- mer, 06/11/2024 - 15:48
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1623|MERCREDI 6 NOVEMBRE 2024.
par le Professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba.
Je signe ce texte que je veux court. En effet, à une époque de hyper médiatisation, on regarde, on écoute, on lit peu. Je veux parler Congo, en peu de mots. Prenons un exemple : nous nous vantons de tout (avec raison). De notre pays, le plus riche du monde, avec mille minerais, les plus rares, les plus recherchés. De notre Constitution, qui prône la démocratie avec comme conséquence une flambée d'églises à chaque coin de rue voire deux ou trois sur un même terrain, d'ONGs à la pelle, de partis, de regroupements politiques à chaque coin de rue, de médias, désordonnés, qui tirent à boulets rouges, à tout va, se tirent dessus, sauf exception, stipendiés, financés par des hommes politiques dans un seul but: abattre l'autre. Une formule qui nourrit tant, séduit tant, dans un contexte d'absence criante d'emplois, d'entreprises commerciales. Est-ce ce modèle de développement, de décollage économique pour nos pays? N'est-ce pas là un piège tendu? Je me rappelle comment j'avais été satisfait un jour d'entendre, de la bouche d'éminents professeurs de Harvard, ce qui fut longtemps ma conviction : «Les Occidentaux avaient été surpris par l'Asie ; ils se sont depuis organisés pour que jamais l'Afrique ne les surprenne. Retenez que jamais vos pays ne se développeront un jour».
Posons-nous des questions. Ce système imaginé, vanté, imposé à nos pays, par les Occidentaux, savons-nous qu'il est pleinement à leur service ? Comment expliquer qu'au nom de la liberté de parole, de la liberté de presse, leurs médias soft power envahissent tant nos pays au point non seulement d'occuper nos salons et nos espaces ouverts, mais de s'afficher sur des panneaux publicitaires géants plantés dans nos rues et avenues? Quel (s) but (s) poursuivent-ils quand par ailleurs ils nous chassent de chez eux? Ne faut-il pas que nous, plus que jamais, nous pensions à nos pays, à nous-mêmes ? Quand l'Occident impose la démocratie à nos pays, pourquoi ne la réclame-t-il pas partout dans le monde? Voyons la sous-région. Regardons l'Afrique. Regardons le monde. Posons-nous des questions. Comment expliquer que l'Occident respecte tant la Chine (la redoute, la craint), cette Chine à qui, il y a vingt ans, un Français, Alain Peyreffitte, consacrait un livre monument : « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera » (Paris, Fayard, 1973, thèse : vu la taille et la croissance de sa population, la Chine finira inexorablement par s'imposer au reste du monde dès qu'elle maîtrisera une technologie suffisante) et, plus tard, en écho: « La Chine s'est éveillée », Paris, Fayard, 1976. Face à la Chine, quel pays ne tremble pas désormais ? Quel modèle de développement la Chine a-t-elle mis en œuvre ? Existe-t-il en Chine des chefs religieux, des partis politiques, des médias qui tirent sur leur régime et se font entendre? Quel pays dans la sous-région importerait le modèle congolais et quel pays est autant menacé de l'extérieur que le Congo? Pensons-nous qu'en écoutant tant l'extérieur, en nous nous agenouillons tant, en nous rampant tant face à l'extérieur, cela permettra à nos pays d'aller de l'avant ? Ce qui se passe aujourd'hui dans le monde (Gaza, Liban, Ukraine, etc.) n'est-ce pas une chance pour nos pays d'écrire notre page?
Pensons Congo, urgence absolue. Inspirons-nous de ce qui marche ailleurs et inspire respect. Mettons-y de l'intelligence. Il est temps. Arrêtons avec le simple remplacement qui ne conduit à rien. Investissons dans le casting, l'expérience, la compétence, les choix (Tout réside dans le casting, Le Soft International n°1605 | lundi 15 avril 2024). La voie de la Corée du Sud, de Singapour, de ceux qui ont décollé. Pensons Congo, urgence extrême.
La manipulation a déjà été activée.
Ils l'ont juré, la main sur le cœur. Elle (la révision), il (le changement) de la Constitution du pays, « ne passera pas ». En pointe, trois Congolais. Tous anciens candidats malheureux à la présidentielle. Déjà, ils ont lâché les moyens de manipulation: Moïse Katumbi Chapwe, Emmanuel Ramazani Shadari (donc, l'ancien président Joseph Kabila Kabange), Martin Fayulu Madidi. Derrière eux, des dignitaires catholiques. Écoutés et suivis par l'étranger pour le besoin de la cause !
La Constitution de la République en l'espèce est pourtant claire. « L’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment:
1. au Président de la République ;
2. au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres;
3. à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ;
4. à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres. Chacune de ces initiatives est soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat qui décident, à la majorité absolue de chaque Chambre, du bien-fondé du projet, de la proposition ou de la pétition de révision.
La révision n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition est approuvée par référendum sur convocation du Président de la République. Toutefois, le projet, la proposition ou la pétition n’est pas soumis au référendum lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquième des membres les composant» (art. 218 de la Constitution du 18 février 2006).
Puis : « Aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège ni pendant l’intérim à la présidence de la République ni lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat se trouvent empêchés de se réunir librement» (art. 219).
