Le plaisir pour des ministres de se remettre en cause, d’écouter les expériences
Matata enferme à Zongo ses ministres en vue d’un partage
  • mar, 17/07/2012 - 09:18

C’est maintenant que tout commence. Lorsqu’un pays est béni des Dieux mais qu’il n’arrive pas à décoller, lorsqu’un pays a tout pour réussir mais qu’il s’enlise dans le sous-développement, lorsque tout paraît si immense en termes de défis, de besoins et d’attentes, lorsque tout est si fragile face aux obstacles qui continuent de bloquer le décollage du géant, face à un environnement économique mondial de plus en plus exigeant et d’un voisinage hostile, alors, que lui reste-t-il encore à faire?

LE SOFT INTERNATIONAL N° 1175 DATE LUNDI 9 JUILLET 2012

Que faire lorsqu’un pays auquel toutes les promesses ont été faites traîne à l’avant-dernière place, sur 169 pays, du classement des Nations Unies sur les indices du développement humain?
Que dire, sinon crier au gâchis lorsque ce pays - le nôtre - est classé 164ème sur 178 au niveau des indicateurs de perception de la corruption publiés par Transparency International?
Que dire sinon se révolter lorsque l’enquête Doing Business 2012 de la Banque Mondiale proclame la RDC 175 ème pays sur 183, ce qui en fait l’un de ceux, au monde, dont le climat des affaires est des plus prohibitifs?
Il faut, à coup sûr, du cœur et de l’ambition.

DES ELITES ET DES EQUIPES SOUDEES.
Mais cela ne suffit pas, surtout lorsqu’on a le sentiment que tout, absolument tout, a été tenté en vain, et qu’il ne reste plus qu’à invoquer jusqu’à la caricature la grâce divine dans ce pays où le pasteur n’est pas celui qui réalise le miracle de la multiplication du pain et du poisson, ou qui prêche les vertus du travail, mais celui qui s’investit le plus dans l’art de récolter la dîme et de promettre le ciel à ceux qu’il continue de dépouiller au nom du Père, du Fils et du St Esprit.
L’ambition seule, certes moteur indispensable de l’action, ne suffit pas. La croissance non plus, s’il ne s’agit que d’un slogan juste bon pour consoler ceux que le sort - ou la fatalité - a frappé du sceau de la malédiction, et qui ne savent plus à quel Saint, ou Diable, se fier.
Toutes les expériences humaines ont par contre démontré qu’il faut, en plus, des élites qui connaissent leur époque, leurs peuples et leurs attentes, des élites qui savent se mettre ensemble pour dégager une dynamique de développement susceptible de tirer vers le haut le reste de leurs compatriotes. Encore faudra-t-il des équipes soudées, déterminées, regardant dans la même direction, partageant la même vision et les mêmes valeurs.
Encore faudra-t-il que la croissance atteigne les deux chiffres et se déploie dans la durée, qu’elle repose sur des infrastructures solides, un secteur privé dynamique et créateur d’emplois, autant que sur des technologies d’avenir.
Encore faudra-t-il qu’une nouvelle gouvernance s’installe, fondée sur des règles de gestion saines et sur un code moral exigeant…

VOLONTARISME ENTHOUSIASME.
La question, évidemment, est de savoir comment y arriver. Une question à laquelle s’était décidé de répondre, au milieu de la semaine dernière, le séminaire gouvernemental de Zongo, en province du Bas-Congo.
Du 3 au 4 juillet, dans la cité aux chutes de légende, le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo Mapon a réuni toute son équipe gouvernementale avec la bénédiction du Chef de l’état, ce qui en soulignait l’importance.
«Face à l’immensité des défis auxquels fait face la République et à la complexité des contraintes, il m’est apparu indispensable de privilégier, en tant qu’équipe, un instant de réflexion collective propice à des échanges francs en vue de bâtir une vision commune quant à nos missions et, surtout, aux règles de conduite de l’action gouvernementale», déclinait, d’entrée de jeu, le Premier Ministre.
Le séminaire avait plusieurs objectifs: partager la vision du Chef de l’état pour la mise en œuvre du programme avec l’ensemble des membres du gouvernement, hiérarchiser de manière consensuelle et intégrée les priorités de l’action gouvernementale telles que reprises dans la feuille de route, réaliser un coaching de base sur les méthodes d’organisation et de gestion des équipes ministérielles, adopter les principes d’éthique devant caractériser l’action du Gouvernement, échanger des expériences avec des hauts cadres d’autres pays jadis confrontés aux défis de développement similaires à ceux de la R-dC. C’est un Matata Ponyo résolument ambitieux qui a fixé la frontière à atteindre et à dépasser par son équipe.
«Il nous faut un véritable sursaut d’orgueil car nous avons l’opportunité de changer les choses et c’est possible».
Le Premier Ministre s’est appuyé sur les résultats atteints par le programme économique conclu avec les institutions financières internationales pour inviter le Gouvernement à faire davantage en termes de performances: «Les récentes performances macroéconomiques réalisées depuis près de deux ans et demi dans le cadre du programme économique avec les institutions financières internationales le démontrent à suffisance et doivent nous encourager».
Matata Ponyo a surtout tenu à communiquer son volontarisme et son enthousiasme à l’ensemble de son équipe.
«Notre programme, a-t-il indiqué, est ambitieux, voire trop ambitieux aux yeux de certains. à ceux-là je dirai qu’il nous faut précisément de l’ambition pour ce pays et pour notre peuple, car le développement est par essence même l’aboutissement d’une démarche volontariste. Nous croyons en la vision du Président de la République, Chef de l’état, d’un pays à revenu intermédiaire d’ici 2016 et d’un Congo émergent à terme».

