Une interview exclusive de Laurent Batumona au Soft International
  • jeu, 01/09/2022 - 12:06

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1559|JEUDI 1 SEPTEMBRE 2022.

Il est 21 h 13' ce jeudi 25 août 2022 quand, enfin, après un mois d'attente, Laurent Batumona Kandi Kam, le Grand Patron de la Direction Générale de la Dette Publique, DGDP (ex-OGEDEP) et influente personnalité de l'Union sacrée de la Nation, nous reçoit, chez lui, sur les hauteurs du quartier Binza à Ma Campagne.
- «Je suis heureux que vous soyez venu me consulter», lâche-t-il, avant de demander, comme il nous arrive bien souvent à chaque interview : «Comment se porte le prof. Tryphon Kin-kiey Mulumba».
Puis : «Le Soft International demeure le nec plus ultra de la presse».
«Je dirige, poursuit-il comme pour attester ses propos, une grande coalition, les Forces Politiques Alliées à l'UDPS qui est la continuité de l'ancien Rassemblement que dirigeait le Dr Étienne Tshisekedi wa Mulumba, d'heureuse mémoire. En 2018, le président Félix Tshisekedi m'a demandé de coordonner mes collègues présidents d'autres partis politiques et des associations et des personnalités. La coalition a gagné en crédibilité et en stabilité au lendemain des départs de ceux qui avaient suivi Samy Badibanga Ntita et Bruno Tshibala Nzenze. Nous sommes suffisamment raffermis pour consolider notre majorité avec le leadership du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, et nous nous préparons à sa réélection en 2023». Venu à l'origine pour décortiquer des questions qui courent la rue avec force sur la DGDP dont il est le Directeur Général, sur les opérations-retour à chaque paiement de dette, sur le pouvoir politique qui pèse sur ces paiements, etc., comment, face à un homme qui fut le directeur adjoint de campagne du candidat du CACH et aujourd'hui homme clé du régime, ne pas enclencher et surenchérir sur des fissures qui paraissent faire jour au sein de cette Union Sacrée, sur le sombre avenir qui paraît, plus la date des élections approche à grand pas, pointer à l'horizon ?

L'Union sacrée accuse des fissures suite à des frustrations, des déceptions et sentiments d'avoir été ignorés, d'être ignorés... La coalition ne mérite-t-elle pas un recadrage à ces avant-derniers virages vers les élections ?
Non, non... Je ne peux pas dire qu'il y a des fissures au sein de l'Union. Il n'y a même pas eu de départs significatifs. C'est vrai, il y a des capricieux ! Je rappelle que c'est suite à des actes d'insubordination, de confits permanents dans la coalition FCC-CACH que le président Félix Tshisekedi a dû lancer les consultations des acteurs politiques, des forces vives de la Nation, pratiquement toutes les couches sociales. Ainsi, le président a eu l'idée de créer l'Union sacrée.

Les acteurs sont connus. Nous avons travaillé des nuits entières pour la matérialisation de l'Union sacrée. Nous sommes censés regarder dans la même direction, poursuivre les mêmes objectifs. Mais parmi nous, chacun avait son agenda, ses caprices. Il en est ceux qui estimaient avoir un poids politique assez important mais qui ne se retrouvent pas par rapport à leurs ambitions en intégrant l'Union sacrée. D'autres estimaient avoir de fait le droit à tel poste.

Par ailleurs, tout regroupement politique a toujours des insatisfaits, des frustrés. Mais, il y a une stabilité certaine au sein de l'Union sacrée. Cependant, la politique est dynamique. D'autres départs peuvent arriver par rapport aux ambitions politiques. Mais, l'Union sacrée s'est déjà préparée à toute éventualité pour garantir son succès en 2023.

Avec votre avènement à la DGDP, il y a eu comme une cure de rajeunissement à son personnel. Il semble que l'opération a tourné à la confusion... trop des recommandés. Des moins de 35 ans au départ, même des candidats cinquantenaires vous ont été imposés. Qu'en est-il?
Permettez-moi d'abord de faire l'état des lieux de la DGDP, cet établissement que je pilote depuis juin 2020. Je remercie au passage le chef de l'État pour l'ordonnance qu'il avait prise me nommant à la tête de la DGDP. Un établissement public qui était à l'agonie. Il a fallu prendre le taureau par les cornes. C'était des travaux d'Hercule.

Des impaiements des salaires qui tiraient en longueur. J'ai dû me battre et j'ai obtenu d'entrée de jeu quatre mois de paie de salaires. Des consommables n'existaient plus, des ordinateurs, des photocopieurs sans intrants, même la lumière posait problème. Les couloirs étaient tout noirs, les sanitaires hors d'usage. Il y avait un manque criant du nécessaire pour permettre aux agents de travailler dans de bonnes conditions. Le bâtiment croulait de vétusté. La DGDP était à l'agonie. Les frais de fonctionnement étaient confondus aux salaires.

