- ven, 06/09/2024 - 10:31
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1618|VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2024.
Cela allait déjà très mal entre les magistrats et le ministre d'État en charge de la Justice et Garde des Sceaux, Me Constant Mutamba Tungunga qualifié, dans un communiqué du Synamac, le Syndicat Autonome des Magistrats du Congo, de «populiste» aux annonces médiatiques susceptibles d'être jugées « inconstitutionnelles ». Un conflit qui rappelait celui qui venait d'opposer en France le ministre de la Justice et Garde des Sceaux sortant, l'ancien ténor du barreau, redouté des cours d'assises, Eric Dupond-Moretti au point que le ministre fut traîné devant la Cour de Justice de la République, ce qui marquait une histoire d'autant que ce fut la toute première fois en France de voir un ministre en exercice attrait devant cette juridiction pénale spéciale.
Au Congo, le Synamac avait diffusé, le 15 août, un communiqué quand Constant Mutamba Tungunga venait de remettre au président de l'Assemblée nationale Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi quatre textes de lois que le ministre avait qualifiés de «propositions de lois» dont certains critiquaient la légalité outre le fait qu'«une proposition de loi» émane d'un député, le ministre déposant «un projet de loi».
Dans le « communiqué du Synamac sur les sorties médiatiques du ministre de la Justice et Garde des Sceaux», signé d'une part par le Président national Isofa Nkanga, substitut du Procureur Général et, de l'autre, pour le Secrétaire Général Adj empêché, par Shabani Watenda Junior, Président du Tribunal de Grande (Instance), on lisait : «Le Synamac dénonce la propension du ministre de la Justice et Garde des Sceaux dans ses sorties médiatiques à vouloir rendre les magistrats seuls acteurs de la justice, responsables de la mauvaise administration de la justice, éludant ainsi les questions de fond à la base du dysfonctionnement de ce secteur. Ainsi, par ses discours à la limite populistes et outrageants à l'égard de tout un corps, il expose les magistrats dont la sécurité est déjà précaire ou pas du tout assurée».
Le Synamac attirait « l’attention des membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature sur la participation de certains magistrats dans des commissions créées en vue de censurer les actes relevant des attributions des cours, tribunaux et parquets et, ce, sans s’en référer à leur hiérarchie respective. Pareil agissement ne doit laisser indifférent».
Puis : « Dans un État de droit, le seul moyen d’attaquer une décision de justice demeure les voies de recours prévues par le législateur. Et lorsqu’elles sont toutes épuisées, la seule possibilité qui reste est le pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi. Agir autrement, c’est se comporter en hors la loi ». Les magistrats (invitaient) « le ministre (...) d’arrêter avec ses agressions et de chercher à travailler avec les magistrats dans cette lutte dont il n’est pas seul, et n’en a pas non plus le monopole (...)
Le Synamac relève que les modifications intempestives des lois organiques régissant le Pouvoir judiciaire ne régleront rien tant que les questions de fond débattues lors des assises des États Généraux de la Justice ne seront pas résolues. Par contre, elles provoquent des collisions des textes tendant à leur inconstitutionnalité».
ACCENTUATION DE LA CRISE.
Après le carnage intervenu lors de la tentative d'évasion survenue dans la nuit de dimanche 1er septembre à lundi 2 septembre à la Prison Centrale de Makala, CPRK, Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa, qui a fait 129 morts, selon le bilan officiel annoncé par le Vice Premier ministre de l'Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires coutumières, Jacquemain Shabani Lukoo Bihango, démentant le bilan donné peu avant par le Vice-ministre de la Justice, Samuel Mbemba Kabuya qui avait parlé de deux morts, et qui avait fait porter la responsabilité de ces morts sur les magistrats, la tension est montée de plusieurs crans entre le ministère de la Justice et les magistrats.
Il faut noter que les Évêques dénoncent ce carnage parlant de « négligence des services de l'État», exhortant les autorités à mener des enquêtes sérieuses pour établir les responsabilités, tout comme des pays de l'Union Européenne qui «demandent à Kinshasa de faire rapidement toute la lumière sur ces événements tragiques afin d’établir les différentes responsabilités, y compris au regard du respect des droits humains et de l’État de droit ».
