations contre les retards dans la publication du calendrier électoral, organisées par la société civile le 31 juillet, ont été interdites par les autorités locales dans au moins cinq localités».
Petit baume au cœur. L’élection en septembre 2015 de l’Arabie saoudite et de la Chine avait suscité une même vague de condamnations. Les ONG de défense des droits de l’homme dénoncèrent le traitement réservé aux femmes, aux minorités et aux dissidents par l’Arabie saoudite.
Hillel Neuer, directeur de l’ONG UN Watch, a cru voir les Nations unies «nommer un pyromane à la tête des pompiers».
La controverse s’est enflée quand peu de jours après son élection, l’Arabie saoudite a décapité et crucifié un opposant chiite de 21 ans, Ali Mohammed Al-Nimr, a exposé son corps en public jusqu’au pourrissement.
Sauf qu’il s’agit de Ryad et de Beijing, deux capitales où la Planète se bouscule avant d’aller faire ses emplettes.
Cette année, sur la liste des heureux élus, il y a l’Espagne, l’Australie, le Chili, le Mexique, le Népal, le Pakistan, le Pérou, le Qatar, la Slovaquie, l’Ukraine, l’Afghanistan. Sont-ils exempts de reproches? Quand à Paris, Londres, Berlin, Berkeley, Cleveland, Ferguson, la police abat sans sommation, comment qualifier cet acte? Quand la blogueuse de Malte «au stylo empoisonné» est tuée dans sa voiture incendiée, comment appelle-t-on cela? Au fond, existe-t-il au monde un pays pouvant administrer une leçon à un autre en matière de droits de l’homme?
Membre du Conseil des droits de l’homme jusqu’en 2018, le Burundi fait l’objet d’un rapport des Nations unies qui évoque «des arrestations et des détentions arbitraires, des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des viols et d’autres violences sexuelles». Autre membre du Conseil des droits de l’Homme, le Venezuela est, depuis le 11 septembre, sous le coup d’une enquête sur des crimes contre l’Humanité.
Morale de l’histoire: être et rester à la manœuvre, mobilisé. Face à la tornade, se protéger, être en capacité, déterminé, à la recherche du résultat plutôt que du spectacle. Si la parole est d’argent, le silence est d’or.
T. MATOTU.


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