Le jugement au procès de la fraude électorale à Masimanimba, des personnalités ont été indûment effacées des listes des gagnants
  • mer, 29/05/2024 - 13:09

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1610|MERCREDI 29 MAI 2024.

Y a-t-il eu fraude électorale aux législatives du 20 décembre 2023 dans la circonscription électorale de Masimanimba, province du Kwilu? Bien sûr que oui.
Y a-t-il eu fraude électorale à travers le pays, mieux, dans bon nombre de circonscriptions électorales ? Seule la CÉNI, la Commission Électorale Nationale Indépendante, saura répondre à cette question sauf que la tentation est trop grande d'y aller par l’affirmative.
Y a-t-il eu fraude électorale dans la circonscription de Masimanimba plus qu’ailleurs dans le pays ? Seule la CÉNI saura répondre à cette question.

La circonscription électorale de Masimanimba s'était-elle trouvée dans le viseur de caciques du pouvoir à Kinshasa voire au sein de la centrale électorale décidés de l’effacer des listes des gagnants, d'effacer indûment certaines personnalités des listes des gagnants et, du coup, de la sphère des Dirigeants du pays en les jetant à l'opprobre? Seule la CÉNI saura répondre mais de trop fortes présomptions vont dans ce sens au vu du nombre d'éléments pertinents observés. Le fait que le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ait déclaré haut et fort, le 17 décembre 2023, en fin de campagne, devant le pays, devant le monde, à la tribune à Masimanimba, dès sa prise de parole ce qui suit :

«Longonya ! Naleki epayi nyonso na mboka namoni boye te! Bokotisi ngai nyongo monene!» (Félicitations ! Vous avez battu tout le pays en mobilisation ! Vous m’avez fait contracter une énorme dette !), voilà qui réveilla le Diable.
La CÉNI a-t-elle outrepassé ses pouvoirs en annonçant le 5 janvier 2024 «l'annulation pour fraude et corruption» de la totalité des suffrages obtenus par des candidats aux élections législatives, provinciales et communales dans la circonscription électorale de Masimanimba, en invalidant quatre-vingt deux candidats dans le pays dont certains à Masimanimba ?

Le 8 février, la Cour Constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays, a déclaré haut et fort dans un arrêt lu par son président Dieudonné Kamuleta Badibanga en ces termes : «La CÉNI n’est pas compétente (d'invalider, ndlr) et qu'elle ne puisse plus jamais refaire cela...».
La CÉNI a justifié sa décision après « des actes de violence, de vandalisme et de sabotage perpétrés par certains candidats mal intentionnés à l’endroit des électeurs, de son personnel, de son patrimoine et du matériel électoral».

LA JUSTICE RÉCLAME DES PREUVES.
Elle ajoutait que cette décision intervenait « à la suite des enquêtes menées par une commission qu’elle avait mise en place pour investiguer sur la perturbation du déroulement des scrutins combinés du 20 décembre dernier ».

Pourtant, la Cour de Cassation a été en peine d’engager des poursuites judiciaires contre des candidats blacklistés par la CÉNI. Elle a manqué les preuves de fraude électorale au point que le 13 avril, le Procureur Général près la Cour de Cassation, Firmin Mvonde Mambu, a demandé à la CÉNI de lui fournir les preuves qui avaient fondé ses accusations.

Mis à l'épreuve, la centrale électorale a dépêché le 19 février 2024 une forte mission d'enquête à Masimanimba conduite par son deuxième Vice-président, Didi Manara Linga, qui, face à des éléments flagrants de preuves trouvés sur place, a procédé à l’arrestation de trois responsables des opérations électorales de la circonscription.

Il s'agit du chef d’antenne Baby Kalusuka Mpioka, du logisticien Jean-Luc Kitunu Kisibu, de l’informaticien Antoine Madianga Mukasu. « Oui (ces agents) sont poursuivis pour avoir facilité la fraude électorale en déployant les kits électoraux ou les matériels de vote dans les véhicules d’un certain nombre de gens dont les noms ont été cités », avait déclaré Me Olivier Mbangala, un des avocats du chef d'antenne de la CÉNI, Baby Kasuluka Mpioka.

