George Forrest fonde GoCongo
  • lun, 31/03/2025 - 11:17

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1633|LUNDI 31 MARS 2025.

Le Congolais blanc publie à Paris un livre : l'Afrique peut nourrir le monde.
Bon an mal an, l’Afrique importe pour trente-cinq milliards de $US de denrées alimentaires tandis qu’un quart de sa population - 1,4 milliard d’habitants - souffre de sous-alimentation. L’entrepreneur à succès du Congo (RDC, République Démocratique du Congo) George Arthur Forrest, « le Congolais blanc », comme il se définit, estime que le continent a pourtant tous les atouts de son indépendance agricole. Visionnaire, fort d’une très longue expérience de terrain, George Arthur Forrest milite pour une Afrique fière de ses richesses.
Dans L’Afrique peut nourrir le monde (Paris VIème, XVème arrondissements, éd., Le Cherche Midi, 18,50 €), l'industriel met en lumière les blocages structurels qui empêchent l’essor agricole africain : manque d’infrastructures, faiblesse des investissements, corruption et ultradépendance, historique aux importations.
Né en 1940 à Lubumbashi, au Katanga, il signe un livre ambitieux, à l’heure où l’Afrique, et notamment son pays, traverse une période de vives tensions. Une interview parue le 21 mars 2025 dans le grand quotidien français Le Figaro réalisée par Yves Thréard.
Extrait. « Je suis un industriel qui aime s’inspirer de la pensée de grands esprits. Telles ces deux paroles : « Là où augmente le danger, augmente aussi ce qui sauve du danger» ; «ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est «le difficile qui est le chemin»». (...) Mon nouveau holding, GoCongo, est un immense chantier dont l’ambition est de contribuer à nourrir 90 millions de Congolais, de lutter contre l’inflation des denrées alimentaires et de s’attaquer à la déforestation. GoCongo peut servir de modèle pour attirer des investissements massifs et diversifiés. Premier producteur alimentaire intégré de la République Démocratique du Congo, GoCongo produit du maïs et du blé, et est le plus grand producteur de bétail du pays, avec un cheptel de 60.000 têtes, entièrement bio, réparties sur 1 million d’hectares. Mon objectif est d’y investir près de 40 millions de $US par an».
Ci-après.
Quelles conditions l’Afrique doit-elle remplir pour atteindre son indépendance alimentaire, que vous estimez possible en 2050, date à laquelle sa population aura presque doublé pour atteindre plus de 2,5 milliards d’habitants?

N’en déplaise aux colporteurs de préjugés, l’Afrique est bien dotée : des terres fertiles à perte de vue, une main-d’œuvre jeune et abondante, un climat favorable en de nombreux endroits. Elle doit simplement tourner le dos aux vieilles pratiques, avec la ferme volonté de mettre son grenier à l’intérieur de ses frontières.

Elle doit se moderniser, se mécaniser, se rationaliser pour produire en quantité et en qualité. Les régions qui lui fournissent aujourd’hui ce dont elle a besoin pour se nourrir ne sont pas mieux loties qu’elle. Elle peut donc passer à l’offensive, elle en a les moyens. Sans une agriculture performante, il n’y aura pas de développement durable en Afrique.

La République Démocratique du Congo, par exemple, pays minier dont le sol regorge de matières premières dont l’exploitation lui échappe, doit absolument gagner son autonomie alimentaire si elle veut s’en sortir. Elle est largement capable de couvrir ses besoins, même ceux du continent !

L’un des principaux freins, dites-vous, est la corruption ?
La corruption gangrène l’économie des pays africains. Ce mal est profond depuis des décennies. Il est impératif de prendre le mal à la racine pour, à défaut de l’éradiquer complètement, le sortir des mentalités et de tous les rouages de l’administration et de l’économie. C’est une condition essentielle si l’Afrique veut attirer et retenir plus d’investisseurs. Cela appelle des actions vigoureuses à tous les niveaux, pas uniquement à celui des gouvernements.

La responsabilité des gouvernants africains n’est pas négligeable dans le retard du développement agricole de nombreux pays…
L’exode rural a créé une forte concentration démographique dans les grandes villes. Celles-ci sont devenues des bassins électoraux réfractaires, mais très courtisés par les politiques qui leur accordent une attention et des moyens considérables, souvent mal orientés, au détriment des populations paysannes.

Ce déséquilibre est un obstacle à la réduction de la pauvreté en milieu rural. Il y a aussi la frilosité des gouvernants qui, toujours par clientélisme, peinent à faire les bons choix dans la gestion du foncier agricole, pour faciliter le passage de la petite à la grande exploitation, capable d’assurer une belle production en volume et en qualité.

Beaucoup d’ONG et de groupes de pression prétendant défendre les intérêts des populations locales empêchent malheureusement l’accès à des terres inexploitées, sollicitées par des firmes qui veulent y réaliser de gros investissements, générateurs d’emplois et de valeur ajoutée. La sécurité alimentaire est impossible quand des dirigeants laissent faire des intermédiaires douteux.

