Comment Kabila a séduit les miniers décidés d’en découdre
  • mer, 14/03/2018 - 05:38

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Ce fut comme lors de la deuxième guerre mondiale. Kabila détenait entre ses mains la bombe atomique capable d’anéantir l’économie mondiale. De détruire l’Occident. En 1945, Washington n’en peut plus de la résistance farouche du Japon qui rejette son ultimatum. Le président Truman décide de conclure cette guerre du Pacifique. Il va larguer l’arme fatale sur Hiroshima et Nagasaki.
Le Congo, grâce à sa mine de Shinkolobwe, détient le gisement le plus riche au monde. Jusqu’à 65% d’uranium quand l’uranium canadien n’en contient que 0,2%. À la tête de la Société Générale de Belgique et de l’Union Minière du Haut Katanga, le Belge Edgar Sengier est l’homme clé du «Projet Manhattan» d’anéantissement du Japon et de la fin de la guerre que pilote le général Leslie Groves quand Enola Gay décolle avec Little Boy largué le 6 août 1945 sur Hiroshima et le 9 août sur Nagasaki... Soixante-treize ans plus tard, à Kinshasa, au Palais de la Nation, la présidence congolaise, le Congo est toujours au centre du monde. Sept patrons qui pilotent des sociétés minières et disent avoir investi entre 1 à 8 milliards US$ dans notre pays posent chacun son jet privé sur le tarmac de l’aéroport de N’Djili où aucun d’eux n’a jamais mis les pieds et bivouaquent à la Gombe qu’ils découvrent. Si leurs sociétés pèsent plusieurs milliards de US$, aucun d’eux ne dispose d’un immeuble à Kinshasa. Tous n’ont d’adresse que postale, sur l’avenue Tombalbaye, certainement le pire quartier de la ville, immeuble Prestige qui n’a de prestige que le nom. Pas un siège... Pis que ça, là, ce monde minier de la toute Planète terre se partage un même étage. C’est le cas de Randgold Resources, comme de CMOC International, d’Anglo Gold Ashanti ou d’Ivanhoe, de Gold Mountain International de Zijin Mining Group ou de MMG Limited. Quant à Glencore, son grand patron Ivan Glasenberg n’est pas plus logé à meilleure enseigne. Son courrier lui parvient au 4ème étage de l’avenue Kwango, n°130, pas plus connue, par Mutanda Mining...

ELECTRIQUE.
Comment ces patrons dont l’agenda journalier les amène à parcourir des continents, petit-déjeuner à Stockholm, déjeuner à Londres ou Dubai, dîner à Zurich ou à Beijing, n’ont-ils jamais érigé chacun un bâtiment, le long de la principale avenue d’un pays d’où ils tirent l’essentiel de leurs affaires? Et ce rendez-vous qu’ils ont obtenu ce mardi 6 mars 2018 à Kinshasa au Palais de la Nation avec le Président de la République Joseph Kabila Kabange est si crucial que même s’il a été remis au lendemain mercredi 7 mars sans qu’ils n’aient été avertis au préalable et sans qu’aucune autre précision n’ait été fournie à quiconque, est si vital pour eux et pour le monde que chacun a annulé ou suspendu tous ses rendez-vous de la semaine.
La réunion débute à la mi-journée dans une atmosphère électrique. Le Chef de l’État qui fait son entrée dans cette salle qui sert parfois de Conseil des ministres ne serre la main à aucun de ses hôtes rangés devant lui chacun devant une table de bois lisse qui ressemble à un pupitre. Avec lui son Directeur de cabinet, Nehemie Mwilanya Wilondja, l’inamovible ministre des Mines Martin Kabuelulu, le conseiller diplomatique principal Barnabé Kakaya Bin Karubi, le président du patronat également président du Conseil d’administration de la Gécamines, Albert Yuma Mulimbi, le Chef de l’Etat souhaite la bienvenue à ses hôtes et donne la parole à celui qui veut la prendre. Mark Bristow de Rangold Resources (or) parle le premier, dit présenter la position du groupe. S’ils se trouvent au Congo, c’est suite à une loi minière très favorable, à la présence à la tête de l’Etat congolais d’un homme visionnaire. Il félicite le Président de la République pour la conduite des affaires de l’Etat.
Ils sont des investisseurs qui aiment ce pays où ils ont déployé un business plan de dix ans. Si la loi change et si elle réduit la clause de stabilité de 10 à 5 ans, c’est tout leur business qui coulera. «Chacun de nous aura perdu toute crédibilité. Chacun de nous va être contraint de fermer son entreprise».
Puis de vanter l’œuvre sociale réalisée par Randgold Resources: route nationale RN26, hôpital, écoles, 15.000 travailleurs. Chacun des miniers présents serait toujours au stade d’investissement, ce qui est loin de la vérité. Depuis 2002, selon divers cabinets, ils ont pourtant amorti le pactole investi, récupéré les fonds injectés et filent au super profit des suites du boom des cours - cuivre et cobalt. Stratégique pour l’industrie de la téléphonie mobile et pour le véhicule électrique qui constitue le futur de l’automobile, le cobalt est passé de 18.000 US$/t à plus de 84.000 US$/t. De même, un rapport du Cabinet britannique Ernst & Young conclut que le code minier actuel fait perdre au Congo entre 2 à 4 milliards US$/an au pays outre des critiques de la vénérable Banque Mondiale qui appelle à la révision du Code minier guère favorable à l’économie du pays.

