La guerre du Sénat aura bien lieu
  • jeu, 11/07/2019 - 11:07

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1460|JEUDI 11 JUILLET 2019.

L’ex-ministre Modeste Bahati décide défier jusqu’au bout l’autorité de l’ex-Président Kabila et ouvre une grande faille rendant désormais plus qu’incertain le résultat de la confrontation attendue avec son ex-collègue du Gouvernement Alexis Thambwe Mwamba.

Il avait toujours été ainsi. Mobutu qui avait maîtrisé le personnel politique de son époque et a eu à s’approcher de lui, séduit par son esprit de combativité, avait lâché ces mots à des proches, parlant de lui: «Tata oyo, soki opesi ye pouvoir te, okolala pongi te» (cet homme, tant que tu ne l’as pas placé à une position de gestion, tu ne trouveras pas le sommeil).
Sous Joseph Kabila, Dieudonné Bolengetenge Balela, alors candidat questeur de la Majorité présidentielle, l’avait échappé belle. Questeur sortant dans le bureau de Vital Kamerhe Lwa Kanyinginyi Nkini, Modeste Bahati Lukwebo également membre de la Majorité présidentielle, s’était maintenu mordicus dans la confrontation jusqu’à défier Kabila alors représenté par un homme de grande confiance et, du coup, très puissant, présenté à l’époque comme le Vice-Président de la République, Augustin Katumba Mwanke.
Dans un système électoral jamais ouvert, nul n’a vraiment su, qui de Bahati et de Bolengetenge, l’avait emporté dans les urnes. Même si c’est Bolengetenge qui fut proclamé...
Le 24 février 2009, après que le bureau Kamerhe fut sacqué et que des élections furent organisées, il n’y avait pourtant eu que du Bahati, Bahati, Bahati, Bahati, peu ou pas de Bolengetenge, puis Bahati, Bahati qui reprenait de plus belle.

SOMMATIONS EN CASCADES.
En clair, cet homme né le 13 janvier 1956 à Katana au Sud Kivu, issu de la Société civile, passé à la politique comme P-dG de la SONAS, et plusieurs fois ministre (Travail, Plan, Economie, etc.) sait donner des insomnies à qui lui cherche noise. «Il est comme un serpent qui se déplace et qui s’arrête quand on le frappe mais reprend sa marche en avant et s’arrête quand on le frappe, mais n’a jamais arrêté sa marche qu’il estime que ses intérêts ont été pris en compte parfois sous forme d’alternative alléchante», témoigne un homme qui l’a longtemps approché dans l’ancien GPI, Groupe Parlementaire des Indépendants dont la présidence fut exercée longtemps par le Député Tryphon Kin-kiey Mulumba et qui comptait en son sein un membre - un certain Alexis Thambwe Mwamba bientôt ministre des Affaires étrangères - et un autre Athanase Matenda Kyelu alors ministre des Finances quand Bahati trônait à la questure sous Kamerhe.
«C’est à cette époque que Bahati tissa sa toile en consolidant ses arrières, sous un Kamerhe peu regardant sur la caisse tenue par un frère de sang», témoigne un autre.
Les relations entre les deux n’ont jamais été franches.
«Dans un Kivu où on vous dit oui quand c’est non, les relations humaines n’ont été qu’ainsi», tempère un sociologue.
Quand le 25 mars 2009, Kamerhe remet sa démission - accusé de crime de lèse-majesté après des déclarations le 21 janvier 2009 sur Radio Okapi regrettant le début des opérations militaires conjointes entre FARDC et l’armée rwandaise, Forces armées rwandaises, FAR, dans le Nord-Kivu - et entre dans l’opposition, ses relations avec Bahati demeuré proche de Kabila, restent floues.
Quand le G-7 se crée, il s’en trouve pour expliquer, documents à l’appui, que le groupe de ces sept personnalités (Charles Mwando Nsimba, Pierre Lumbi Okongo, Christophe Lutundula Pene Apala, Charles Kyungu wa Kumwanza, Olivier Kamitatu Etsu, José Endundo Bononge, Banza Maloba) traitées par l’alors gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe qui rejoindra bientôt son G-7, était à l’origine 8. Le huitième était Bahati qui, au dernier moment, a trouvé son compte ailleurs. Il en aurait récolté un «petit» prix. Une «petite» promotion. Passant du ministère du Travail à celui à bon goût de l’Economie nationale bien que délesté des PME... En rage, Bahati s’écrase mais n’en pense pas moins. Même si au Travail, il avait eu sous son escarcelle deux services convoités par des connaisseurs, INSS (depuis CNSS), INPP...
«Le week-end dernier, il n’y avait que ça! Ce pavé dans la mare. Le ministre du Plan avait-il choisi de s’en aller loin (très loin) de la Majorité Présidentielle? Lors d’une réception samedi 28 avril de ses nouveaux adhérents, Modeste Bahati Lukwebo déclare, rapportent des journaux en ligne: «Nous sommes dans la Majorité Présidentielle. Nous voulons que ça soit clair: «nous n’accepterons aucune décision qui sera prise sans nous par un groupe de gens au sein de la Majorité Présidentielle. L’AFDC doit être associée à toutes les décisions stratégiques de la MP. Au cas contraire, nous n’accepterons aucune décision qui sortirait de ces réunions». Animateur d’un site en ligne, Stanys Bujatera Tshiamala poste un tweet peu après: «Bahati Lukwebo: «On doit veiller aux prochaines élections parce qu’il y a des gens qui préparent la tricherie». Venu de la bouche d’un ministre... d’Etat, l’alerte fait sérieux. Sauf démenti, les commentaires à qui mieux mieux vont s’emballer!» (lesoftonline 5/01/2018 12:02:00 am, édition papier n°1433, datée 30 avril 2018).