J'ai utilisé mon aura politique pour stabiliser l'établissement public. J'ai pu arracher un état liquidatif après plus de dix ans pour être aligné dans la grille des bénéficiaires des salaires. La DGDP a deux budgets mensuels : celui de fonctionnement et celui des rémunérations. J'ai dû payer même des indemnités de sorties, les bénéficiaires sont connus.

Grâce au plan de redressement mis en place, du déficit dans lequel se trouvait la DGDP, j'ai pu arracher la prime de la plus-value sur la BAD. J'ai plaidé auprès du ministère de tutelle pour que les agents touchent leurs primes, voilà plus de 15 mois. Il y a des nouvelles acquisitions pour la mobilité, des bus, des pickup pour la distribution des courriers. Aujourd'hui, nous sommes dans le bon en termes de financement. Il nous reste plus que des décomptes finaux des agents éligibles à la retraite que seule la DGDP ne saura supporter.

Des dotations doivent provenir des ministères du Budget et des Finances. Effectivement, le personnel est vieillissant, m'a-t-on fait comprendre à mon arrivée. Mais, j'ai estimé que les hauts cadres dont des directeurs chargés d'audit constituent des réserves et devraient former des jeunes, autour 60 à 70 que nous devons recruter. Mais, nous n'avons pas voulu endosser cette responsabilité. La DGDP a préféré recruter un cabinet pour réaliser cette opération de recrutement. Il faut alors passer par les marchés publics qui est tout un processus.

Mais, il se trouve qu'alors que le cabinet ABM qui a remporté le marché, enregistrait des candidats, d'autres se faisaient enregistrer à la DGDP. Il fallait harmoniser les listes pour qu'il n'y ait pas des contestations. Nous sommes à 6.000 candidats qui devraient être soumis au test le dimanche 28 août 2022.

Des recommandations, vous en subissez même pour payer les fournisseurs locaux. En tout cas, à la FEC, l'on parle d'un certain clientélisme. N'est-ce pas une coutume dont vous avez héritée ?
D'abord, je dirai que la DGDP gère l'endettement de la République.

Il y a l'endettement intérieur et l'endettement extérieur. Ici, ce sont des prêts bilatéraux, multilatéraux que l'État contracte auprès des partenaires internationaux comme le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement, la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique, BADEA, et même certaines banques étatiques comme Exim Bank of India, Exim Bank of China, Corea, la Coopération française, les Fonds d'Abu Dhabi, etc.

Cet endettement est soumis à des contraintes. Les partenaires comme la Banque mondiale veillent au respect des échéances de paiement. Ils sont payés trimestriellement. Nous remboursons le capital et l'intérêt. À défaut, la DGDP fait l'objet des pressions au point qu'elle s'en remet à la tutelle. En fait, nous, DGDP, faisons la programmation à l'intention du ministre des Finances. C'est lui qui écrit à son collègue de Budget.

Ce dernier lui répond. Et le ministre des Finances écrit, cette fois, à la Banque centrale pour les transferts. La DGDP s'emploie trois ou quatre semaines avant pour le respect des échéances. Concernant la dette intérieure, il sied de distinguer la dette sociale de la dette commerciale et de la dette juridique.

Les dettes sociales sont notamment dues aux fonctionnaires de l'État, aux diplomates, les émoluments des députés, les indemnités de sortie des membres du gouvernement, etc. Les dettes commerciales sont dues aux entreprises engagées dans des marchés publics, dans la fourniture des biens et des services.

La dette judiciaire, enfin, c'est quand l'État est condamné par voie judiciaire. Le stock de la dette intérieure titille à ce jour les 3 milliards de $US. Comment procède-t-on à la paie? D'abord, il faut deux ans pour qu'un non-paiement soit aligné comme dette intérieure. Le fournisseur écrit au ministre des Finances avec toute la documentation liée à la créance en annexe, notamment le bon de commande de l'État, le bon de livraison et le PV de réception.

Le ministre des Finances nous renvoie le dossier à la DGDP, à la commission de certification qui est composée de 13 membres dont des conseillers représentants le Premier ministre, les ministres de l'Économie, de la Justice, du Budget, trois conseillers du ministre des Finances, deux inspecteurs de l'Inspection Générale des Finances, quatre membres de la DGDP. Chaque jeudi, la commission statue sur la validité des créances. S'il est prouvé que l'État doit de l'argent à quiconque, un PV de certification est établi et envoyé au ministre des Finances qui valide la créance et s'ensuit la certification de la créance.

