Il y a trop d’actes probants de suspicion de détournement et de corruption
  • mar, 09/06/2020 - 04:01

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1487|MARDI 9 JUIN 2020.

S‘il existe une présomption d’innocence qui trouve ses origines au XIIIème siècle - siècle des Lumières - énoncée à l’article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 selon lequel «tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s‘il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi» et à l’article préliminaire III du Code de procédure pénale français où ce droit fondamental est inscrit en ces termes, à savoir, «toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie», avec pour conséquence le fait qu’il appartient à la partie poursuivante de supporter la charge de la preuve, en clair, de démontrer les éléments constitutifs d’une infraction, mais aussi l’absence de facteurs propres à la faire disparaître, ce droit est loin d’être absolu puisqu’il existe une autre notion : celle de présomption de culpabilité, mieux, une présomption irréfragable ou absolue qui ne peut être contestée, aucune preuve, aucun argument ou aucune considération ne pouvant la réfuter.

IRREFRAGABLE PRESOMPTION.
Dans le procès des 100 jours, dans sa phase des maisons préfabriquées - qui se déroule en chambre foraine à la prison de Makala et dont les plaidoiries sont attendues pour jeudi 11 juin - il y a nul doute un continuum d’indices qui mettent en exergue des cas flagrants de suspicion de responsabilité de corruption, de détournement et de blanchiment des capitaux, en clair, une présomption irréfragable ou absolue de culpabilité des co-accusés voire de certains témoins.
S’il n’avait pas la conscience lourde, comment expliquer l’évasion de Daniel Shangalume Nkingi alias Massaro, cousin de Vital Kamerhe Lwakanyinginyi Nkingi, rattrapé plus tard dans sa planque dans le Bandundu par la police après qu’il eût été invité par le magistrat instructeur alors qu’il venait d’apprendre que son parent de DirCab du Président de la République venait d’être «mapé» et conduit en prison?

Cadre très spécial mais contesté de la SONAS, qu’est-ce qui explique son changement de train de vie, au cours de la période suspecte du programme des 100 jours, quand il exhibe un mur de billets verts, acquiert terrains, immeubles, parc de véhicules rutilants et de prestigieuses marques? Quand des comptes bancaires de l’épouse du DirCab gonflent de $ en espèces sonnantes et trébuchantes, est-il raisonnable de croire à des cadeaux reçus lors d’un mariage certes fastueux mais des cadeaux provenant de qui et pourquoi? D’où viennent les près de 2,5 millions de $ (toujours en cash) reçus par l’agent en charge d’import-export de la Présidence de la République Jeannot Muhima Ndoole et pourquoi ? Est-il crédible de soutenir qu’il s’agirait d’opérations de dédouanement des maisons préfabriquées au port de Matadi à l’Ouest quand celles-ci doivent venir par des ports de l’Est?

LE GRAND SOUPÇON.
Sommes-nous toujours dans le contrat des maisons du Libanais quand on parle des conteneurs remplis d’objets de luxe, des tables de maquillage, de matériel de chirurgie? N’est-ce pas scandaleux que le gouverneur de la Banque Centrale Déogratias Mutombo Mwana Nyembo ait autorisé, passant outre l’indépendance de la banque des banques et l’éthique du métier, la sortie en cash de millions de $ (66 millions ou 48 millions, selon les sources) sans contrepartie en allant les puiser dans les réserves internationales stratégiques mettant en mal une structure financière introuvable?

Quand le juge pose cette question au principal inculpé, comme à son accoutumée, Vital Kamerhe ne botte pas en touche sauf qu’il n’est pas membre d’une quelconque chaîne de la dépense pour savoir ce qui a pu se passer. Ne désigne-t-il pas clairement, là, trois responsables et de taille : le ministre du Budget Pierre Kangudia Mbayi qui s’en est défendu avec force, son collègue des Finances Henri Yav Mulang qui a calmement avoué sous serment avoir reçu ordre du DirCab, tout comme le gouverneur de la Banque Centrale dépose sous serment dans les mêmes termes?
Quant au Libanais Jammal Samih, cet homme impossible joue à l’idiot et croit ainsi pouvoir tenter de se tirer d’affaire. Il s’agit là clairement de son business model qui lui a permis de faire des millions au Congo.

