- mar, 20/09/2022 - 04:36
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1560|LUNDI 19 SEPTEMBRE 2022.
Il y a des mots qui ne passent pas. En amitié ou, plus que ça, en politique. Des mots impardonnables. Des mots blasphème. Certes, on ne le sait pas toujours. Mais recourir à certains mots, dans une société humaine millimétrée, peut conduire inexorablement à un point de non retour. Au fond, à la rupture de tout lien.
Pour le cas de l'ex-conseiller spécial en matière stratégique du Chef de l’État, Vidiye Tshimanga Tshipanda, qui a remis sa démission, de gré ou de force - certainement de force - car publiée certes le même jour, le 16 septembre 2022 - soit, le lendemain de la divulgation de ses vidéos par le quotidien suisse de référence Le Temps, av. du Bouchet 2, 1209 Genève, Suisse, tél +41 848 484 805 - mais peu après une communication stricte du directeur de la cellule de communication de la présidence de la République qui invoquait «la rigueur de la déontologie» et celle du «règlement d'ordre intérieur du Cabinet présidentiel (...) » -, on peut recenser trois exemples de phrases qu'un haut fonctionnaire de l'État ne prononce pas.
D'abord, oui ou non, que Vidiye Tshimanga Tshipanda ait promis «d’user de son influence pour obtenir des licences d’exploitation minière, éviter la paperasserie aux investisseurs et «protéger» leur investissement contre des fonctionnaires indiscrets»», passe.
Que le conseiller spécial du Chef de l’État ait été «plus tard, jusqu’à suggérer qu’il agit pour le compte du président» de la République, faisait de lui, un désespéré.
Autre cas de non retour ? Certainement pas quand le conseiller évoque l'année de sa rencontre avec le Chef de l’État - « en 2014, et nous sommes devenus très proches » sauf que c'est déjà trop juste, mais c'est de dire : «il vient chez moi, nous dînons ensemble à la maison». Pire, ce péché éternel : « Sa femme, c’est une bonne amie de ma femme ».
Dans la même lignée de ces mots qu’on ne dit pas quand on est «un proche» d'un Chef de l'État : «Vous avez besoin de personnes puissantes pour protéger votre investissement et être avec vous. Et je ne sais pas s’il y a des personnes plus puissantes que le président».
La suggestion - la pression - exercée par l'ex-conseiller stratégique sur ces « amis investisseurs » est puissante. Politiquement inacceptable.
Mais qui sont ces « fameux investisseurs » qui ont systématiquement piégé le conseiller spécial ? Des agents des Services spéciaux occidentaux à voir le nombre de rencontres organisées et payées par eux ? Des « simples » lanceurs d’alerte ? Des acteurs économiques déçus, décidés de se faire payer cash ?
Des individus qui voulaient voir le Congo «nettoyé» et avaient agi après que Vidiye Tshimanga Tshipanda ait «truqué» les ventes de licences minières ? L'article du Temps - une enquête réalisée en partenariat avec le consortium d’investigation OCCRP, spécialisé dans la lutte contre la corruption - signé Antoine Harari, Clément Fayol, n’en dit pas plus. Extraits de ce long texte incendiaire repris par tous les médias au Congo et travaillant sur le Congo publié jeudi 15 septembre 2022 à 16:00’, modifié vendredi 16 septembre 2022 à 09:06’.
« JE PRENDRAI MON POURCENTAGE ».
Par une chaude après-midi de juillet 2022, Vidiye Tshimanga, l’un des hommes politiques les plus haut placés de la République démocratique du Congo, quitte en taxi son hôtel de luxe du quartier de St. James à Londres, pour se rendre au Hide, un restaurant étoilé Michelin fréquenté par l’élite de la capitale. Il a un rendez-vous possiblement lucratif.
Son vol, son hôtel, ses repas et ses courses en taxi ont été pris en charge par un homme et une femme qui prétendaient travailler pour un conglomérat basé à Hongkong et s’intéresser aux minéraux congolais. Au cours d’une visioconférence d’une demi-heure le mois précédent, Tshimanga avait été interrogé sur ses liens avec le président Félix Tshisekedi. Satisfaits de ses réponses, ces mystérieux investisseurs lui avaient proposé cette rencontre à Londres.
Mais il ne s’agissait pas d’investisseurs ordinaires. Au cours de trois réunions, une en ligne et deux en personne, le duo a enregistré Vidiye Tshimanga à son insu, alors qu’il se vantait de sa proximité avec le président et proposait de créer avec eux une société dans laquelle il détiendrait une participation déguisée par des prête-noms et des montages offshores opaques.
«Si nous faisons des affaires ensemble, je prendrai mon… pourcentage de l’investissement et je gagnerai de l’argent», affirme-t-il sans détour. En contrepartie, continue le conseiller stratégique du président congolais, il promet d’user de son influence pour obtenir des licences d’exploitation minière, éviter la paperasserie aux investisseurs et «protéger» leur investissement contre des fonctionnaires indiscrets.