ELITES, VISION ET COORDINATION.
Le déroulement du séminaire a confirmé la vision du Chef du Gouvernement ainsi qu’en témoignent les thèmes de haut vol exposés par les facilitateurs avant d’être approfondis dans les groupes de travail. On en retient, pour l’essentiel, que le développement, c’est d’abord une affaire des élites. Des élites qui croient dans la vision et qui la partagent. Qui comprennent que la coordination de l’action gouvernementale ne relève pas du domaine du simple acte administratif mais qu’elle pose, plutôt, la question essentielle «de gouvernance de la puissance publique au regard des enjeux qu’elle comporte», a souligné Tertius Zongo, Premier Ministre honoraire du Burkina Faso, conférencier et l’un des deux facilitateurs du séminaire avec le Français Serge Michailof, professeur à Science Po, chercheur associé à l’institut de Recherche International et Stratégique (IRIS), l’un des principaux think thanks français dans le domaine géopolitique. Ce qui implique la nécessité de «la création d’un cadre qui trace les principes et les éléments fondateurs d’une organisation, d’une discipline sans laquelle aucun progrès durable ne peut être accompli».
Autre priorité: minimiser les risques et menaces à la réussite du programme. La hiérarchisation des priorités gouvernementales, l’identification des réformes clés à entreprendre et le pilotage stratégique de l’aide internationale se déclinent dès lors en termes d’urgence. Il en est de même de la préparation des lettres de mission dans lesquelles seront définis les engagements communs et sectoriels.

CROISSANCE A DEUX CHIFFRES, DURABILITE ET PROSPERITE.
Il faut enfin un programme d’action gouvernemental de cinq ans fondé sur la paix et la stabilité économique avec comme base la durabilité et la prospérité, a recommandé le Sud-Coréen Seung Hun Chun.
Les objectifs de ce programme sont la croissance, l’emploi, l’augmentation du revenu et du bien-être de la population.
Pour atteindre ces résultats, la condition est un taux de croissance à deux chiffres qui devrait culminer à 15% en 2016.
Un taux qui exige la poursuite des réformes institutionnelles destinées à renforcer l’efficacité de l’état; la consolidation de la stabilité macro-économique pour accélérer la croissance et la création d’emplois; l’amplification de la construction et de la modernisation des infrastructures de base telles que les routes, le chemin de fer, les canalisations, les ports, les aéroports, les écoles et les hôpitaux; le renforcement du capital humain et de l’éducation en vue de l’émergence d’une nouvelle citoyenneté; le renforcement de la diplomatie et de la coopération pour le développement.
Le facilitateur coréen a été appuyé dans son analyse par le Pr Daniel Mukoko Samba, Vice-Premier ministre en charge du Budget.
«La clé pour que la croissance contribue efficacement à la réduction de la pauvreté réside dans la longueur du processus», a-t-il indiqué.
Mukoko a donné l’exemple de la Zambie par rapport au modèle indonésien: «En 1970, le revenu par tête d’habitant de la Zambie était le double de celui de l’Indonésie. 35 ans plus tard, le revenu par habitant de l’Indonésie était trois fois celui de la Zambie.
Au cours de ce quart de siècle, l’Indonésie a enregistré une croissance annuelle moyenne de 5% tandis que la situation économique zambienne se détériorait».
Citant, pour appuyer sa démonstration, l’exemple angolais, le Vice-Premier ministre a estimé qu’il était possible de passer, en 14 ans, de 6 à 100 milliards USDO de PIB. «L’Angola a rattrapé et dépassé la RD Congo, en termes de création de richesses nationales dès sa sortie de crise.
En 2011, le PIB de l’Angola a atteint près de 100 milliards USDO contre 6 milliards en 1999».
Se réjouissant du fait que la croissance est effective en RDC depuis 2002, Daniel Mukoko a en revanche constaté que celle-ci reste insuffisante en raison de plusieurs obstacles. Premièrement, l’incapacité de l’état à mettre en œuvre ses politiques économiques avec efficacité, à l’exemple du décret 036/2002 portant limitation des services à la frontière. Deuxièmement, l’absence d’infrastructures permettant d’appliquer les politiques économiques dans un si vaste pays. Daniel Mukoko a donné l’exemple du déficit de l’énergie électrique qui handicape l’accroissement de la production du cuivre dans le Katanga. Troisièmement, les obstacles au développement du secteur privé tels que le mauvais climat des affaires et les monopoles déguisés des entreprises publiques.
Pour faire face à tous ces défis, le Vice-premier ministre a recommandé aux membres du Gouvernement une plus grande coordination des politiques entre les élites qui doivent s’accorder sur les priorités; le choix en faveur des développements technologiques très porteurs; l’insertion du pays dans les arrangements institutionnels supranationaux comme l’OHADA; enfin une plus grande responsabilité sociale pour permettre aux utilisateurs de demander des comptes aux élites.

