Quand des juristes plongent dans le dossier qui défraie la chronique
  • dim, 12/05/2024 - 15:27

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1608|VENDREDI 10 MAI 2024.

Les juristes sont partout au monde des génies. Ils le sont au point d'avoir la capacité de faire croire le contraire de ce que l'on peut voir. Tout est dans la compréhension et l'interprétation des textes. Pas sûr. Il n'empêche! D'où le rôle des Hautes Cours, Cour Suprême aux États-Unis et ailleurs, Cour constitutionnelle au Congo et ailleurs. Même après des arrêts ultimes rendus par ces cours, jamais le consensus n'est acquis.

« Un imbroglio juridique sévère », commente en privé un team de juristes dans l'affaire qui défraie la chronique qui oppose des médias et des influenceurs sur des réseaux sociaux au ministre des Finances, Serge Nicolas Kazadi Kadima Nzuji.

D'où l'intérêt porté par les juristes et la justice. Dans une note du 27 avril 2024 (réf. 1887/RMP.V/0198/PGCCAS/MVMMUK/2024) adressée au Directeur Général de la Direction Générale de Migration, DGM, le Procureur Général près la Cour de Cassation, Firmin Mvonde Mambu a annoncé que son office avait «ouvert une enquête judiciaire à charge des (Messieurs) Nicolas Kazadi Kadima Nzuji, Ministre des Finances ; François Rubota Masumbuko, Ministre d'État au Développement Rural ; Monsieur Guy Mikulu Pombo» (ministre honoraire au Développement Rural)».

La note qui a pour objet « interdiction de sortie de Kinshasa et du Territoire national», détaille : «Dans le but d'empêcher que les susnommés accusés d'avoir commis l'infraction de détournement des deniers publics, ne puissent se soustraire des poursuites judiciaires engagées contre eux, je vous enjoins d'instruire tous vos services œuvrant aux postes frontaliers d'interdire ces derniers de sortir de Kinshasa où ils sont tenus de répondre devant l'organe de la loi et du territoire de la République Démocratique du Congo». Puis : « Il y a urgence ».

UNE PLONGÉE DES JURISTES.
À la suite de cette note du Procureur Général, le ministre des Finances Nicolas Kazadi a été empêché, dimanche 28 avril, à l'aéroport de N'Djili, de monter dans l'avion. Le ministre se rendait en Europe, avec ordre de mission, dans la suite de la visite officielle du président de la République. D'où l'intérêt des juristes sur la question. Ils invoquent des moyens de droit, attaquent dans sa forme cette décision jugée «irrégulière, illégale, attentatoire à la liberté individuelle».
« Tout est dans la forme, et il n'y a entre le crime et l'innocence que l'épaisseur d'une feuille de papier timbré », Anatole France.

«La lettre du 27 avril 2024 du Procureur Général près la Cour de cassation est illégale et irrégulière car celui-ci ne pouvait pas sans autorisation de l’Assemblée Nationale contraindre le ministre Nicolas Kazadi, ni annoncer des poursuites inexistantes. L’exécution de cette lettre par la DGM a porté une atteinte arbitraire à la liberté individuelle du ministre Kazadi constitutive d’une infraction pénale.

De même constitue une infraction pénale l’annonce fallacieuse de poursuites judiciaires qui n’existent pas». Puis : «Pour agir à l’encontre du ministre Kazadi, le Procureur Général près la Cour de cassation, autorité émanant du Pouvoir judiciaire, s’est affranchi des prérogatives de l’Assemblée Nationale devant qui est responsable le Gouvernement. Par là, il a violé la séparation des pouvoirs garantie par la Constitution et à laquelle le Président de la République est viscéralement attaché».

«Aux termes de l’article 5 de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006, tout magistrat prête le serment suivant : « je jure de respecter la Constitution et les lois de la République Démocratique du Congo et de remplir loyalement et fidèlement, avec honneur et dignité, les fonctions qui me sont confiées ». Le Procureur Général près la Cour de cassation a réitéré ce serment devant le Président de la République à l’occasion de sa nomination à ses fonctions (article 13 de la loi organique précitée)».

