Fatou Bensouda fait le point de ses grosses prises congolaises et en recherche d’autres
  • ven, 14/03/2014 - 01:09

Mme Fatou Bensouda, la procureure de la CPI (Cour pénale internationale de La Haye), séjourne à Kinshasa où elle a été reçue mercredi 12 mars par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Raymond Tshibanda Ntunga Mulongo, évoquant le renforcement de la collaboration entre la Cour de La Haye et le gouvernement de la République. Nombre de Congolais sont poursuivis par la CPI dont Jean-Pierre Bemba Gombo, Thomas Lubanga, Germain Katanga aussi appelé «le Lion de l’Ituri», Bosco Ntanganda, l’ex-chef de la rébellion du M23, Mathieu Ngudjolo, Thomas Lubanga Dyllo, Fidèle Babala, Aimé Kilolo.

La procureure de nationalité gambienne qui a remplacé en juin 2012 pour neuf ans le procureur argentin Luis Moreno Ocampo, a abordé avec le ministre congolais le refus de Kinshasa de livrer à la Cour Pénale Internationale le président soudanais Omar el-Bechir, visé par un mandat d’arrêt international. Le Chef de l’état soudanais se trouvait le 27 février 2014 à Kinshasa sur invitation du président ougandais Yoweri Kaguta Museveni, président (alors) en exercice du COMESA (Marché commun pour l’Afrique orientale et australe) en vue de prendre part au XVIIe sommet des chefs d’état réuni dans la capitale congolaise.
Des ONG congolaises et la Cour Pénale Internationale avaient demandé au président de la République de procéder «immédiatement» à l’arrestation du président Omar el-Bechir et son transfèrement à la Cour de La Haye. Demande à laquelle Kinshasa a réservé une fin de non-recevoir invoquant une décision de l’Union Africaine de ne pas livrer à la CPI un Chef d’état en exercice.
La CPI avait fait état de la pleine coopération du gouvernement congolais dans des dossiers similaires mais Kinshasa a expliqué que le cas du président El-Bechir était une «affaire complexe», a déclaré la procureure à l’issue de son audience chez le ministre congolais. Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, avait appelé la CPI et les ONG «à la compréhension», évoquant «une contrariété majeure déjà suffisamment difficile».

Atout majeur: une africaine.
Omar el-Béchir est recherché pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis en 2003 au Darfour, région soudanaise alors en rébellion contre Khartoum.
«Et maintenant, on essaie de voir comment faire pour que pareille chose ne se répète pas dans le futur», a poursuivi Mme Bensouda dont c’est la première visite au Congo depuis qu’elle pris ses fonctions à la CPI, a voulu clore cet «incident». La procureure a expliqué que son institution poursuit ses enquêtes au Congo. Elle compte rencontrer d’autres dirigeants du pays pour s’assurer de la coopération du Congo dans les affaires connues par la CPI. «Il y a beaucoup à faire. On fait nos enquêtes par phase. C’est important de renouveler notre engagement et la coopération avec le gouvernement», a-t-elle poursuivi.
La cinquantaine entamée, la procureure de nationalité gambienne, choisie le 12 décembre 2011 par l’Assemblée des 119 États parties, parmi la cinquantaine de noms qui circulaient en remplacement de Luis-Ocampo Moreno, fait montre d’une solide expérience et fait consensus à La Haye. «Calme», «mesurée», «diplomate», «à l’écoute»…, les ONG de défense des droits de l’Homme n’ont que des éloges à la bouche sur la Gambienne Fatou Bensouda. Des critiques dithyrambiques que les quelques voix discordantes qui estiment qu’elle ne possède pas assez de compétences juridiques pour une telle fonction ne parviennent pas à ternir. «C’est une personne chevronnée, très posée, très calme et qui sait garder son sang-froid», témoignait Brigid Inder, directrice de The Women’s Initiative for gender justice, une association de défense du droit des femmes basée à La Haye, aux Pays-Bas. «C’est une femme de qualité, qui aime le travail bien fait. Elle est très à l’écoute, très ouverte et très pragmatique», renchérissait, pour le moins enthousiaste, Ali Ouattara, coordinateur en Côte d’Ivoire de la coalition pour la CPI, un groupement d’associations de la société civile soutenant la juridiction internationale.
«Fatou Bensouda est une très fine juriste, estimait Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH, la Fédération internationale des droits de l’Homme. S’il y a un si large consensus autour de son nom, ce n’est pas pour rien». Première spécialiste de droit maritime international dans son pays, Fatou Bensouda entre au ministère gambien de la Justice à la fin des années 1980. Elle en gravit rapidement les échelons jusqu’à devenir ministre de la Justice en 1998. En 2002, elle se rend au Rwanda, où elle entre au service de la justice internationale pour le compte du Tribunal spécial pour le Rwanda (TPIR).
À l’époque, le Rwanda est encore meurtri par une guerre fratricide qui, en 1994, a provoqué la mort de quelque 800 000 personnes. Sur le terrain, la juriste accompagne les enquêteurs, observe, interroge, analyse. Pendant deux ans, Fatou Bensouda se familiarise avec l’horreur, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. De substitut du procureur du TPIR, elle devient conseillère principale et chef de la section des avis juridiques. «C’est une dame vraiment déterminée à veiller à ce que ceux qui ont commis des crimes contre des peuples du monde soient punis», témoigne Bernard Mouna, ancien procureur du TPIR.
En 2004, l’Assemblée des États parties l’élit au poste de procureur adjointe en charge de la division des poursuites du bureau du procureur. La Cour démarre prudemment, trop peut-être. Mais depuis, elle est passée à la vitesse supérieure, notamment avec les inculpations du président el-Béchir et de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
Un portrait que nuance pourtant sensiblement l’une de ses anciennes collaboratrices de la division des poursuites de la CPI, qui souhaite garder l’anonymat.
«Fatou Bensouda possède de grandes qualités humaines: c’est une personne très intelligente - sûrement plus brillante que Luis Moreno-Ocampo - et très consensuelle. Mais c’est un mauvais manager.
Or, le travail du procureur de la CPI relève en grande partie de la gestion managériale - avec les enquêteurs, dans la communication avec les médias, etc., témoigne-t-elle. Quand je travaillais avec elle, elle avait tendance à fuir ses responsabilités dans les moments de crise alors que son rôle aurait été de remettre de l’ordre. Ce n’est pas quelqu’un de solide. À mon sens, elle est trop lisse pour pouvoir assumer la fonction de procureur».
À la Cour, explique la juriste, différents intérêts s’affrontent: le procureur est tiraillé entre des pressions politiques, diplomatiques et purement juridiques. «C’est un poste où il faut avoir de la poigne. Moreno-Ocampo est capable d’en faire preuve, il peut remuer ciel et terre pour obtenir ce qu’il veut. Pas Bensouda», résume-t-elle. Mais dans le contexte géopolitique africain d’aujourd’hui, Mme Bensouda, qu’elle ait des qualités et des défauts, possède un atout majeur: celui d’être Africaine. «Il y avait une opinion largement partagée sur le fait que le prochain procureur devait être originaire d’Afrique», affirme ainsi Christian Wenaweser, l’ambassadeur du Liechtenstein à l’ONU, qui préside le processus de sélection du procureur. En Afrique, la CPI n’a pas toujours bonne presse. Elle est accusée d’incarner une justice néocolonialiste: celle des Blancs sur les Noirs. Sa présence permet d’apaiser les relations tendues entre la Cour et les pays d’Afrique en apportant «un peu de légitimité à la CPI en Afrique».
avec Agences.

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