A MALIN MALIN ET DEMI.
Qui vraiment, au sein de l’ex-Majorité présidentielle, jetterait la première pierre à Bahati? Elle qui est devenue une véritable caste d’hypocrites, chacun plaçant des ministres au sein de diverses équipes gouvernementales présentés comme membres de l’opposition alors qu’ils y sont de service?
Après Mobutu, Kabila a mis du temps à connaître son personnel politique mais y est parvenu. Quand mercredi 8 août 2018, il désigne peu avant midi le SG de son parti PPRD Emmanuel Shadary Ramazani candidat président de la République après que le président eût tenté lui-même en vain de rempiler, guère accompagné ni par sa cour, ni par la communauté internationale cordialement opposé, le président place un traquenard devant ses caciques, chacun candidat résolu à sa succession. Ce 8 août 2018 était la date limite de dépôt des candidatures à la Présidence de la République dont le scrutin était annoncé pour le 30 décembre. Le long chemin de croix était tel que si on ne s’y était pas pris à temps, on tombait hors délai.
Or, la veille 7 août, Kabila avait réuni tous ses caciques dans sa ferme de Kingakati et avait pu faire comprendre à chacun qu’il était son candidat avant de demander qu’ils regagnent la maison en toute sécurité en laissant le téléphone ouvert. Le nom serait annoncé la nuit...
C’est finalement le lendemain peu avant midi que Kabila sort du chapeau Ramazani lui-même surpris.
A malin malin et demi. Se sachant piégé, chacun des candidats au dauphinat avait pu apprêter son dossier, dépensé des sommes colossales, mis en place les équipes. Dans la matinée de ce 8 août, Bahati avait déployé ses militants portant son drapeau rouge dans les environs du siège de la Centrale électorale, sûr que ce serait lui. Ou que, dans tous les cas, il pourrait rattraper la situation...
Trop tard, les événements vont s’accélérer à ce point qu’il ne restait plus à chacun que de réaffirmer «son allégeance, sa fidélité, sa loyauté, etc., à l’Autorité Morale de la Majorité Présidentielle», les yeux rougis de larmes.
Jamais dupe, Kabila a fait fonctionner les Services de l’ANR et autres qui l’ont informé. Le coup de maître a magistralement fonctionné. En sanglots, les hommes sont revenus dans les rangs... Dans son salon, il savoure sa victoire.
Mais Bahati, si bien traité par son ami Mobutu, n’a rien oublié. Aux Législatives nationales de 2018, il a à nouveau mordu la poussière, trop mal inspiré d’avoir migré de sa circonscription d’origine Kabare - où il n’avait pas été élu en 2006 - pour la ville de Bukavu contestataire et toujours aussi acquise à l’opposition portée cette fois par Kamerhe. Longtemps soupçonné d’être tout sauf kabiliste, tout logiquement, la Centrale électorale acquise et aux ordres de la MP, a exclu Bahati de la liste des élus.
Qu’importe! Cet homme qui pèse lourd (plusieurs millions de $US), qui a toujours su retrouver sa place auprès des juges (en 2006, à la Cour suprême), sait mettre en jeu sa fortune colossale, cette fois pour le Sénat. Mieux vaut la mort dans le combat que la vie d’un vaincu. Bahati a juré... Il vise désormais le prestigieux fauteuil haut perché: le perchoir qui lui permettrait, en cas de vacance à la présidence de la République - hypothèse souvent avancée au PPRD, d’être Président de la République...
Bahati oublie les calculs du PPRD qui cherche du pur sang, du dur, capable de faire à CACH. Le portrait robot exclut d’office Bahati.
Mercredi 8 juillet 2019, lors d’une réunion du Saint des saints du FCC dans une salle du Rotana Kin Plaza, Bahati en sort contusionné. Sur le modèle consommé de la MP, tous les chiens enragés ont été lâchés. Menaces, injures, etc., tout passe. Ses frères du Sud-Kivu lui évitent tout contact visuel. Trop dangereux.
Le président de l’Afdc-A a trop longtemps joué avec le feu. Kabila a pris le temps de le maîtriser. Il s’en prend violemment à ces proches qui l’avaient longtemps retenu alors que la décision avait été prise de le sortir du clan. Un délai de 48 heures lui est donné de s’amender publiquement, en faisant un nouvel acte d’allégeance. C’est peu connaître ce Shi de Kabare. C’est peu connaître Kabila...
La guerre est repartie. A qui saura le plus claquer ses $US... Bahati peut cracher $US 5 millions. Pas sûr que le FCC en sorte autant. Et si la tragédie Kengo-She se rééditait? Après avoir fait rêver Abdoulaye Ndombasi Yerodia, c’est She qui fut choisi. Impliquant un TSS, tout sauf She. En clair, le vote Kengo wa Dondo, ce 11 mai 2017 (55 contre 49).
Cette fois, un duo de la province Orientale a été consulté - Jean-Pierre Lola Kisanga et John Tibasima Mbogemu - et désigné. Il a mobilisé, faisant rêver. Tous deux d’anciens rebelles du RC-Goma.
C’est finalement le Maniema qui a été désigné et Alexis Thambwe Mwamba. Lui aussi ancien RCD-Goma. Du coup, tout devient incertain. Un TST (Tout Sauf Thambwe) lors d’un vote secret?
Voici qui, sur scène, est troublant. Qui ne présage rien de bon. Et tout se radicalise. Quand le FCC se prend à rêver d’une fronde Afdc-A et exclut Bahati, l’Afdc--A fait ses adieux au FCC. Mobutu-Le Léopard qui connaissait Modeste Bahati, n’avait jamais su se mesurer à ce Shi.
T. MATOTU.


Related Posts

About author

Portrait de T. MATOTU