Dans sa déclaration de lundi 2 septembre, le Vice-ministre Mbemba accuse les magistrats d'être les premiers responsables de cette tentative d'évasion (du coup, de ces morts) déclarant qu'ils transféraient dans des prisons des individus suspects quand les prisons sont faites pour la détention des personnes condamnées, ajoutant que cette pratique va à l'encontre des efforts de désengorgement des maisons d'arrêt entrepris par le Gouvernement, et qu'elle viole le principe sacro-saint du droit congolais qui fait de la détention une exception.
Peu avant, le ministre titulaire avait annoncé plusieurs mesures provisoires prises, en dehors des enquêtes ouvertes voulant identifier les responsables de ce qu'il qualifiait comme « des actes de sabotage» dont l'interdiction, jusqu'à nouvel ordre, de transfèrement au CPRK, par les magistrats des parquets, des détenus sauf autorisation préalable du ministre.
Dans une déclaration forte donnée mercredi 4 septembre 2024 en la salle des plénières de la Cour Constitutionnelle, à Kinshasa, Place Royale, à la Gombe, peu après une réunion du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature, CSM, le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle, Jean-Paul Mukolo Nkokesha, entouré du Président de la Cour Constitutionnelle Dieudonné Kamuleta Badibanga au titre de président du CSM et du Procureur Général près la Cour de Cassation, Firmin Mambu Mvonde, a fermement condamné les «déclarations faites lors des sorties médiatiques du Vice-ministre de la Justice», comme « la note circulaire n°008/CAB/ME/MIN/J&GS 2024 du 2 septembre 2024 signé par le Vice-ministre de la Justice relative à l'interdiction de transfèrement des détenus préventifs à la Prison Centrale de Makala et à la Prison militaire de Ndolo». Au contraire, le CSM «invite les magistrats à poursuivre l'accomplissement des tâches de la profession dans le strict respect de la Constitution et des lois de la République pour l'émergence de l'État de droit».
Si le communiqué du Conseil Supérieur de la Magistrature signé par le Président Dieudonné Kamuleta Badibanga et par les sept membres du Bureau du CSM, Jean-Paul Mukolo Nkokesha, Elie-Léon Ndomba Kabeya, premier président à la Cour de cassation, Firmin Mambu Mvonde, Marthe Odio Nonde, première présidente au Conseil d’État, Iluta Ikombe Yamama, Mutombo Katalya, Lucie-René Likulia Bakumi, reconnaît que « la Prison Centrale de Makala fut construite en 1957 avec une capacité d'accueil de 1.500 détenus pour une population de plus ou moins 250.000 habitants de la ville de Kinshasa», le texte explique que face à « l'augmentation exponentielle de la population et l'accroissement de la criminalité, la solution appropriée pour résorber la surpopulation carcérale à la Prison de Makala tient à la fois à la construction de nouvelles prisons et maisons d'arrêt, et à l'application stricte de la loi sur la détention ainsi que celle sur le régime pénitentiaire».
Les hauts magistrats renvoient au ministère de la Justice la responsabilité du carnage. S'ils reconnaissent que « l'arrestation est l'exception », ils déclarent que «devant la hausse de la criminalité, les arrestations et les détentions opérées par les magistrats constituent une réponse légale et idoine pour sécuriser la population.
Le suspect est toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ou violé la loi pénale. Demander au magistrat de ne pas l'arrêter ni le transférer à la prison constitue une violation flagrante de la loi et surtout une autre manière d'installer, au sein de la population congolaise, les règles de la vengeance privée et la loi du plus fort».
Plus grave encore, ils jugent «les déclarations du Vice-ministre de la Justice (...) de nature à exposer les magistrats à la vindicte populaire alors qu'il existe au sein des Institutions publiques un cadre de concertation entre le Conseil Supérieur de la Magistrature et le Ministère de la Justice, lieu indiqué pour traiter de questions transversales relatives à l'administration de la Justice».
Question : comment cette crise que certains qualifient déjà de guerre ouverte va être résorbée ?
T. MATOTU.