Plus tard, il ira jusqu’à suggérer qu’il agit pour le compte du président.
«Si je demande [au président] quelque chose, il donne», déclare Vidiye Tshimanga, en anglais. «Moi, c’est le président… Le président ne fait pas d’affaires [directement]».
Dès leur premier échange en ligne, le conseiller congolais propose aux investisseurs de s’associer avec sa société congolaise, la COBAMIN. Chemise noir mat à col mao, crâne rasé brillant, petit bouc grisonnant et lunettes carrées sans monture, le conseiller prend rapidement ses aises. Il décrit un accord qu’il aurait conclu par le biais de COBAMIN avec la société Ivanhoe Mines, cotée en bourse à Toronto. «Avec Ivanhoe, ils ont 80%, j’en ai 20, déclare Vidiye Tshimanga. Mes 20% sont divisés en deux, donc vous avez 10%, c’est COBAMIN – ma société.
Les autres 10%, parce que dans la loi minière, vous avez l’obligation d’avoir une personne congolaise [dans la société]… [Cette] personne congolaise est quelqu’un que nous avons choisi». Aveu ou vantardise? Nous n’avons pas trouvé dans les registres congolais des sociétés détenues conjointement par COBAMIN et Ivanhoe ou ses filiales.
En revanche, nous avons pu établir que COBAMIN a obtenu ses derniers permis miniers - situés à côté de ceux d’Ivanhoe - en février 2019, un mois seulement après que Félix Tshisekedi a succédé à Joseph Kabila à la tête du Congo. La société a obtenu les trois permis en huit jours, un «temps record» pour Elisabeth Caesens, directrice de l’ONG Ressources Matters. Elle ajoute que les compagnies utilisent régulièrement «toutes sortes de constructions financières» pour verser des paiements à des personnalités politiques.
Contacté, Ivanhoe s’est contenté de répondre que ses activités au Congo sont «régies par des politiques d’entreprise strictes en matière de lutte contre la corruption». Tout en ajoutant que la société «demande régulièrement des permis d’exploration officiels dans des zones que son équipe géologique identifie comme susceptibles de contenir des minéraux».
Lors de leur première rencontre à Londres, Vidiye Tshimanga insiste à nouveau sur sa proximité avec le président Tshisekedi, affirmant même avoir financé sa campagne pour devenir président. «Je l’ai rencontré en 2014, et nous sommes devenus très proches, a-t-il déclaré. Il vient chez moi, nous dînons ensemble à la maison. Sa femme, c’est une bonne amie de ma femme».
Durant ce rendez-vous, le conseiller congolais explique savoir que sa position publique l’empêche de conclure des contrats à titre privé. Mais plutôt que de mettre fin aux discussions, il propose aux mystérieux investisseurs une solution de contournement. «Nous avons différentes façons de faire». «La société ne sera pas à mon nom, car je suis un PEP [politically exposed person], dit-il.
«Nous avons des trusts qui sont sur l’île Maurice, nous avons différentes façons de le faire, mais généralement nous mettons les noms des personnes que nous contrôlons dans le pays. Mais c’est nous qui dirigeons. […] Je suis toujours derrière ».
Plus tard, Tshimanga se vante d’avoir d’autres partenaires. L’un d’eux, assure-t-il, lui aurait même promis un hélicoptère pour l’emmener de Londres à Paris pour discuter d’une concession et aurait promis d’injecter «200 millions».
En collaboration avec OCCRP, Le Temps a décidé de publier des extraits de ces vidéos, parce qu’elles offrent un aperçu rare de la manière dont les transactions sont structurées au Congo.
Victime de la «malédiction des ressources», une grande partie des revenus a été siphonnée hors du pays pour se retrouver entre les mains d’une petite élite, souvent aidée par des entreprises étrangères attirées par les énormes profits potentiels.
En mai, le géant suisse des matières premières et de l’exploitation minière Glencore a accepté de verser 1,15 milliard de $US aux autorités américaines pour régler les accusations de corruption liées à ses investissements au Congo et ailleurs.
Un garde du corps imposant russe.
Curieux de savoir comment le conseiller à la présidence justifierait ces déclarations embarrassantes, nous l’avons contacté. Quelques échanges téléphoniques plus tard, il nous a donné rendez-vous dans un hôtel parisien. Dans sa chambre, un garde du corps imposant et tatoué, parlant russe, a procédé à une fouille complète de nos affaires, ne nous laissant qu’un calepin et un crayon pour un entretien d’une heure et demie, sous surveillance.
Des échanges tendus, dont nous apprendrons ensuite qu’ils étaient enregistrés par le conseiller tandis que son garde du corps nous prenait en photo sans notre consentement. Durant nos échanges, Vidiye Tshimanga n’a jamais remis en doute l’authenticité des vidéos. Il a en revanche multiplié les explications contradictoires («Je prendrai mon pourcentage»: un conseiller congolais piégé par de faux investisseurs, letemps.ch/monde).
avec LE SOFT INTL.