Une main noire au Bandundu
  • dim, 21/05/2023 - 07:57

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Le Soft International n°1582|vendredi 19 MAI 2023.

Les réseaux sociaux ont-ils inventé images et vidéos de fin du monde sur la route nationale n°1 ? Le week-end du 12 mai 2023, que des témoignages faisant état de corps ensanglantés le long de cette route nationale nourricière ! Que des personnes décapitées gisant à même le sol entre la cité de Kenge et la capitale Kinshasa aux environs des localités de Mbankana, Pont Kwango, Batshongo, Mongata, dans la province du Kwango! Que des groupes de jeunes marchant dans ces localités munis de fusils de chasse et d'armes blanches, le front couvert de bandeaux rouges. Et, pour finir, une cinquantaine de véhicules de marchandises et de privés bloqués de part et d'autre pendant plusieurs heures entre ces localités ou refaisant le chemin retour pour éviter tout risque d’être pris par des bandes armées avant d'être conduits sous escorte militaire. Et, plus tard, un semblant d’accalmie observée avec des images des forces de l’ordre qui venaient d'arrêter des jeunes mis en rangs et enlacés. Tout cela à moins de 100 kms de la capitale Kinshasa. Un dispositif militaire renforcé sur la Nationale 1 pour sécuriser la population quand la province du Kwango a décrété un couvre feu allant de 20:00' à 6:00' sur toute l'étendue de la province.

Au début - cela remonte au deuxième semestre de 2022 - ces événements furent présentés comme un conflit de terre opposant deux communautés, les Téké et les Yaka qui avait surgi dans le territoire de Kwamouth, province de Maï-Ndombe.

Les Téké sont établis depuis plusieurs décennies sur ces plateaux de sable - dit Plateaux des Batéké - qui s’étendent sur les deux rives du fleuve Congo. Ils ont réussi à mettre en place un système de gouvernance adopté par d’autres groupes ethniques.

Les Yaka venus de la province du Kwango voisin sont arrivés sur les plateaux peu après les Tékés. Ce peuple d’agriculteurs cultive du manioc, de l’arachide, des ignames, etc. Il pratique aussi l’élevage de la volaille et du petit bétail.

Pour pouvoir exploiter les terres appartenant aux Téké, les Yaka doivent payer une redevance aux chefs coutumiers Tékés. Un arrangement qui a permis aux deux communautés de cohabiter pacifiquement pendant des décennies. Mais, depuis peu, certains membres de la communauté Téké accusent les Yaka de refuser de payer la redevance coutumière depuis quelques temps.

 

70 MORTS ?

Des personnes armées se réclamant membres de ces tribus s’attaquent mutuellement à cause de ce conflit quand des jeunes barricadent certains axes routiers du territoire avec des check-points, à la recherche des membres de la tribu adverse.

« Ce n’est pas la première fois que cela arrive », à en croire un habitant de Kwamouth. «Ceci crée souvent des tensions que nous avons l’habitude de résoudre par des voies diplomatiques, la négociation, et non par les armes», explique-t-il.

Une délégation gouvernementale fut dépêchée dans la zone pour tenter de comprendre cette tragédie.

«Nous avons écouté toutes les couches de la population », déclare Rita Bola, gouverneure de Maï-Ndombe. Qui explique que la situation a dégénéré à la suite de la crainte des Téké imaginant que les Yaka, qui vivent avec eux depuis plus de quarante ans, envisageaient de s’accaparer de leurs terres pour les occuper. En 2018 déjà, plus de 530 personnes avaient été tuées dans le Maï-Ndombe lors des violences intercommunautaires à Yumbi, un peu plus au Nord de Kwamouth.

Des maisons incendiées, la peur installée dans la contrée. Pas un habitant ne pouvait aller chercher de la nourriture dans la forêt par peur d’y croiser des hommes armés.

Plus tard, la présidence de la République a envoyé une équipe de chefs coutumiers originaires de la zone pour une tournée dans la région. Elle a appelé la population au calme. Une délégation contestée par d'autres chefs coutumiers expliquant qu'elle était présidée par un chef coutumier Suku, une tribu assimilée à celle des Yaka.

Du coup, plutôt que de se calmer, les attaques se sont poursuivies sinon multipliées avec des chefs coutumiers décapités jusqu’à atteindre les provinces voisines du Kwango et du Kwilu précisément les territoires de Bagata et de Bulungu voire la ville de Kinshasa.

Pourtant, de moins en moins, on parle d’un conflit foncier Téké et Yaka. Selon plusieurs sources, ces attaques ont pris des proportions très inquiétantes au point de ne plus savoir qui en sont les vrais instigateurs.