S’il dit ne pas savoir parler la langue française, il se reprend le lendemain et reste aux aguets, réclamant réparation au moindre mot prononcé même en silence. S’il menace de se donner la mort, il brille de santé le lendemain. S’il dit souffrir de la COVID-19, l’INRB ne confirme rien. Il dit n’avoir «jamais connu ni vu» le DirCab alors qu’au moins deux témoins - le cousin Massaro et le ministre du Budget Kangudia - déclarent l’avoir vu, l’un dans les jardins de la Présidence de la République, l’autre dans la salle d’attente du DirCab à la Présidence de la République au Palais de la Nation, ce qu’il finit par accepter.

Quand il prétend ne jamais connaître les Kamerhe, des proches du dossier s’esclaffent de rires, se rappellent ce jour où voyant venir le pire, VK, devant témoins ahuris, rencontre le Président Fatshi, plutôt que de plaider sa cause, forme le numéro de téléphone de sa femme, passe Hamida au Président de la République. Message de celle-ci au Chef de l’Etat : «Je vous supplie, Excellence Monsieur le Président de la République, de laisser le vieil homme malade Jammal sortir de prison».

Tshisekedi n’en revient pas. Ce jour-là est né le grand soupçon...
Si le Libanais prétend avoir «fait cadeau» d’un espace de terre à Massaro pour services rendus à la SONAS, l’intéressé le contredit en déclarant l’avoir acquis à titre onéreux.

DEUX ENFANTS RECHERCHES.
Comment se fait-il que ses deux enfants se soient volatilisés? Activement recherchés par la justice congolaise dans le cadre de ce procès, le 27 mai, le Procureur général en charge du dossier Adler Gisula Betika Yeye a adressé une commission rogatoire internationale chargeant le Procureur général de Beyrouth, de mettre la main sur deux enfants Jammal (Jammal Jammal né à Kounakri le 17 mars 1974 et Jammal Hussein né au Liban le 11 février 1980 ), poursuivis par la justice congolaise pour deux chefs prévention, détournement des deniers publics et corruption. de les interroger sur l’affaire Samibo Congo Sarl et Husmal Sarl dans le cadre d’un détournement d’une somme globale de 114.500.000 $US sur lequel 59.637.500 $US «ont été effectivement payés» par le Trésor public congolais. Ils sont poursuivis, dans le cadre du procès des 100 jours, d’avoir également un véhicule tout-terrain de marque Range Rover, une Tpyota Prado TX. Si Hussein a reçu, selon l’acte du Procureur général, une somme de 3.655.00 $US, Jammal Jammal est poursuivi pour avoir reçu 25.981.700 $US.

Ce procès que notre journal a appelé «procès du siècle», déchaîne tellement des passions au Congo et sur ses réseaux sociaux que Le Soft International, une fois n’est pas coutume, reprend ci-après deux textes qui lui ont paru pertinents après qu’il les a passés à l’épreuve du secrétariat de rédaction, coquilles, et rewriting. Mais l’essentiel est sauf.

UN CRIME INTELLECTUEL.
L’homme a la réputation d’être très intelligent d’après beaucoup de Kinois. Très discutable. Ce qui est sûr est qu’il aime parler, a la verve oratoire, y va parfois avec de grandes envolées souvent avec ostentation.
Lors de la cérémonie de prestation de serment à l’occasion de la passation de flambeau, le 24 janvier 2019, il est sûr de lui. Dans le costume de Directeur de cabinet du nouveau Président de la République, il prend toute la mesure du pouvoir qui se déroule à ses pieds. La proximité du tapis rouge, symbole du pouvoir.

Lui, Vital Kamerhe Lwa Kanyinginyi Nkingi, dit VK.
Il rentre dans la première ligne du pouvoir, après avoir galeré plusieurs années dans l’opposition.
Depuis la publication des résultats des élections, il a eu le temps de se rendre compte que le pays souffre d’un manque criant de contrôles a priori et, a posteriori, à tous les niveaux de la gouvernance de l’Etat.
Il croit son chef au grand cœur, malléable à souhait. Il sait qu’il est un acteur majeur du deal secret de l’alternance qui a catapulté Fatshi à la tête du pays, permettant une alternance sans un coup de feu. Alternance malheureusement tronquée pour une large majorité de Congolais qui s’attendaient visiblement à d’autres résultats. Cela, c’est une autre histoire.

