Docteur en Droit public et chercheur à la Sorbonne, Martin Mulumba donne un avis
  • mar, 12/05/2020 - 05:14

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1485|MARDI 12 MAI 2020.

Quelle suite à l’action du pasteur Mukuna.
Sans aucun doute, Pascal Mukuna a retourné sa veste. Le chef de l’ACK, l’Assemblée Chrétienne de Kinshasa, évêque d’église de Réveil, jure qu’on ne l’y prendra plus. Il a quitté le camp Kabila pour de vrai. Il fut des années durant très proche de l’ancien couple présidentiel et joua le rôle, lors de la dernière campagne pour la présidentielle en novembre 2018, de conseiller spirituel du candidat désigné par Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, secrétaire général du parti présidentiel PPRD.

Désormais très amer dans des prêches incendiaires, le 7 mai, l’évêque a déposé une plainte pour crimes de sang à la Cour de cassation. Il appelle la communauté internationale et la Cour pénale internationale à se saisir du dossier. Il reproche à l’ancien président l’assassinat d’activistes des droits de l’homme (Armand Tungulu, Floribert Chebeya, etc.), le massacre des adeptes du mouvement Bundu Dia Kongo et celui des militants du CLC ou les fosses communes de Maluku.

D’où le courroux du Front commun pour le Congo, FCC, la plate forme politique de l’ancien président.
«Ce que fait Pascal Mukuna n’est ni éveil patriotique, ni prophétique mais une mobilisation tribalo-kasaïenne basée sur la haine, la jalousie et l’ingratitude. Il doit savoir Mukuna qu’il a allumé un feu qui ne peut être éteint que par un autre feu, oublie que», écrit dans un tweet ravageur un autre pasteur d’église de Réveil, l’ancien président de la CENI, Daniel Ngoy Mulunda Nyanga.

L’action de Mukuna trouverait écho auprès du président du MLP, Franck Diongo et de l’activiste des droits de l’homme et président de l’ASADHO, Jean Claude Katende.
L’objectif de l’éveil patriotique est la rupture de l’alliance entre CACH et le FCC.
L’initiative de Mukuna lui a valu une interpellation au CNS, le Conseil national de sécurité, à en croire l’intéressé qui s’est confié sur une chaîne télé populaire dans la Capitale.
La justice congolaise peut-elle poursuivre un ancien Président de la République pour des faits commis lors de son exercice?

Chercheur en Droit public à l’Université Paris 1-Sorbonne, spécialiste Droit, Martin Mulumba pose une question avant d’y répondre. La question : «qui peut imaginer un seul instant que le constituant prévoit (autorise) les poursuites contre le président de la République en place pour les infractions précitées, ce qui peut même créer une instabilité à la fois sur le plan institutionnel et politique, et que le même constituant aménage un sanctuaire d’immunités pour ancien président qui aurait commis les mêmes faits quand il était en fonction?» Ci-après:

J’ai suivi avec attention les échanges sur la responsabilité pénale de l’ancien président de la République, qui doit (peut), oui ou non, être poursuivi devant la Cour constitutionnelle pour les faits commis par lui à l’occasion de l’exercice de ces fonctions. Ci-après ma lecture suivante de la Constitution:
Parmi les innovations apportées par le constituant de 2006 dans le cadre de la lutte contre l’impunité et la garantie de la bonne gouvernance, se trouve la réaffirmation de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans cette perspective, la responsabilité pénale du président de la République a été bien encadrée et aménagée.

La Constitution indique clairement que la Cour constitutionnelle est le juge pénal du président de la République et du premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.
Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices (Art. 164).
Une interprétation téléologique ou finaliste de cette disposition constitutionnelle renseigne clairement que les infractions commises par un président de la République à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et qui rentrent dans les catégories énumérées, ne sont pas couvertes par une immunité de la fonction, elles sont donc punissables.
On peut facilement observer, que le constituant situe le moment de la commission de ces faits, c’est-à-dire pendant que l’on exerce la fonction présidentielle, mais ne dit pas, à quel moment une plainte peut être déposée contre le titulaire de cette fonction, qui commettrait ces faits.
Mais en précisant le moment de la commission de ces faits (à l’occasion de l’exercice de ses fonctions), le constituant laisse la porte ouverte pour les poursuites, qui peuvent être initiées pendant que l’intéressé est encore en fonction ou après l’exercice de la fonction.

Non seulement que la Constitution n’organise pas le régime de l’irresponsabilité pénale du chef de l’Etat pour les faits cités à l’article 164 , et repris par l’article 72 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, mais ne s’exonère pas tout ancien président de la République pour ces mêmes faits commis pendant l’exercice de sa fonction.
A ce titre, un ancien président de la République est justiciable de la Cour constitutionnelle, selon la procédure prévue par la Constitution, la loi organique précitée et le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle.
De ce point de vue, on doit clairement dire, que c’est la Constitution qui organise la responsabilité pénale du Président de la République , le constituant n’interdit aucune poursuite contre un ancien président de la République pour les faits prévus à l’article 164, qu’il aurait commis pendant l’exercice de ses fonctions, sinon il l’aurait dit clairement.
D’aucuns s’interrogent sur la loi votée en 2018 portant le statut des anciens présidents de la République. Encore une fois, on ne doit pas interpréter la Constitution à partir d’une loi, mais plutôt cette loi à la lumière de la Constitution qui fonde toute sa légalité.

Est-elle conforme ou en contradiction avec la Constitution?
Notons que le constituant n’a pas été amnésique en faisant de droit, tout ancien président de la République élu, sénateur à vie ( Art. 104), mais simplement, sa responsabilité pénale pour les infractions commises au moment de l’exercice de la fonction présidentielle doit s’interpréter à la seule lumière de l’article 164 de la Constitution et de l’article 72 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.

De ce point de vue, la lecture combinée des articles 164 et 104 de la Constitution doit toujours être faite à l’aide d’une interprétation systémique, qui permet non seulement de prendre le texte constitutionnel dans sa globalité mais surtout de comprendre d’une manière claire, la responsabilité pénale du président de la République qu’il instaure.
Qu’il s’agisse de l’article 164 de la Constitution ou de l’article 72 de la Loi organique du 15 octobre 2013, rien n’empêche que les poursuites soient engagées contre un chef de l’Etat après son mandat, c’est-à-dire en étant un ancien président, donc un sénateur à vie.

Toute possibilité d’engager les poursuites ou de déposer une plainte contre un ancien président pour les infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, ne peut jamais être considérée comme contraire à la Constitution.
Qui peut imaginer un seul instant que le constituant prévoit (autorise) les poursuites contre le président de la République en place pour les infractions précitées, ce qui peut même créer une instabilité à la fois sur le plan institutionnel et politique, et que le même constituant aménage un sanctuaire d’immunités pour ancien président qui aurait commis les mêmes faits quand il était en fonction? La simple logique ou le bon sens conduit à exclure catégoriquement une telle hypothèse.

On gardera à l’esprit, que l’interprétation sémiotique de l’article 164 de la Constitution ou de l’article 72 de la Loi organique du 15 octobre 2013 indique seulement le moment de la commission de ces infractions, c’est-à-dire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de la fonction présidentielle, mais ne limite pas les poursuites (dépôt de toute plainte) que pendant l’exercice de cette fonction!
De ce point de vue, un ancien président de la République peut bien être poursuivi devant la Cour constitutionnelle, pour ces infractions commises par lui dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de la fonction présidentielle.
MARTIN MULUMBA
Docteur en droit public, spécialité Droit de l’Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne.


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