Tel le cas de ces « agresseurs passés par le village de Bukusu. Ils ont cherché le chef. Ils sont allés le capturer dans la forêt et ils l’ont tué dans son propre carré. Ils ont incendié toutes les maisons. Toute la population de ce rayon d’action, de Misia, de Fayala et consorts a pris fuite à Fatundu. On a vu une pirogue qui montait entre le village Kingalakiana et le port de Fatundu, la police est allée avec les éléments de bureau 2 des FARDC. Ils ont capturé six suspects. Ils avaient des machettes, des bandeaux et des banderoles qu'ils ont mis sur leurs corps, sur la tête et au bras. Ils montaient vers Fatundu », explique un témoin.

Qui poursuit : «Le village est vraiment traumatisé. C'est tout le monde maintenant qui est en débandade. Ils fuient vers Kolokoso, vers Masi-Manimba. Fatundu avait reçu les gens de Bukusu, de Kimpana, les villages limitrophes qui fuyaient pour Fatundu. Maintenant Fatundu à son tour, c’est tout le monde qui vit dans la psychose. Nous avons lancé le message au gouvernement pour qu’il puisse assister la population et qu’il mette la paix et la quiétude sociale ».

Lors du conseil des ministres (98ème réunion) présidé le vendredi 12 mai par le premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le Vice-premier ministre en charge de l'Intérieur et Sécurité, Peter Kazadi Kankonde a fait état d'une « situation (qui) reste marquée par les incursions répétitives des assaillants «Mobondo» (issus de l'ethnie Yaka, ndlr) dans la localité Menkao malgré les multiples appels à la paix lancés par la Commission de sensibilisation intercommunautaire Téké-Yaka».

Ajoutant : «la persistance de l’insécurité dans les environs de Kinshasa (Plateau des Batéké) (a conduit à) une action d’envergure en vue de rétablir l’autorité de l’État ».

Bilan macabre rien que pour ce début de week-end du 12 mai : 11 morts dont 7 militaires, 3 policiers et 1 civil, celui-ci tué par une balle perdue, selon diverses sources. Côté assaillants, à en croire le gouverneur de la province du Kwango Jean-Marie Peti-Peti, on compte une soixantaine de morts. Soit, plus de 70 morts en un deux jours.

Selon le ministre provincial de l'Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières de la province du Kwango, Noël N'Lumbu Nteba, ces morts sont l'œuvre des miliciens « Mobondo » ayant combattu lors du conflit sanglant entre les communautés Teke et Yaka à Kwamouth. Ces hommes « se sont ensuite retranchés à Batshiongo au Kwango où ils se sont transformés en voleurs à main armée. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase, c'est la tentative d'arrestation du chef coutumier et notable de Mongata, un certain Mayala que ces miliciens voulaient décapiter. Ils l'ont poursuivi jusqu'au village Kinzwanga, après le pont Kwango en réquisitionnant un véhicule. Ne l'ayant pas trouvé, ces miliciens sont retournés à Batshiongo». Et c'est là qu'ils ont perpétré ce massacre.

L'une des premières personnalités à l'échelle nationale à avoir donné l'alerte sur cette tragédie fut le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu dont une bonne partie du territoire de Kwamouth se trouve dans son archidiocèse. Le 27 septembre 2022, l'archevêque de Kinshasa avait appelé « à l’intervention du Chef de l’État» dans la résolution du conflit survenu dans le territoire de Kwamouth. Il le fit au retour de quatre jours d'une mission pastorale dans cette partie du pays au cours de laquelle il avait palpé la réalité du terrain en effectuant une visite sur les lieux où des massacres avaient été perpétrés. Il a demandé d’offrir à Dieu, dans la prière, la souffrance des uns et des autres.

«L’autorité du pays doit faire quelque chose pour que cette situation puisse se débloquer», avait-il déclaré redoutant que ce conflit ne s'étende dans la capitale compte tenu de sa proximité avec Kwamouth.

« N’oubliez pas que Kwamouth, c’est la porte d’entrée de Kinshasa. Tout ce qui est comme navigation sur le fleuve, toutes les eaux du pays passent par Kwamouth, soit par le fleuve venant dedans, soit à la rivière qui ramasse toutes les eaux venant du Kasaï, du Kwilu, Kwango, etc. ou du Maï-Ndombe. Tout ça passe à Kwamouth. Et s’il y a insécurité à cet endroit aussi stratégique, ça peut avoir des lourdes conséquences sur Kinshasa».

Lors de sa mission pastorale, le cardinal dit avoir échangé avec des fidèles catholiques ainsi qu'avec des victimes sur des actes de barbarie perpétrées à Kwamouth.

Lors d'une émission le 21 août 2022 sur Radio Okapi, l'ancien Vice-premier ministre Daniel Asselo Okito avait notamment déclaré: « Le gouvernement de la République a ses branches : il y a le gouvernement provincial, il y a tous les services de l’État. Il n’est pas dit que lorsqu’un problème se pose quelque part, il faut que ce soit nécessairement le Président de la République ou le Premier ministre qui agisse. Nous avons l’armée, la police, les services de renseignement et de sécurité. Mais qui vous fait croire qu’il y a silence ? Au niveau des institutions de la province et au niveau des autres services de l’État, le travail est en train de se faire pour que tout ce qui serait à la base de ces affrontements cesse ».