Kamerhe est conscient qu’il tient en partie son Président par les barbichettes. En grand félin, il sait qu’il se servira un jour de ce précieux avantage. N’est-il pas, son premier partenaire politique? Il se voit en toute légitimité prendre les rênes du pouvoir exécutif, la Primature ou, à défaut, tout autre poste de gouvernance, suite à leur accord de Naïrobi.

DECOR D’URGENCE DIGNE.
Lui le faiseur des rois, du moins, même pendant un temps court, puisque la victoire n’a pas été du tout totale, le temps qu’un gouvernement issu des Législatives soit mis en place.
Il sait que les négociations seraient âpres avec l’autre force qui a obtenu la factice majorité parlementaire. Il sait que le temps lui est compté et qu’il doit agir vite, pour la réalisation de ses ambitions. Ambitions d’enrichissement. Mais agir bien et très vite. Monter un attelage de haut vol.

Il concocte son plan et plante à la nouvelle Présidence de la République un décor d’urgence digne, théoriquement, de meilleures stratégies de grands acteurs politiques comme il aime à se présenter lui-même : il va proposer au chef, tête encore dans les nuages, contesté et à la limite de l’illigimité, un projet dont il est à 100% l’auteur intellectuel : «Le projet d’urgence des 100 jours du Président de la République».

Il prend soin de sélectionner lui-même en dernier ressort, et très soigneusement, tous les projets qui embarquent plusieurs domaines, à commencer par celui des infrastructures jusqu’à la gratuité de l’enseignement, en passant par les maisons préfabriquées et bien d’autres encore dans divers domaines de vie. Car, pense-t-il, ce projet sera pour lui l’anti-chambre de préparation et d’enrichissement avant le pouvoir suprême en 2023 qu’il appelle de tous ses vœux. Il ne doit pas manquer cette opportunité d’être à la gouvernance du pays, après avoir échoué d’être désigné Premier ministre à l’issue du dialogue de la Cité de l’Union africaine lors des négociations de glissement de fin de mandat constitutionnel de Joseph Kabila en 2018.

Il se met à l’œuvre. Il conçoit et sélectionne seul tous les prestataires des services, parmi lesquels le Libanais Samir Jammal de Samibo Sarl, qu’il a contacté au préalable. Il va associer dans l’exécution du projet qu’il se prépare à piloter en mode solo d’autres prestataires publics, Office des Routes, OVD, Foner etc., d’autres sous-prestataires de moindre importance pour l’ensemble du projet. Il veut écarter tout soupçon et question de faire bien, de brouiller les pistes.
Il sait que la plus grande part du gâteau dans ce projet, il l’aura dans le projet des maisons préfabriquées à Istambul, en Turquie, où il existe déjà un projet de gré à gré mais qui souffrait de financement, projet très avancé du point de vue des procédures de passation des marchés publics puisqu’il dispose déjà des autorisations, qu’il a été initié par le précédent gouvernement Tshibala désormais passé au mode intérimaire, et qu’il a pris en réalité soin de neutraliser et d’inhiber.

«PAS N’IMPORTE QUEL DIRCAB».
Il sait aussi que les infrastructures liées aux sauts-de-moutons ne laissent pas assez de marges de manœuvres, les Kinois étant très regardants, surtout par ces temps des réseaux sociaux et des médias en ligne.
Il sait enfin que le Président de la République est très souvent parti en voyage, qu’il n’aura pas le temps de fouiner dans ce qu’il considère déjà comme ses propres plates bandes.
Mieux, VK obtient du Chef qu’il lui donne la signature au titre d’ordonnateur principal des dépenses liées à ce projet, en l’absence du gouvernement de plein exercice, issu de la nouvelle législature, écartant du coup, de la chaîne des dépenses, le ministère du Budget.
Après moult hésitations, le Président cède. VK a désormais le feu vert, toutes les cartes en mains.
Il sait que quoi qu’il fasse désormais, il a la formule magique qui le mettra à l’abri de tout : «Sur instruction du Président de la République, j’ai décidé...».