«L’article 47 de la même loi organique dispose que « le fait pour un magistrat de violer les termes de son serment » constitue une faute disciplinaire. Le Procureur Général près la Cour de cassation a donc simultanément commis un acte illégal et inconstitutionnel, une faute pénale et une faute disciplinaire».

Ces juristes anonymes poussent encore plus loin leur analyse et conclusion s'agissant «des solutions respectueuses de l’État de droit». « Une solution principale : la mise en œuvre de l’action disciplinaire contre le Procureur Général près la Cour de cassation permettrait de mener une enquête pour établir les raisons de la signature de la lettre du 27 avril 2024.

Jusqu’à la décision disciplinaire à intervenir le Procureur Général serait en raison de la gravité des faits en cause interdit d’exercer ses fonctions (art. 54 de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2016).Le magistrat assurant l’intérim abrogerait, sur le fondement du principe du parallélisme des formes et des compétences, dès son entrée en fonction la lettre du 27 avril 2024».

Ils annoncent une note qui «examinera plus en détail les voies de droit ouvertes au ministre Kazadi pour solliciter une procédure disciplinaire devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, et pour actionner la saisine du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature compétent pour autoriser les poursuites à l’encontre du Procureur Général près la Cour de cassation (art. 85 de la loi organique 13/010)».

Quant à «une solution subsidiaire», «toutefois, écrivent-ils, s’il s’avérait que le Procureur Général près la Cour de cassation a signé la lettre du 27 avril 2024 par erreur ou à la suite de manœuvres d’un tiers, il est certain que le défaut d’intention de nuire exclurait toute faute pénale ou disciplinaire. Dans cette hypothèse, le Procureur Général près la Cour de cassation retirerait sa lettre du 27 avril 2024 de l’ordre juridique en la déclarant par une lettre à intervenir au plus vite : nulle et non avenue. Subséquemment, l’illégalité et la violation de la séparation des pouvoirs s’en trouveraient effacées».

Ces juristes abordent aussi le fond de l'affaire et en viennent à «l'impossibilité matérielle de détournements imputables à NK», écrivent-ils.
« Contrat d’installation des forages et des stations mobiles de traitement d’eau : Contrat signé (21.04.2021) une semaine avant la nomination de NK au ministère des Finances (28.04.2021) : Aucun rôle de NK dans le choix de l’attributaire ; baisse du coût unitaire des forages et stations mobiles (7.04.2023) obtenue par NK : NK est de facto à l’origine d’une sous-facturation ; sursis au paiement (24.08.2023) contre la volonté du ministère du Développement Rural : interruption du versement de tout denier public à l’initiative de NK».

«Bilan : impossibilité matérielle d’un détournement imputable à NK. Au contraire, NK a refusé que l’État se départisse de deniers publics. Grâce à NK, aucun tiers n’a pu s’approprier des deniers publics hors du cadre contractuel convenu. Les deniers publics sont restés dans la caisse de l’État».

Sur le contrat en lien avec «l’implantation des kits solaires dans la ville de Kinshasa : contrat signé par la Ville de Kinshasa le 31 mai 2022 avec la société Solektra RDC : aucun rôle de NK dans le choix de l’attributaire». «NK accepte le paiement d’un acompte de 30 % par la Ville de Kinshasa mais exige le paiement de Solektra RDC pour 70 % du montant du marché uniquement par lettre de crédit (Lettre 1446 CAB Finances du 8 juillet 2022) ; paiement par la Ville de Kinshasa d’un acompte de 30% à la suite d’un ordre de paiement du 22 juillet 2022 ; la Ville de Kinshasa (11.01.2023) et l’IGF (13.01.2023) demandent le paiement d’un deuxième acompte à hauteur de 41% du montant du marché contrairement à la décision de NK du 8.07.2022; la banque conformément à la décision de NK du 18.07.2022 refuse le paiement demandé par la Ville de Kinshasa et l’IGF».

«Bilan : impossibilité matérielle d’un détournement imputable à NK. Au contraire NK a refusé qu’une personne publique la Ville de Kinshasa se départisse de deniers publics qui était sur son compte. Aucun tiers n’a pu s’accaparer ces deniers publics à la seule initiative de NK». Question de ces juristes : «Pourquoi la Ville de Kinshasa a voulu forcer la décision de NK ?».
D. DADEI.


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