Lui et lui seul
  • jeu, 11/07/2019 - 11:18

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1460|JEUDI 11 JUILLET 2019.

Monarque républicain, la Constitution donne le pouvoir et les moyens d’action au Président de la République, Félix Tshisekedi. Tout retard dans le rythme des réformes lui sera imputable à lui, à lui seul. Le Congo, le monde, l’Histoire lui en réclameront les comptes, à lui, à nul autre.

Voici que tout le Congo se laisse alarmer par une trop longue attente! A tort? A raison? Sept mois c’est un bébé mais un bébé prématuré. Il va donc falloir attendre neuf mois, soit encore deux mois pour un bébé ne devant pas passer par le stade de couveuse?
A Athènes, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a pris ses fonctions dès le lendemain de l’annonce de sa victoire en faisant ses adieux à son prédécesseur Aléxis Tsípras. Le jour après, le nouveau Gouvernement grec composé de 51 membres, ministres et vice-ministres, était connu.
Certes, dans sa première interview, à Rfi et France 24, le 29 juin, veille de la fête de l’Indépendance, le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo attendu sur le sujet, a donné deux pays d’Europe restés longtemps sans gouvernement appelant à ne pas «stigmatiser le Congo», citant l’Allemagne et la Belgique.
Sauf que l’ancienne puissance coloniale était en crise politique et institutionnelle. Sommes-nous dans ce cas au Congo? Il semble que rien de tel. Du moins, officiellement...

L’IMPASSE POLITIQUE.
En Belgique, il y eut une crise politique ouverte après les législatives fédérales du 13 juin 2010.
De 2007 à 2008, le royaume avait déjà dû attendre 194 jours pour voir se former un nouveau gouvernement issu des scrutins de juin 2007.
Le Chef du Gouvernement sortant, battu aux élections, le libéral flamand Guy Verhofstadt (Open VLD) avait été mis au régime des affaires courantes. Il avait dû former un nouveau gouvernement intérimaire en attendant que son successeur, le Chrétien démocrate (CD&V) Yves Leterme constitue un gouvernement qui ne vint que le 20 mars 2008.
La situation politique née en 2010 fut encore plus invraisemblable. Cette fois, c’est au tour de Yves Leterme, sur fond de divisions entre Wallons et Flamands, d’être aux affaires courantes attendant la désignation d’un successeur apte à former une équipe gouvernementale.
Le 6 décembre 2011, le socialiste francophone Elio Di Rupo prête serment devant le Roi Albert II («je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge») suivi de ses dix-neuf ministres. Il est nommé Premier ministre.

LES BELGES HONTE D’EUX.
Il en aura fallu au total 541 jours de pilotage automatique entre la démission du Cabinet Leterme II et la formation de l’équipe Di Rupo.
Ce fut la plus longue impasse politique de l’histoire contemporaine européenne et les Belges avaient longtemps eu honte de leur pays puisque chaque jour qui passait, les partis politiques ne s’accordaient pas sur le nom du Premier ministre, ce qui les rapprochait d’un record: celui du pays du monde ayant passé le plus grand nombre de jours sans gouvernement.
Dix-huit mois de crise politique à cheval entre 2010 et 2011. Le pays avait failli battre en effet de peu le record du monde détenu par... l’Irak. Au niveau européen, le record belge était battu le 25 août 2018 par l’Irlande du Nord.
Sauf que dans ce cas, l’impasse politique n’a été que de pure forme, le pouvoir central se situant à Londres.
Dans le cas du petit plat pays à l’administration très décentralisée, tout a pu fonctionner sans trop de problèmes même si le royaume était allé, entre-temps, en guerre en Libye.
En dehors de la Belgique, il y a le Cambodge (353 jours sans gouvernement entre le 27 juillet 2003 et le 30 juin 2004) et, surtout, la Moldavie (567 jours sans Président, sans Premier ministre).
Mais les Constitutions ont prévu ces cas de force majeure; Des régimes d’intérim souvent embarrassant et fragilisant les institutions, n’inspirant aucune confiance auprès des investisseurs et des bailleurs de fonds.
Le Congo va-t-il resté plus longtemps encore sans gouvernement alors que le Chef de l’Etat a annoncé cette équipe comme «imminente»? Le Congo où les négociations traînent, la fumée blanche annoncée est chaque fois reportée. Le Président de la République a prêté serment le 24 janvier 2019, a pris les clés du Palais de la Nation dès le lendemain 25 janvier. Cela dure 167 jours...
Certes, le Congo doit à raison se frotter les mains. Si chaque jour qui passe, les camps n’arrivent pas à accorder leurs violons, les enchères ou les positions de négociations bougeant à chaque rencontre, notre pays est encore loin de battre le record de la Belgique de 2008 et de 2011, de l’Irak, de l’Irlande du Nord, du Cambodge, de la Moldavie. Il n’empêche! Un pays aussi pauvre qui attend en gare avant de repartir, ne saurait disposer d’une seconde à perdre. Un pays dont plus de trois-quarts de membres du gouvernement s’est déversé au Parlement conformément aux dispositions de l’article 108 de la Constitution sur l’incompatibilité, laissant, du coup, l’Etat à des vice-ministres peu expérimentés, fait face à toute situation.

LE POUVOIR ET LES MOYENS.
Dépourvu d’administration, le Congo n’a que ses dirigeants pour plonger dans les dossiers, mener les études, opérer les choix, conduire les politiques. Il leur en faut d’ailleurs à chaque fois un séminaire... gouvernemental. Une mise à niveau.
Mais vu du Congo et de l’étranger, l’homme qui incarne l’Etat congolais est Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Monarque républicain, de par la Constitution, celle-ci lui en donne le pouvoir et les moyens.
«Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il représente la Nation et il est le symbole de l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux» (art. 69).
Tout retard dans le rythme des réformes lui sera imputable à lui, à lui seul. Le Congo, le monde, l’Histoire lui en réclameront les comptes, à lui, à nul autre.
Il est probable que des parties prenantes rompues dans l’art de la ruse s’investissent à ériger des pièges sur sa trajectoire en espérant freiner sa marche. Elles qui n’auraient rien à perdre... A lui d’identifier ces pièges, de trouver les astuces pour les démonter ou de les contourner et d’avancer.
L’homme politique n’a jamais le temps comme partenaire. Chaque seconde est cruciale. Ce peuple qui applaudit est celui qui va réprouver. Ce Tshisekedi a accompli ce que son père n’a jamais accompli: prendre les rênes du pouvoir suprême. Il a pourtant plus de son père que de lui-même. Plongé dès son plus jeune âge dans la politique, il est comme lui: ferme dans son verbe, redoutable dans son action. Ceux qui seraient tentés de minimiser seraient bien mal inspirés...
T. MATOTU.


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