Les trois agents étaient également poursuivis pour avoir abusé de la confiance de CÉNI en perdant des machines à voter. Les faits mis à leur charge sont poursuivables par l’article 89 de la loi électorale et l’article 21 du code pénal livre premier.

Le procès public ouvert le 12 avril à Masimanimba s’est clôturé le 21 mai avec un jugement contesté par le procureur près ce tribunal. L’affaire a été transmise à une juridiction supérieure, le tribunal de Grande Instance de Bulungu. Pour le procureur du tribunal de paix de Masimanimba, le verdict de Masimanimba a été trop clément. Interventions politiques ou opérations de corruption? L’officier du ministère public ne s’explique pas le refus du tribunal d’appeler à la barre des personnes nommément citées.

Certes, «il n'y a pas de corrompus sans corrupteurs». Si certaines de ces personnes ne pouvaient être déférées sans entorse devant le juge à Masimanimba, une fenêtre aurait pu être ouverte. Il reste que sur les noms cités par la CÉNI comme ayant participé à la fraude par l'achat de machines à voter, les DEV ou ayant perpétré « des actes de violence, de vandalisme et de sabotages », certains n’ont pas été cités une seule fois par les trois prévenus au cœur de ce chaos qui a entaché les scrutins, cela, ni lors de l’instruction préjuridictionnelle, ni lors du procès.

À une époque où aucun secret n’existe lorsque des actes sont posés par et pour des personnalités publiques, la population cite des noms des responsables de ces fraudes, brandit publiquement des preuves. Pourquoi le tribunal n’en a pas tenu compte?

Le 25 mai, sur son compte X (ex-Twitter), le professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba écrit : «Dieu soit loué. Le tribunal de Masimanimba a rendu son jugement sur la fraude électorale. Comme je n’ai eu de cesse de le dire, mon nom n’apparaît NULLE PART, ni à l’instruction, ni au procès. Des Diables connus et cités l’ont mis. Je vais laver mon Honneur ».

Le week-end dernier, TopCongo Fm, il déclare : « Mon nom a été cité. Aucun individu ne m'avait vu toucher une machine à voter ou menacer des forces de l'ordre. J'ai été choqué - choqué - d'entendre mon nom cité. Et aujourd'hui, la justice me lave totalement, complètement, pleinement. Notre pays a d'énormes défis à relever. Mais je pense aussi que nous sommes des humains. On ne peut pas laisser des individus salir d'autres.

Nous sommes un pays. Ayons le respect pour ce pays. Nous ne pouvons pas avancer dans le désordre, dans le chaos. Oui, je pense que je vais laver mon honneur. Cela prendra le temps que cela prendra mais je vais laver mon honneur ». Tryphon Kin-kiey Mulumba a félicité la CÉNI pour avoir poussé la justice jusqu’au bout à organiser ce procès.
Ci-après, le jugement rendu à Masimanimba.

EN CAUSE : MINISTERE PUBLIC ET PARTIE CIVILE CÉNI.
R. P. 3459
Contre les prévenus :
Kalusuka Mpioka Baby
Kitunu Kisibu Jean Luc
Madianga Mukasu Antoine

JUGEMENT.
Par sa requête aux fins de fixation d’audience n°046/RMP 2040/PR 053.2.2/SEC/2024/LOT du 02 avril 2024, l’Officier du Ministère Public Près le Tribunal de Paix de Masi-Manimba poursuit les prévenus Kalukisa Mpioka Baby, Kitunu Kisibu Jean Luc et Madianga Mukasu Antoine pour :
À charge de tous :

1. Avoir, à Masi-Manimba, territoire de ce nom, sans préjudice de date certaine mais au courant du mois de décembre 2023, période non encore couverte par le délai légal de prescription de l’action publique, en tant que co-auteurs, par coopération directe, facilité la fraude au cours du déroulement des opérations électorales en déployant les dispositifs électroniques de vote et les kits électoraux via respectivement le véhicule de marque Pick-up sans plaque d'immatriculation du candidat Mazenga Mukanzu Didier et camion non identifié de la candidate Antoinette Kipulu Kabenga, au préjudice de l’État Congolais.