À défaut d’être Président de la République lui-même pour prendre des ordonnances, Premier ministre pour prendre un décret, ministre pour décider par arrêté, VK gouverne par «décision», selon la formule d’usage consacrée. Encore qu’il s’est offert le rang de Vice-Premier ministre et claironne sur tous les médias : «Je suis DirCab mais pas n’importe quel DirCab. N’oubliez pas que je suis le Partenaire du Président de la République...». Rien n’est plus clair...
Il se fait pousser des dents très longues comme celles des carnassiers. Car il a l’intention de déchirer. Déchirer quoi? Les arques publiques. L’escarcelle de tous les Congolais. Et ça fera mal, très mal! Le félin est prêt à sauter sur sa proie. Ces dollars tant convoités…

Épouser la pétillante et très enviée Mama Congo, «Mwasi ya Pembe», Hamida Shatur. la dépense, 1.500.000 $US, est décaissée du Trésor public. L’homme venait pourtant du chômage et était crevé. Tout Kinshasa se rappelle le faste de ces cérémonies qui duré du 12 au 14 février 2019, la Saint Valentin, et de tout le bling bling qui les avait accompagnés. Tous vêtus de blanc, invités sur sa petite île, embarcations maritimes, champagne grand cru, vins millésimés, viande, musique, bijoux, etc.

Ce fut l’une de ces fêtes privées que Kinshasa n’avait plus vues depuis les temps mémorables de Mobutu Le Maréchal, de triste ou d’heureuse mémoire. Tout Kinshasa commente l’événement, dans des sens divers. Toute la crème de Kin-La-Belle est présente. Plus tard, on saura de la bouche même de la mariée que les convives leur ont offert près d’un million de $US à l’occasion de ce mariage people. Vrai ou faux, c’est sa parole contre celle des juges.

Ce qu’on remarque, avec cet événement, ce n’est pas tant l’aspect people et bling-bling des festivités, l’ostentation, les indices extérieurs d’enrichissement qu’inaugurait le désormais Tout Puissant Directeur de cabinet. Son train de vie était passé de zéro à cent en un clin d’œil, à l’étonnement de son partenaire de pouvoir, qui, surpris et, non sans raison, lui pose la question de savoir d’où lui vient tout cet argent. Et avec l’ahurissement de tous les Kinois, témoins de ces fastes de nouveaux tenants du pouvoir, alors qu’il y a peu, ils croupissaient dans la misère. Ils voyaient leur rêve, mieux exprimé par l’expression chère au Sphinx de Limeté, le père du Président, Étienne Tshisekedi, «le peuple d’abord» s’évanouir, s’effriter par une nouvelle génération des vautours dont Kamerhe commençait à représenter la plus grande référence, après les Kabilistes de dernière heure.

IL FAIT MINE DE S’ENTOURER.
Le DirCab va prendre contact avec Jammal par l’intermédiaire de son cousin Daniel Shangalume Nkingi dit Massaro ou «Gombe na Gombe» qui connaît bien la famille du président des Libanais du Congo puisque depuis un temps, ce dernier leur aurait vendu des dossiers d’assurance de la SONAS où il pointe comme cadre commercial et brooker-courtier sans y être vraiment.

VK sait a priori que les Libanais sont de grands corrupteurs et de grands corruptibles. Il explique à Jammal, le patriarche de 82 ans, que son projet en souffrance d’exécution au ministère du Développement rural pourrait être retenu dans le programme des 100 jours s’il se montrait coopératif.

Fin janvier, Kamerhe a vu s’envoler le poste de Premier ministre que prévoyait pour lui l’accord à deux de Nairobi, suite à la nomination par le camp en face, des élus des Chambres nationale et provinciales et après l’accord de coalition signé par les deux Présidents, Kabila et Fatshi qui destine le poste de Premier ministre aux Kabilistes.
Depuis, VK est directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, un poste non moins stratégique. Car, entre-temps, il a fait vérifier par ses services, les prix unitaires de chaque maison préfabriquée en Turquie et il sait que ces prix sont en-deçà de ceux facturés au Trésor congolais. 5.000 $US et 11.000 $US là où le projet retenait 19.000 $US et 34.000 $US. La différence en $US est abyssale. Jammal n’est pas né de la dernière pluie...