 

FAUX KIAMVUS.

L’appel de l’archevêque de Kinshasa intervint au lendemain de l’arrestation des six suspects au village Fatundu, chef-lieu du secteur de Wamba, dans le territoire de Bagata (Kwilu), avec des armes blanches. Parti du territoire de Kwamouth dans le Mai-Ndombe, le conflit meurtrier affecte les provinces du Kwilu et du Kwango.

Six personnes «suspectes » avaient alors été arrêtées par la police au village Fatundu, chef-lieu du secteur de Wamba, dans le territoire de Bagata (Kwilu), avec des armes blanches.

Pour le chef de secteur de Wamba, Martin Gabia, qui avait livré l'information, une panique générale avait été observée ce jour-là dans ce village qui venait d'accueillir des déplacés venus du village Bukusu.

Le cardinal Ambongo venait de présider une messe dans l’église paroissiale Saint-Yves à Kwamouth. Il avait appelé les deux communautés à ne pas briser la paix. « Que recherchons-nous pour briser ainsi la paix?», s’était-il demandé.

Pour le cardinal, « la crise entre les peuples Yaka et Teke est née non seulement de la soif des richesses, mais aussi du péché et de la soif du pouvoir. Les conflits communautaires naissent lorsqu’on est préoccupé par le souci exagéré des biens pour soi-même, pour sa famille. On ne mesure pas les conséquences des attitudes que l'on affiche par rapport aux biens matériels », avait-il fait observer.

En visite pastorale cette fois dans le diocèse de Popokabaka, territoire de Kasongo-Lunda, dans le Kwango, le cardinal a dénoncé, vendredi 12 mai 2023, « une manipulation politique » dans le conflit opposant les communautés Teke et Yaka. Il insiste : «il n'y a pas de conflit entre les communautés Teke et Yaka » en territoire de Kwamouth.

Le cardinal parle de « manipulation politique pour des intérêts égoïstes».

«Je suis ici à Kasongo-Lunda, siège du chef traditionnel des Yaka qui est ici là devant moi. Je ne sais pas si vous vous sentez en guerre contre les Téké, en commençant par votre chef. Est-ce que vous êtes vraiment  en guerre contre les Téké ? Non ! Faisons attention avec cette affaire. Après mes deux voyages à Kwamouth, j’ai fait un rapport que j’ai remis au Premier ministre en lui disant qu’il n’y a pas de conflit entre Téké et Yaka à Kwamouth. Parmi les communautés qui habitent le territoire de Kwamouth et qui font partie de ce conflit, il  y a les Bangala, les Baluba, les Batetela, les Bayanzi, les Bambala et les Bayaka. Pourquoi dire conflit Téké-Yaka alors qu’il y a plusieurs communautés dans ce conflit? C’est tout simplement parce qu’il y a des faux Kiamvus qui sont venus de Kinshasa, qui vont parler avec les chefs des terres  pour leurs intérêts politiques, alors que le vrai chef traditionnel Yaka est ici à Kasongo-Lunda. Ces gens sont connus. À cause de leurs intérêts politiques, ces faux Kiamvus cherchent à mettre les Yaka sur la terre des Téké. Ce qui est inacceptable », a déclaré le cardinal dans son homélie.

Le cardinal Ambongo qui doit se rendre dans le territoire de Popokaba avant de partir dans celui de Kenge, demande aux membres de la communauté Yaka de prendre les mesures nécessaires pour que « soit racontée la vraie version de ce conflit ».

Lors de sa rencontre le 20 octobre 2022 avec le Premier ministre, le cardinal avait eu ces mots à la sortie de l'audience à l'hôtel du Conseil :

« Je suis venu échanger avec le Premier ministre et en même temps, lui remettre la synthèse de mon rapport de visite dans le territoire de Kwamouth. Vous savez tout ce qui se passe actuellement dans ce territoire. J’avais fait une visite pastorale la première fois le long du fleuve jusqu’à Kwamouth cité. Et, j’ai continué ma visite jusqu’à Masikwa sur la rivière Kwa. De retour ici, j’avais estimé que ma visite devrait être complétée par la partie terre et j’avais pris l’avion la semaine passée jusqu’à la ville de Bandundu. J’avais fait la route RN17 Bandundu- Masiambio jusqu’à Mongata sur la route principale. J’ai eu à rencontrer nos frères et sœurs qui sont dans cette partie et j’ai eu des observations qui me paraissaient importantes. Avant de faire quoi que ce soit, j’avais estimé qu’il était tout à fait légitime que j’échange avec le Premier ministre là-dessus ».

« Des observations importantes » devenues depuis de la «manipulation politique» ? Est-ce cela que d’aucuns ont appelé une main noire se cachant derrière ce conflit Téké-Yaka ? Il faut plus que jamais en dire plus, aller jusqu’à éventrer le boa…

 

ALUNGA MBUWA.

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