L’EXPERIENCE DES AUTRES.
La principale innovation du séminaire de Zongo a incontestablement été l’option levée en faveur de la participation de hauts cadres des pays amis qui ont eu, par le passé, à surmonter les mêmes défis que la R-dCongo, et dont l’expérience pourrait profiter à la démarche actuelle du Gouvernement. Trois d’entre eux ont joué durant ce séminaire un rôle clé.
Le Français Michailof est aussi chercheur associé à la Fondation pour les études et la Recherche en développement international, il est administrateur du Conseil des Investisseurs Français en Afrique (CIAN). Ancien directeur régional à la Banque mondiale, puis directeur exécutif chargé des opérations de l’Agence Française de Développement (AFD), il intervient couramment dans de multiples conférences et colloques internationaux.
En R-dC particulièrement, il a participé à la préparation de la stratégie multi-bailleurs préparée conjointement par la Banque Mondiale, les Nations Unies et l’Union Européenne en 2006 et 2007. Il a conseillé régulièrement le Premier ministre Muzito durant la première année de son mandat.
Il a apporté son appui au programme de réforme du ministère des Finances conduit alors par Matata Ponyo.
Le Burkinabè Tertius Zongo a été gouverneur pour le Burkina Faso au sein de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de la Banque africaine de développement et de la Banque islamique de développement. Ministre du Budget et de la Planification, puis Ministre de l’économie et des Finances, il a exercé les fonctions de Premier ministre de juin 2007 à avril 2011.
Le Coréen Dr Seung-Hun CHUN est Président de l’Institut coréen de développement de stratégies (KDS) dont il est co-fondateur et a une expérience de 25 ans au sein du Ministère de l’économie et des finances où il a été directeur général pour la planification du développement et des politiques économiques. Consultant en matière des politiques pour le développement international, il a participé au développement de stratégies sectorielles pour le développement des PME notamment au Ghana et au Mozambique.
En RDC, le Dr Chun a récemment mené les consultations pour l’élaboration du Plan de développement stratégique de la R-dC (2011) dont il a présenté les résultats au Président de la République en mars 2012. Dr Chun était à la tête d’une importante délégation comprenant quatre autres de ses compatriotes dont Dr Yong Man Park, Dr Hee-Yhon Song, DrYoung-Hwan Kim et Dr Young-Chui Kim.
Plusieurs résultats étaient attendus par le Gouvernement à l’issue du séminaire de Zongo. On retiendra particulièrement:

  • l’acceptation d’un certain nombre de valeurs cardinales par tous les membres,
  • la hiérarchisation de l’action gouvernementale telle que synthétisée dans les feuilles de route,
  • l’identification des réformes à conduire pour permettre à l’appareil de l’état de jouer son rôle pour la mise en œuvre du programme d’action,
  • l’identification des modalités de pilotage stratégique de l’aide internationale,
  • la définition des modalités d’organisation et de gestion des équipes ministérielles pour la performance,
  • la mise en place des modalités de renforcement du capital humain et des ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de l’action gouvernementale,
  • l’identification des modalités de coordination interministérielle permettant de fluidifier la circulation de l’information et de faciliter la prise de décision,
  • l’identification des risques susceptibles de faire déraper la réalisation du programme d’action.

Matata l’a dit et répété: son équipe est un Gouvernement de résultats. C’est aux résultats qu’il sera jugé.
Au sortir de Zongo, chaque membre du Gouvernement a pris des engagements précis. Des lettres de mission vont être adressées à chacun d’eux comme produits de la répartition du travail agréé par tous et des objectifs assignés à chacun d’eux. Sauf la grande inconnue de l’Est, c’est maintenant que tout commence.


Bapa Banga

LEGENDE :
Le plaisir pour des ministres de se remettre en cause, d’écouter les expériences des autres - Corée du Sud et...

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