Mais le président des Libanais sait aussi qu’il se trouve face au Tout Puissant Directeur de cabinet du Président de la République, l’homme orchestre du Programme des 100 Jours, l’ordonnateur des dépenses. L’homme est craint et il y a lieu de le courtiser. Il a la signature pour forcer qui il veut, le trésorier de l’État, le ministère des Finances. Il sait agir avec efficacité auprès de la Banque Centrale du Congo et obtenir le décaissement des fonds.
Avec l’arrivée de Fatshi, tout est possible. Dont le nettoyage des écuries d’Augias. Chacun est sur le qui-vive. VK rassure celui qui sait coopérer... Pour mieux amadouer le vieux libanais, VK lui fait miroiter sa ferme intention de remodeler son contrat en le passant de 900 à 1.500 maisons. Soit de 26 à 57 millions $US. À la seule condition qu’il ait droit à la moitié de ce pactole, en rétro-commissions. En contrepartie, il s’assurera que le Libanais reçoive la totalité de ces fonds bien avant tout début d’exécution du contrat, outrepassant tous les verrous de la République en matière de protection des marchés publics et des procédures des dépenses publiques.

L’offre alléchante et irrésistible. VK est très convaincant, ça marche. C’est un fin séducteur et dragueur. Hamida Shatur en sait quelque chose. Elle qui s’est laissé débusquer d’une relation antérieure avec Didi Kinuani, un homme pourtant fortuné et réputé, grand négociant des diamants et autres pierres précieuses.
VK explique au Libanais que la totalité du contrat, soit 57 millions de $US, atterrira dans son compte en paiements fractionnés dans un maximum de deux mois. Obnubilé par le gain facile et rapide, Jammal cède. Le deal est signé, au milieu d’un sablement de champagne dernier cru.

L’INFRACTION INTELLECTUELLE.
En fin stratège, et, après coup, et pour écarter les soupçons qui pouvaient tomber sur lui alors qu’il vient de se mettre d’accord avec son complice, VK estime qu’il est temps de s’entourer officiellement. Il constitue autour de lui une équipe de travail. Une équipe de supervision dont il est le chef suprême mais aussi une équipe de coordination. Equipes conçues pour être le parfait paravent contre tous les soupçons et contre toutes les critiques.
C’est cela la clef de l’infraction intellectuelle, un délit d’initié. Le clou.

VK prend bien soin d’incorporer dans l’équipe de supervision les différents responsables des institutions et organismes publics impliqués dans l’exécution du projet des 100 jours. Des membres du gouvernement en mode d’expédition des affaires courantes qui font partie de la chaîne des dépenses, y compris le caissier de l’Etat, la BCC. Et dans l’autre équipe, celle de coordination, il récupère ses fidèles lieutenants de toute confiance. Ce sont des membres de son parti qu’il a amenés à la Présidence de la République, tous du Sud Kivu, issus du territoire de Walungu, comme lui. Pour effacer le tableau, il les mêle à quelques conseillers luba qui n’y voient que du feu, mais prend soin de réserver la préséance, dans la majorité des cas, aux siens. Il choisit parmi les Swahiliphones ceux qui seront permanents.
Poussant son cynisme à un niveau rare, il choisit sciemment le fils de Jacques Kazadi Nduba wa Dile, à savoir, Nicolas Kazadi Kadima-Njuzi, brillant garçon luba, comme chef de la commission de coordination, alors qu’il sait qu’ambassadeur itinérant du Chef de l’État, celui-ci n’aura jamais le temps d’y siéger, le Président de la République qui multiplie des déplacements à l’étranger, amène celui-ci dans sa suite.

VK s’est donc assuré que cet homme ne pourra pleinement exercer ses prérogatives de coordination, lui laissant les mains libres à lui-même et à ses lieutenants swahiliphones, d’agir. Familier de l’arrogance du conseiller principal du Président de la République en matières économiques et financières, Marcelin Bilambo, avec qui il a toujours maille à partir, puisque leurs rivalités sont évidentes, et il le craint, VK le met comme membre à la coordination, plutôt qu’à la supervision, sachant qu’il finira par craquer et par claquer la porte.