MENAÇANT.
Il n’empêche! «Si vous signez le Code dans son format actuel, je ferme. Je mets 15.000 de vos compatriotes dans la rue, au chômage», estime Mark Bristow. Puis, menaçant, le patron de Rangold passe un message qui sonne comme un avertissement: «Le Nord-Est de votre pays où Randgold Resources est installé est une contrée dangereuse, où foisonnent des groupes armés. Les 15.000 chômeurs vont rallier les groupes armés qui vont exploiter cet or sans rien verser un franc à l’État». Le deuxième à prendre la parole est le patron d’Ivanhoe Mines (cuivre, cobalt), Robert Friedland qui explique avoir rédigé son business model sur l’ancien Code, insiste sur la clause stabilité, le principal problème. Cette clause qui garantissait dix ans de job sans changement. S’en prend à la notion très floue de «minerai stratégique», qui met le secteur «à la merci et au bon vouloir de qui que ce soit, qui peut déclarer tel minerai «minerai stratégique», sans aucune base». De conclure: «Pour cette raison, vous ne pouvez signer ce Code». Puis: «je vous implore de nous accorder 30 jours en vue d’échanger avec vos hommes».
Au tour du patron de Glencore (cuivre, cobalt), Ivan Glasseberg, de loin, le plus riche de tous. Il s’insurge contre un texte voté au Parlement sans qu’il n’ait tenu compte des observations des miniers. «Nous avons pourtant envoyé une matrice sur ce code au profit et du pays et des investisseurs. Nous ne comprenons pas que la loi n’ait pas tenu compte de ce travail». Puis, comme ses prédécesseurs: «nous demandons un peu de temps» qui serait mis à profit «en travaillant avec votre entourage.
Le Chinois George Qixue Fang de Zijin Mining Group, qui a racheté Tenge Fungurume dit être destabilisé mais se reprend: «Certes, il existe une convention minière qui protège un tant soit peu notre entreprise. Mais le Président ne doit, en aucun cas, signer ce nouveau code. Le signer serait un mauvais signal envoyé au marché mondial des métaux».

TROIS HEURES.
Trois heures se sont écoulées quand vers 17 heures, Joseph Kabila Kabange termine le tour de table. Il explique que ce code est à l’étude depuis deux ans. Il doit remplacer la loi minière de 2002 post-conflit voulue favorable aux investisseurs afin de les attirer. Il aurait dû être révisé en 2012 mais ne l’a pas été. Le secteur a été associé. Deux sessions parlementaires ont dû débattre de ce code envoyé en commission mixe paritaire Assemblée nationale-Sénat.
La mouture finale adoptée est le résultat des concertations. Les Congolais attendent avec impatience la promulgation de ce texte. Puis de circuit législatif congolais. «Dans les six jours de son adoption, la loi est transmise au Président de la République pour sa promulgation (...)» (art. 136). «Dans un délai de quinze jours de la transmission, le Président de la République peut demander à l’Assemblée nationale ou au Sénat une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles...». Or, ces quinze jours sont dépassés. Ne pas promulguer un texte de loi voté par le Parlement c’est aller à l’encontre de la Constitution congolaise. En clair, ce code ne saurait désormais être sujet à des discussions quelconques. Il explique à l’un d’eux que si l’homme d’affaires court le risque de perdre une mise ou une partie de celle-ci, le le Chef de l’État est garant de la vie des 80 millions de ses compatriotes. En conséquence, il ne pourrait ne pas promulguer le Code. Kabila annonce qu’il signerait ce Code «très bientôt», sans rien modifier au texte. Si les miniers ont brandi la perspective d’aller en arbitrage international, ce qui sous-entend une longue bataille judiciaire, le Président offre une issue. La mise en œuvre du Code appelle une réglementation minière sous forme de Décret à prendre par le Premier ministre. Les revendications du groupe des miniers seraient prises en compte dans ce texte comme mesures d’accompagnement. Le Président est si convaincant que ses hôtes l’applaudissent pour la première fois. On lit des sourires sur ces visages. La tension est retombée... Enfin presque.
Alors qu’aux environs de 18h30’, le Président suspend la réunion, les échanges téléphoniques avec des cabinets d’avocats prennent place. Le Code sera appliqué intégralement et opposé sans aucun doute aux nouveaux venus. Les anciens bénéficieraient cependant d’un régime de faveur... Logés sous l’ancien régime, ils disposent des contrats que l’on ne saurait abroger unilatéralement. Mais la question doit encore être examinée dans une commission à mettre en place. «À la partie gouvernementale de bien gérer les intérêts du pays dans les négociations à venir. Qu’elle ne s’éloigne pas trop des intérêts du peuple congolais», avertit un proche du dossier.
Vendredi 9 mars, dans la soirée, la Rtnc donne lecture du communiqué de presse de la Présidence annonçant la promulgation du code minier. Une page se tourne.
T. MATOTU.


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