À ce moment-là, la créance est reprise non seulement dans les livres de la DGDP mais aussi dans tous les états financiers du pays. Interviendra plus tard la phase de paiement. Le créancier écrit au ministre des Finances pour solliciter un paiement. Ce dernier lui répond pour négocier un échéancier car il faut qu'il y ait des crédits budgétaires pour assurer le paiement. La DGDP fait encore rapport au ministre des Finances pour valider le résultat de la négociation.

La mission de la DGDP se limite à la programmation. Nous attendrons, par la suite, un document émanant du ministère du Budget ou de la Banque Centrale pour savoir si tel ou tel créancier a été désintéressé. Le clientélisme n'a donc pas sa place dans un circuit aussi complexe et hermétiquement fermé.

Les transferts des créances des fournisseurs de l'État vers des acteurs politiques proches du régime pour être vite payés ou encore les opérations retour de 40 voire de 50% exigée par la DGDP si l'on veut voir son dossier traité en un temps record, ce sont des pratiques qui ont fait de vieux os à l'ex-OGEDEP ?
Ces contre-vérités relèvent plutôt des rumeurs que des faits avérés. La commission de certification des créances compte en son sein des inspecteurs de l'IGF. Si, par le passé, des cas de transferts des créances aux acteurs politiques auraient eu lieu, il n'est guère admissible sous le leadership du chef de l'État, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Monsieur le Directeur Général, vous avez été sûrement confronté à la problématique de la certification des dettes de l'État. La question est devenue un serpent de mer. Qu'avez-vous fait sur ce sujet ?
La DGDP n'agit pas seule dans la commission de certification des créances. Le processus est géré en amont et en aval par le ministère des Finances. La procédure de la certification des dettes est claire comme l'eau de roche.

Selon le projet de loi des Finances 2022, l'État s'est engagé à payer la dette intérieure à hauteur de 302.627.575.170 CDF soit environ 151 millions de $US. À mi-exercice, quel en est le taux d'exécution? En quoi le justifiez-vous ?
J'ai toujours recommandé à tout le monde de se référer au site de la Direction Générale de la Dette Publique. Nous publions ponctuellement nos rapports. Tout y est, et à jour.

L'Observatoire la Dépense Publique, ODEP en sigle, déplore des dépassements dans la paie de la dette commerciale intérieure, plus de 50 millions de $US. Comment expliquez-vous cet état de choses ? Qui en sont les bénéficiaires ?
Au temps fort de la pandémie de Covid-19, la BAD notamment a porté secours à l'économie congolaise. Mais, les besoins étaient tellement importants que ces crédits étaient bypassés. Et le gouvernement Ilunga Ilunkamba, à l'époque, avait recommandé de payer la dette commerciale afin de relancer la production locale. La DGDP a naturellement été impliquée. Et un dépassement n'est pas synonyme de détournement. Sachez aussi que bien souvent, il y a un décalage entre le budget voté par le Parlement et les besoins réels pour payer la dette.

Le dépassement est donc possible par rapport à la catégorisation de la dette. Pour autant, on ne peut pas se résoudre à ne plus payer parce que les crédits sont épuisés. Le gouvernement, à travers le ministère du Budget, peut solliciter des crédits supplémentaires ou un transfert des crédits qui n'ont pas encore atteint un certain seuil, d'une rubrique à une autre, notamment, à travers un collectif budgétaire. D'ailleurs, à l'époque, il y avait un budget rectificatif rendu public au mois de septembre. Ce mécanisme est prévu dans la LOFIP, la Loi relative aux Finances publique. Rien n'est insolvable.

Vous êtes un technicien patenté. Comment comprendre que le paiement de la dette intérieure enregistre régulièrement des dépassements. En 2009, sous Muzito, on en était à 502 % de dépassement. Mais les créanciers locaux se plaignent toujours. Les rapports entre la DGDP et le Club de Kinshasa demeurent exécrables...
Le Club de Kinshasa, c'est ça la dette intérieure! Et les fournisseurs sont régulièrement payés. Mais, comme dans une famille nombreuse, les plaintes des fournisseurs locaux, il y en aura toujours. Tel s'estimant moins servi, l'autre se disant ignoré. Les plaintes ne cesseront jamais.

Les ministres des Finances et du Budget font régulièrement des arbitrages quant à ce. Nous, DGDP, proposons mais les crédits sont gérés aux Finances et au Budget. C'est à leur niveau que la DGDP constate que telle ponction a été faite sur tels crédits budgétaires. En définitive, la DGDP ne reçoit que la preuve qu'un décaissement du plan du Trésor vers un bénéficiaire a eu lieu.