Son coup était bien calculé puisque ce dernier part avant même que la commission ne commence à siéger.
Nul ne critiquera pas Kamerhe pour l’avoir incorporé dans l’équipe des experts. Il met de côté d’autres experts spécifiques, conseillers du Chef de l’État du collège des Infrastructures, ceux des Travaux publics, etc.
Concrètement, dans le fonctionnement de ces deux commissions, VK a tout cloisonné. Il crée des zones d’étanchéité à l’intérieur car sa véritable intention est de mettre en place un véritable système opaque et incompréhensible par tous les autres composants, excepté lui-même : il pilote en solo toutes les réunions dont les ordres du jour ne sont connus avec antériorité que de lui-même et jamais communiqués aux autres membres surpris par des productions écrites et visuelles, des projections dont ils ne savent ni l’origine, ni toute la pertinence, ni le choix des projets, ni celui des prestataires. La décision ayant été prise par lui, et par lui seul, cadenassée.

TOUS POUR LE SEUL KAMERHE.
Il cadre, il recadre, fixe l’orientation, imprime la vision, le rythme, etc. Bref, les membres sont floués. Ils ne savent pas quel laboratoire conçoit et fournit toutes les idées, qu’ils auraient dû mettre en place collégialement. Ils sont tirés de la corde comme des brebis qu’on amène à l’abattoir.
Dans l’entourage luba du Chef de l’Etat, la grogne monte. C’est ce qui lui vaut le grand clash avec Marcelin Bilambo. Comment peuvent-ils être bernés comme de petits enfants ? Cela devenait insupportable pour beaucoup. Mais VK a mêlé le chef. Il a le pouvoir, et l’aval du chef pour agir. Il est intouchable. On peut l’égratigner, le gratter, pas le blesser. Certains ont choisi de le caresser dans le sens du poil. Les brebis noires, rebelles de nature, sont sorties de la bergerie. Il fallait qu’il y ait un seul berger. Un seul Pasteur. Pas deux, ni trois, ni quatre…

C’est en cela que consiste la beauté du crime. Le DirCab a eu le temps de le penser, de le fignoler. En tant que «designer» du crime, il a embarqué et impliqué tous ses autres co-équipiers sans que beaucoup ne se rendent compte qu’ils travaillent tous pour lui, et pour lui seul. Y compris le Président de la République...
Puisqu’en réalité, ces commissions, de supervision ou de coordination, dans leur fonctionnement, ne sont que de véritables caisses de résonance, où se reflètent, tel dans un miroir, les volontés d’un seul homme, Kamerhe. C’est une bande d’accompagnateurs sans pouvoir, ni de conception, ni de coordination, ni de supervision. Ce sont des simples organes d’exécution de circonstances. Ce furent des «commissions de façade», l’expression est de Marcelin Bilambo.
À l’intérieur d’elles, elles sont creuses, cloisonnées, incapacitées, rendues inefficaces, vidées de leurs vraies substances. Il n’y avait qu’une seule empreinte, celle du Tout Puissant DirCab, «le Sisa Bidimbu», l’homme qui lègue des empreintes...
C’est cela le crime d’intellectuel. C’est en cela que réside l’intelligence du crime : faire croire qu’il existe une équipe de conception, de coordination, de supervision alors que ce sont des instruments au service des ambitions d’un individu qui conçoit tout, contrôle tout, oriente tout et bénéficie presque seul, des retombées invisibles, que lui seul a pu et su identifier, à temps.

DES PRIMES A LA PELLE.
Une seule chose semblait pourtant retenir encore beaucoup de ses coéquipiers : les succulentes primes. Présent ou absent aux réunions, chaque membre perçoit ses primes. Comme il en pleuvait... Et pas des petites puisque c’est des centaines de mille $US chacun. Au Congo, les hommes politiques en sont friands. Et, ça, Kamerhe l’a compris plus que son chef hésitant. Il vaut avancer sans contrepoids, lâche du lest. Il ne définit pas bien les termes de référence (le job description), qu’importe ! Il désigne les gens à la volée, en aparté, sans texte écrit. Façon de te mettre en confiance, d’en être dépendant... Il invite qui il veut, laisse de côté qui il souhaite. C’est ainsi que des membres éminents de la commission de supervision, des ministres - Développement rural, Budget, Infrastructures, etc., - ne recevront aucun carton, mais n’ouvriront pas la bouche qui ne peuvent parler avec des $$$ US pleins la bouche. Ils finissent par montrer leur exaspération, frustration, leur impuissance, conscients que VK est l’homme seul aux commandes du projet. Où se plaindre? A personne!