Faits prévus et punis par les articles 21 et 22 du Code Pénal Livre I, 89 de la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des Élections Présidentielles, Législatives, Provinciales, Urbaines, Municipales et Locales, telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011, la Loi 15/021 du 21 février 2015 et la Loi n°17/013 du 04 décembre 2017.

2. Avoir, dans les mêmes circonstances de lieu et de temps que dessus, en tant qu'auteurs et co-auteurs, par coopération directe, frauduleusement détourné au préjudice de la Commission Électorale Nationale Indépendante qui en était propriétaire, deux dispositifs électroniques de vote d'une valeur globale non encore déterminée qui ne leur avaient été remis qu’à condition de les utiliser dans les Centres de Vote pour les Opérations électorales et les ramener.
Faits prévus et punis par les articles 21, 22 du CPL1 et 95 CPL II.

À l’audience publique du 03 mai 2024 à laquelle cette cause a été appelée, plaidée et prise en délibéré, la partie civile Commission Électorale Indépendante (CÉNI) a comparu représentée par son conseil, Maître Paulin Ngandu, Avocat, tandis que les prévenus ont comparus assistés de leurs conseil : Pour le prévenu Kalusuka Mpioka Baby, Maître Olivier Mbangala Kafuti, Hervé Kwakenda et Jean Promesse Kihosa Adadabuna, tous Avocats ; pour les prévenus Kitunu Kisibu Jean-Luc et Madianga Mukasu Antoine, par Maîtres Christophe Lungongo, Mukundu Mbala, Ngumbu Gustave et Mukulu Rachidi, tous Avocats, conjointement avec Maître Joseph Tshibambwe, Défenseur judiciaire.
Le Tribunal s'est déclaré saisi sur remise contradictoire à l’égard des prévenus et sur comparution volontaire vis-à-vis de la partie civile.

Telle que suivie, la procédure est régulière.
D'entrée de jeu, à l'audience publique du 12 avril 2024, tous les trois prévenus ont, par le biais de leurs conseils précités, soulevé deux moyens tendant à l'irrecevabilité de la présente action dont le premier se trouve relatif au défaut de qualité dans le chef du plaignant qui a saisi le Parquet Près le Tribunal de Paix de Masi-Manimba ; et le second se rapporte à l’obscurité de libelle.

Développant le moyen du défaut de qualité, les prévenus soutiennent que dans sa mission de rechercher les infractions, le Ministère Public peut se saisir d'office, par dénonciation ou par plainte ; que dans le cas des personnes morales qui ne délinquent pas, ce sont des personnes physiques ayant qualité de les représenter qui agissent en justice.
Que dans le cas de la Commission Électorale Nationale Indépendante, la loi organique régissant cette institution prévoit l'organe habilité à saisir le Parquet en l’occurrence, le Président de ladite Commission.

Que dans le cas sous examen, Monsieur Mundjondo Guylain, Conseiller du Président de la Commission Électorale Nationale Indépendante, qui a saisi le Parquet par sa plainte du 22 février 2024 n'a ni qualité, ni délégation de pouvoir en sa possession l’autorisant d'ester en justice. Qu'il y a défaut de qualité dans son chef, pensent les prévenus.
Ainsi, infèrent-ils, à l'irrecevabilité de l’action sous examen.

Détaillant le moyen d'obscurité de libelle, les trois prévenus exposent que le Tribunal a été saisi par une citation à prévenu, l’œuvre du Parquet qui viole l’article 57 du Code de Procédure Pénale en ce qu’elle ne reprend pas à la requête de qui elle est faite et ne précise pas exactement le degré de participation de chaque prévenu dans la commission dés infractions d'abus de confiance et de fraude électorale; Qu'en outre, relèvent-ils, la citation à prévenu, s'agissant de la prévention d'abus de confiance, n'indique pas les centres de vote auxquels étaient destinés les dispositifs électroniques de vote.

Faute de ces éléments, la citation à prévenu reste inintelligible et l’action sous examen devra être déclarée irrecevable, concluent-ils.
Pour le Tribunal, dès qu'une affaire se trouve fixée devant une juridiction de jugement, celle-ci n’examine la question de la qualité que seulement en rapport avec la personne ou l’organe qui l’a saisi ; le Juge vérifie le pouvoir en vertu duquel la personne l’ayant saisi a réellement esté en justice.