Quelles sont les régions africaines les plus favorisées pour un essor agricole ?
L’Afrique de l’Est en premier, avec l’Éthiopie, le Kenya, le Zimbabwe et la Tanzanie.
On peut aussi mentionner l’Afrique du Sud, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Ghana, la République Démocratique du Congo et le Cameroun. Le continent compte 54 pays, pas tous logés à la même enseigne sur le front agricole, mais il pourrait s’auto-suffire si les économies des 54 étaient davantage intégrées.

Vous soulignez la nécessité d’une alliance stratégique entre les pouvoirs publics et les entreprises. On en est très loin, non ?
Il y a quelques amorces prometteuses çà et là. L’Afrique doit avoir la volonté d’opérer des ruptures audacieuses pour s’orienter vers des partenariats public-privé.

Suivons les exemples du projet d’irrigation d’El Guerdane au Maroc, des autoroutes à péage et des centrales électriques du Sénégal, de quelques grandes réalisations en Côte d’Ivoire.
Ils illustrent le rôle positif du privé dans l’accompagnement des politiques publiques. Une condition préalable est nécessaire : la sécurité juridique.

L’autre écueil du continent vient qu’il transforme peu sur place ce qu’il produit. Comment faire pour que cela change ?
Le pillage de ses richesses jadis et l’absence d’un volume massif de financements n’ont pas favorisé une industrialisation capable de soutenir la transformation des ressources naturelles. C’est regrettable, car, si tel était le cas, l’émigration serait davantage contenue, l’inclusion sociale serait plus forte et les produits finis sur les marchés ou dans les rayons seraient moins chers. En Afrique, les producteurs, faute d’apporter de la valeur ajoutée, ploient sous les déficits chroniques de leurs balances commerciales.

Vous êtes très connu pour la diversité de vos activités, du minerai au secteur bancaire. Pourquoi misez-vous aujourd’hui sur l’agriculture ?
Je suis la deuxième génération d’une saga familiale commencée en 1922. En 2022, nous avons commémoré un siècle de présence au Congo, pays qui m’a vu naître, grandir, où mes enfants sont nés et travaillent. Depuis plus d’un demi-siècle, j’ai développé notre groupe en diversifiant ses activités. J’ai touché à presque tous les secteurs.

Après mon retrait des mines et de la banque, j’ai gardé un œil très attentif sur l’agriculture, et la crise russo-ukrainienne a achevé de me convaincre sur sa dimension prioritaire. Ce conflit, à des milliers de kilomètres de mon Katanga natal, est venu comme un amplificateur de la nécessité d’une grande et urgente révolution agricole pour nourrir l’Afrique.

Mon nouveau holding, GoCongo, est un immense chantier dont l’ambition est de contribuer à nourrir 90 millions de Congolais, de lutter contre l’inflation des denrées alimentaires et de s’attaquer à la déforestation. Elle peut servir de modèle pour attirer des investissements massifs et diversifiés. Premier producteur alimentaire intégré de la République Démocratique du Congo, GoCongo produit du maïs et du blé, et est le plus grand producteur de bétail du pays, avec un cheptel de 60.000 têtes, entièrement bio, réparties sur 1 million d’hectares. Mon objectif est d’y investir près de 40 millions de $US par an.

Alors que nombre de conflits ravagent le continent, dont la République Démocratique du Congo, vous n’avez « jamais été aussi optimiste », écrivez-vous, pour votre pays et pour l’Afrique. Qu’est-ce qui explique cette ferveur ?
Je suis un industriel qui aime s’inspirer de la pensée de grands esprits qui éclairent mon action et m’ouvrent des horizons plus larges.

D’un penseur allemand, j’ai retenu que là où augmente le danger, augmente aussi ce qui sauve du danger. Un autre, d’origine danoise, dit que ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est « le difficile qui est le chemin ». C’est la combinaison de ces deux paroles qui fonde mon optimisme.

La République Démocratique du Congo, chère à mon cœur, est dans une situation préoccupante. Depuis l’indépendance, elle a connu des convulsions terribles, sans pour autant s’effondrer. Pour nombre d’observateurs, au regard de l’abondance de ses ressources stratégiques, elle devrait être la locomotive d’une Afrique en marche vers sa juste place dans le concert des nations. La République Démocratique du Congo, c’est 2,4 millions de km2, un sol et un sous-sol ultrariches, un immense potentiel hydraulique, forestier, démographique.

Si on sait y faire régner la paix et éradiquer les maux qui gangrènent son économie, ce pays-continent peut espérer des lendemains qui chantent. C’est un homme d’expérience qui s’exprime ainsi.

Ma génération ne verra peut-être pas cette transformation, mais je suis persuadé que mes enfants, Congolais et Africains, changeront le visage de ce continent essentiel à l’avenir du monde.
YVES THRÉARD.
Le Figaro, Paris, 21 mars 2025.


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