Soucieux de préserver son poste, le gouverneur de la Banque centrale partage son embarras avec le Conseiller principal face aux pressions venues du puissant DirCab sur des paiements qui s’accumulent sur son bureau alors même que les réserves de change à trois semaines, soit à un niveau jamais atteint, s’amenuisent encore. S’il lui reste 800 millions de $US dans les coffres, il lui faut encore payer 800 millions de $US. A considérer, le coup de maître de Milambo à la troisième journée d’audience qui parle, document à l’appui, de 66 millions de $US décaissés, le gouverneur s’est assuré un petit pactole.
Les réunions, elles, sont très rares, pas plus de quatre en un an. VK a pris sa revanche sur Kabila, par Fatshi interposé, qui l’a évincé comme un chien galeux. Pour aujourd’hui comme pour demain, il lui en faut des millions de $ voire des milliards de $. Il doit aussi satisfaire les goûts de sa superbe épouse qui en sait de la vie et réclame un fonds de commerce à la hauteur de la première dame, qu’elle se prend aussi.
Il fallait à tout prix parer au plus pressé. Aussitôt la prestation de serment passée, sur proposition du DirCab, le projet était lancé, début mars 2019, par le Chef de l’État à l’échangeur de Limete. Les mots bien choisis par VK lui-même. Avec l’exécution, arrivent les premiers couacs. Le redimensionnement du projet Samibo ne reçoit pas l’agrément de l’incontournable DGCMP, la Direction Générale des Contrôles des Marchés Publics. L’avenant censé régulariser la montée du nombre des maisons passé de 900 à 1.500, retoqué. Une vraie tragédie pour VK. Mais pas question d’attendre un arrangement alors que l’annonce de l’équipe gouvernementale prend son dernier tournant, le formateur étant déjà désigné. Qu’importe! Au pire, il dispose d’une carte : faire venir des néophytes qui n’y verront que du feu, à qui il faut tout apprendre. Il faut encore vendre le projet et à l’UDPS émerveillée, et au Président de la République, et à Joseph Kabila pour ses FCC. C’est le grand piège du Septennat... Un immense pays, avec ses 400 tribus aux mains de ceux qui n’ont jamais eu la moindre expérience d’Etat... C’est mortel. Satanique.

LA CLAMEUR POPULAIRE.
Sylvestre Ilunga Ilunkamba a mordu, et vante une équipe de jeunes et de femmes... VK ne veut pas des problèmes avec ceux qui en savent sinon plus que lui, au moins autant que lui.
VK tient à ses paiements. Il en ordonne le paiement en procédure d’urgence, en paiements fractionnés certes, mais en totalité, quitte à mettre en péril les réserves de change et toute la politique monétaire du pays. Il bypasse le ministre du Budget Kangudia, ami de longue date et son DirCab du temps de l’Assemblée nationale, prééminent cadre de son parti UNC, qui a traversé l’avenue, donc peu sûr. Désormais, «sur instruction de S.E Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat», tous les ordonnancements des dépenses de la République partent du bureau du DirCab, atterrissent sur la table du mignon ministre des Finances Yav, vont à la Banque Centrale. Plus de contrôle budgétaire. Sans soubassement légal, puisque aucun contrat n’existe entre la République et Samibo Sarl sur les 1.500 maisons, ni d’avenant, Kamerhe fait course en tête aux conséquences incalculables. Qu’importe! Il lui faut absolument payer, tout de suite. Le trésorier de la République obéit, paie sans broncher.
Les millions partis à Ecobank sont redirigés à Rawbank avant de disparaître dans la nature dans Kinshasa, prend la direction des maisons particulières, s’envole vers les paradis fiscaux libanais, grecs, comptes de l’épouse qui reçoivent des dépôts en cash suspects, comptes des enfants sans emplois ni activités génératrices des richesses ouverts et immédiatement approvisionnés de faramineux versements, etc. Désordre total, consternation chez les analystes et les organismes de la Société civile en charge de veiller sur l’exécution des marchés publics. La rumeur publique s’enfle, parle détournements.