Mais les plaintes, quel que soit le ministre des Finances qui sera là, il y en aura toujours. Et la dette a un volet technique et un volet politique aussi. C'est la volonté politique qui détermine le paiement de la dette intérieure. S'il a atteint ce seuil, mais Muzito était ministre du Budget puis Premier ministre. Du temps de Matata, la dette intérieure n'était pratiquement pas payée. Tout est question de la volonté politique.

Ouvrons une brèche sur les frais financiers. Les prévisions sont d'un peu plus de 130 millions de $US pour 2022. Mais, la collaboration n'est pas le point fort des rapports entre la DGDP, le ministère des Finances, la Direction du Trésor et Moyens de financement et la Banque centrale. Avez-vous les preuves du contraire du déficit d'entente entre les institutions précitées ?
Il y a des réunions d'harmonisation pratiquement chaque mois, entre la Direction du Trésor, la Banque centrale, les ministères du Budget et des Finances et la DGDP. Mais cette question devrait être orientée vers la Direction du Trésor ou bien la Banque centrale qui est le caissier de l'État.

Dans la pratique, c'est, en effet, la Direction du Trésor et Moyens de financement et la Banque Centrale du Congo qui transmettent au Budget, en fait, la Direction générale des politiques et programmation budgétaire, DGPPB, un état détaillé des intérêts titrisés à budgétiser au cours de l'exercice donné, en se fondant sur le plan d'apurement de la créance et sur la convention du caissier de l'État où se réfèrent à l'avenant de la convention signée entre la BCC et le ministère des Finances.

Les frais financiers comprennent en pratique les intérêts sur la dette intérieure et extérieure. La première catégorie concerne les intérêts sur la dette financière intérieure, les intérêts moratoires et les intérêts titrisés tandis que la seconde comprend les intérêts sur le club de Paris, les intérêts sur le club de Londres, les intérêts sur le club de Kinshasa et les intérêts sur la dette multilatérale.

La Banque Centrale a annoncé avoir dépassé les 3 milliards de $US des réserves en devises, les recettes à fin juin 2022 ont encore dépassé les assignations comme en 2021. Comment, technicien que vous êtes, pouvez expliquer que le pays s'endette encore même pour réhabiliter une infinie partie de la voirie de la capitale ?
Il n'y a pas au monde un pays qui soit autosuffisant. Pour lancer des investissements publics, l'on recourt toujours aux emprunts. Regardez la route nationale n°I, plus de 600 kms entre Kinshasa et Kikwit, plus de 350 kms entre la capitale et Matadi.

En une année, l'État ne peut pas disposer d'assez de moyens pour financer la modernisation de cette route d'autant plus que les besoins de l'État ne se limitent pas qu'aux infrastructures routières. Payer les salaires est un besoin primordial. Il faut payer les enseignants, les fonctionnaires, les policiers, les militaires, etc. Après la rémunération, il y a le volet fonctionnement des institutions publiques, le Parlement, les cabinets ministériels, etc. Il faut aussi assurer les services publics.

Les emprunts s'étalent sur plusieurs années. L'État doit avoir des réserves suffisantes pour parer aux chocs endogènes et exogènes comme les effets de la guerre en Ukraine sur les produits pétroliers. Je félicite le ministre des Finances, Nicolas Serge Kazadi Kadima-Nzuji qui vient de créer une structure de stabilisation financière.

Cette structure fait des projections sur des risques au cas où, à titre d'exemple, les cours des matières premières dont le pays est exportateur, venaient à dégringoler ou se faisaient emballer, par exemple, par la guerre en Ukraine. Sans des réserves en devises importantes, le pays ne s'en sortirait guère. Il y a encore quelques temps, on se lamentait de n'avoir que l'équivalent d'une ou deux semaines d'importation des biens et services... Aucun pays ne peut lancer de grands investissements sans emprunts.

À fin 2021, le taux d'endettement extérieur était de 9, 83%, et l'encours de la dette extérieure était de près 5 milliards de $US. Six mois plus tard, la dette extérieure frôlerait le niveau d'avant 2010 qui a contraint le pays à subir la cure de l'IPPTE, l'Initiative Pays pauvre très endetté. Il y a lieu de craindre pour l'avenir...
Il n'y a aucune crainte sur ce. Les ministères des Finances et du Budget s'emploient à respecter les dépenses sur base caisse, le taux de change est resté stabilisé, les prix de certains produits ont certes connu une augmentation qui n'est pas assez énorme, entre 2 et 8%.

C'est une inflation importée due notamment à la guerre en Ukraine, mais elle reste sous contrôle. Les ministères de l'Économie, des Finances et du Budget veillent à ce que le panier de la ménagère n'en soit pas d'avantage impacté.
POLD LEVI MAWEJA.


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