PLUS DE PEUR QUE DE MAL ?
Puis : « La forme républicaine de l’État, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées» (art. 220).
Retenons ce qui suit s'agissant de l'initiative : celle-ci revient
1. au Président de la République ;
2. au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres;
3. à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ;
4. à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes.
En clair, rien, aujourd'hui, ne s'oppose quant à l'initiative. Le 23 octobre 2024, à son meeting à Kisangani, Place de la Poste, le Président de la République l'a déclaré en des termes non équivoques : «Notre Constitution a été rédigée à l’étranger et par des étrangers. Il faut au pays une nouvelle Constitution adaptée aux réalités du pays. Nous devons savoir que notre Constitution a des faiblesses et elle n’est pas adaptée aux réalités du pays. Notre Constitution doit être élaborée sur la base de nos habitudes, en tant que peuple congolais». Puis : « Notre Constitution doit être élaborée sur la base de nos habitudes, en tant que peuple congolais ».
Puis : il désignera l’année prochaine une commission nationale chargée d’élaborer une nouvelle Constitution adaptée aux réalités congolaises et « qui ne va plus handicaper le fonctionnement du pays».
En quoi cette démarche est anti-démocratique au point de soulever des oppositions ?
Mais l'opposition n'a-t-elle pas le droit de prendre la parole, de s'exprimer ? Quand le Congo a candidaté à l'élection au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies qui siège à Genève, des opposants se sont exprimés avec force, ont même fait irruption dans la salle loirs des débats. Cela a-t-il empêché le Congo d'être élu sans suspens à New-York avec 172 voix sur les 190 votants ? Les opposants étaient dans leur rôle. Les ONG aussi...
Telle Human Rights Watch qui a fait monter à New York le fait que «les autorités aient sévèrement réprimé les membres des partis d’opposition, les militants de la société civile, les critiques du gouvernement et les journalistes tout au long de la période de l’élection présidentielle de 2023». « Nous avons des préoccupations à Human Rights Watch, HRW, aux côtés des Congolais, de mouvements citoyens, de membres de la société civile et des journalistes sur une répression croissante sur les droits civils et politiques», a déclaré la Directrice adjointe de la Division Afrique à HRW Carine Kaneza Nantulya.
Notant aussi que, hormis quelques condamnations, «les membres des forces de sécurité congolaises responsables du meurtre d’au moins 57 personnes à Goma en août 2023 n’ont pas été véritablement tenus responsables». HRW a épinglé de la même manière deux autres pays du Continent, l’Éthiopie et le Kenya. Cela n'a pas empêché le vote. La démocratie a parlé.
Allons sur le fond. Révision, changement de la Constitution, que disent les juristes ?
«Aucune loi n’est immuable (aucune loi ne pourrait guère être changée), si la société qu’elle régit ne l’est pas. La loi fondamentale n’échappe pas à cette règle. C’est pourquoi, chaque constitution prévoit des normes sur la procédure de sa révision, lesquelles doivent être respectées lorsqu’on doit procéder à une révision constitutionnelle dans un État de droit.
Cette autonomie régulatrice de la constitution est l’expression de sa suprématie sur toutes les normes existant dans un ordre juridique donné. On comprend dès lors que la procédure de révision d’une constitution doive revêtir une certaine rigidité, contrairement à celle d’une simple loi», écrit Constantin Yatala Nsomwe Ntambwe, Docteur en droit.
Qui poursuit: «La Constitution en vigueur peut être révisée, s’il existe de justes motifs d’intérêt public, dans le respect de la procédure qu’elle prévoit et des limites qu’elle fixe, relatives à l’objet et à la période définies par l’article 220. Tout en n’enfermant pas définitivement la liberté des générations futures quant aux choix de systèmes politiques, cette disposition devrait prévoir son irrévisabilité pour ne pas laisser la possibilité, au second degré, de réviser les matières dont elle institue l’irrévisabilité.
Cette irrévisabilité de la disposition l’instituant protégerait les matières irrévisables et permettrait également à la Cour constitutionnelle, dans les limites de ses compétences, de contrôler la constitutionnalité matérielle de la révision constitutionnelle ».
Sur les matières «irrévisables», si des juristes peuvent en être convaincus, usant du labial ou du maxillofacial, qu'en pensent les politiques qui œuvrent à éviter des «gouvernements des juges»? Deux citations millénaires.
«Méprisez les systèmes, défiez-vous des opinions ; jugez par vos intérêts ; c'est la seule règle infaillible en politique», J. Fiévée, 1815 ; « La politique enseigne à juger des devoirs par l'intérêt, et du mérite par les succès», Francis Bacon, 1625.
Plus de peur que de mal ? Promulguée le 4 octobre 1958, la Constitution française (de la Vème République) a été révisée vingt-cinq fois à ce jour.
Huit fois, de Charles de Gaule à François Mitterrand, treize sous les deux mandats de Jacques Chirac, une révision de grande ampleur sous Nicolas Sarkozy qui, à la suite de la Commission Balladur, souligne «la nécessité «pressante» d'un changement institutionnel global et ambitieux» visant la modernisation des institutions de la Vème République ; une révision constitutionnelle depuis 2008. Etc.
Alors, plus de peur que de mal ? Pensons Congo ! Urgence extrême !
T. MATOTU.