Qui détient la preuve de quoi? Fête totale chez les Jammal et les Kamerhe. Les Swahiliphones de Walungu postés à la Présidence de la République jubilent. Là où le Chef de l’Etat, les Kinois, les experts lubas de la Présidence de la République, la DGCMP, les ministres, etc., ne voient que du feu.
Sous la pression de la clameur populaire devenue insupportable pour le nouveau pouvoir, le Président de la République diligente un audit de son Programme des 100 jours qui aboutit à une enquête judiciaire. Voyant que la situation semblait beaucoup plus grave que ce qu’elle paraissait, Fatshi se voit obligé de bouger ses fiches. Il nomme de nouveaux responsables, de hauts magistrats pour répondre en partie à la clameur populaire d’une part et d’autre part, à ses promesses de campagne d’instaurer un État de droit.

Fin mars 2020, on commence à voir sur les réseaux sociaux un certain Daniel Massaro, super inconnu, avec des bottes encore plastifiées de liasses de $US que caresse, dans son salon, son bébé. Pas moins de 1 million de $US.
Le 9 avril 2020, Kinshasa se réveille abasourdi. Invité la veille à comparaître au Parquet général de Matete à Limeté, le DirCab a fini par être jeté au CPRK, la prison centrale de Makala. Détention préventive après six heures d’audition. L’affaire a fini par être fixée au tribunal. L’instruction pré-juridictionnelle a établi que des indices graves de culpabilité pesant sur les inculpés Kamerhe et Jammal. Détournement des deniers publics, corruption, blanchiment des capitaux et financement du terrorisme sont les chefs d’inculpation.
Ce procès a connu un incident majeur: le décès subit non élucidé du juge président Raphaël Yanyi Ovungu - «mort comme un soldat au front», selon un parent du juge - de la composition.

ON A TUE LE JUGE PRESIDENT.
«Il est mort subitement d’une crise cardiaque dans la nuit du mardi à mercredi 27 mai. Vers 2 heures, il a eu des malaises et on l’a conduit au centre hospitalier Nganda. Il a succombé des suites d’une crise cardiaque», selon un responsable de la police de Kinshasa, le colonel Miguel Bagaya. Le juge venait de clôturer la deuxième audience de ce procès, ne présentait aucun malaise, mais a été conduit à l’hôpital, après avoir mangé une banane, vomi du sang alors que la couleur de sa peau noircissait, explique un membre proche de la famille.
Après l’audition des témoins lors de la troisième audience, l’affaire a été renvoyée à la huitaine pour plaidoiries contradictoires entre parties.
Malgré ses envolées oratoires, VK, a, à plusieurs reprises, réclamé au ministère public de lui montrer ce qu’il a volé, où et qui lui aurait remis l’argent volé.

Il est pourtant poursuivi pour détournement des deniers publics, non pour vol. Dans son réquisitoire, le ministère public va démontrer que payer l’argent de l’Etat là où il n’existe pas de contrat signé, entre l’État et un attributaire, c’est détourner. Détourner c’est dévier l’argent de l’État de sa destination ou de son affectation prévue dans la loi budgétaire. Payer quand il existe déjà des clauses d’exonération, c’est détourner. Faire payer à l’État là où le contrat stipule que c’est à l’attributaire de prendre en charge tels ou tels frais, c’est détourner. Payer des surfacturations, c’est détourner. Utiliser une partie des fonds décaissés par le Trésor public pour un usage individuel autre que celui pour lequel il a été destiné, c’est détourner. Recevoir des rétro-commissions en contrepartie d’un marché public, c’est détourner.
Il me semble que tout ou partie de ces chefs d’accusation seront établis dans les faits à charge des prévenus. À des degrés divers de responsabilités en ce qui concerne chacun. Il n’ y a pas de crime parfait, disent les juristes. La perfection appartient à Dieu seul.

L’être humain commet toujours une petite erreur quelque part. Il appartient aux juges, ministère public et partie civile, de déceler les failles de la démarche intelligente et intellectuelle dans la consommation de l’infraction de détournement des deniers publics. Kamerhe et son équipe d’avocats de la défense ne leur rendront pas la tâche facile. Ces genres de crimes intellectuels, comme le sont les crimes de délits d’initiés ou de manquements d’initiés, sont, devant les cours et tribunaux, les plus difficiles à prouver.
JOHN KUZIMBIKISA.


Related Posts