Ainsi, relève-t-il qu’aux termes de l’article 54 alinéa 1 du Code de Procédure Pénale, la juridiction de jugement est saisie par la citation à prévenu, et éventuellement à la personne civilement responsable, à la requête de l’Officier du Ministère Public ou de la partie lésée.
Qu'en l’espece, Monsieur Mondjondo Guylain, plaignant devant l’office du Procureur de Masi-Manimba n'a jamais saisi le Tribunal de céans de quelques faits reprochés aux prévenus préqualifiés.

Le Tribunal de céans a été saisi par la citation du 04 avril 2024 instrumentée par le Greffier Mulwa Sayo et ce, à la requête de l'Officier du Ministère Public du Parquet de Masi-Manimba.
Il note que l'Officier du Ministère Public près le Tribunal de Paix de Masi-Manimba étant partie principale dans le présent procès, sa qualité n’est pas à sous-estimer ; que les différentes modalités de saisine du Parquet, du reste antérieures à l'envoi en fixation du dossier et à l'examen de la présente affaire devant cette juridiction de jugement, n'impacte nullement sur la recevabilité de la présente action.

Dès lors, ce premier moyen reste recevable mais non fonde. Quant au moyen d'obscurité de libelle, l'original de la citation à prévenu qui gît au dossier renseigne qu'elle est faite à la requête du Ministère Public Près le Tribunal de Paix de Masi-Manimba. L'omission de cette mention substantielle dans les copies d'exploits données aux prévenus ne relève que d'une certaine inadvertance de la part du Greffier.

Il a été jugé que les mentions de la copie d'un exploit peuvent se compléter par celles de l'original (Boma, 09 juin 1903, JUR ÉTAT I, P. 309, cité par Ruphin Lukuo Musubao, la Jurisprudence congolaise en procédure civile, Tome I, Éd. On s’en sortira, 2010, p. 214).

En outre, le Tribunal fait observer qu'à l'audience introductive du 12 avril 2024, il s'est déclaré non saisi à l'égard de toutes les parties pour quelques irrégularités constatées dans la citation à prévenu ; que les prévenus ont accepté de comparaître volontairement.
Qu'en acceptant de comparaître volontairement, les trois prévenus ont renoncé à l'irrégularité de ladite citation à prévenu.

S'agissant de l'absence de certains détails relatifs au mode de participation criminels tels que vus par les trois prévenus, le Tribunal constate, à la lumière de l'exploit introductif d'instance, que les libellés de deux préventions retenues à charge de ces derniers indiquent qu'ils ont agi comme auteurs ou co-auteurs et ce, en coopération directe; que l'insuffisance des détails prétendument vantée par les prévenus ne doit pas être considérée comme une obscurité ni justifier l’irrecevabilité de la présente action.

À ce propos, il a été jugé que n'est pas fondée, la fin de non-recevoir prise de l'insuffisance du libellé de la prévention retenue à charge du prévenu lorsque l’Officier du Ministère Public qui y a identifié les auteurs et co-auteurs, a indiqué l'infraction commise et les modes de participation criminelle y afférents (CSJ, RPA 78 du 15 juillet 1983, en cause Ministère Public C/Kabamba Thambwe, Lushiku Sanga, Longele Nganda, Ilinga Lokonga et Kayimba Walia, Bulletin des Arrêts de la CSJ, Éd. SDE, Kinshasa 1984, p. 400). Cela étant, ce deuxième moyen sera rejeté pour non fondement.
Il ressort des pièces du dossier et de l’instruction menée devant le Tribunal de céans que les faits de la présente cause peuvent être résumés comme suit :

Après le cycle électoral de 2018 et conformément à la Constitution de la République Démocratique du Congo ainsi qu'aux présents de la Loi électorale dudit Pays, la Commission Électorale Nationale Indépendante s’est résolue d'organiser les élections en décembre 2023 afin de doter le Pays des Animateurs librement et démocratiquement choisis par le peuple congolais.

Et pour y parvenir, elle a nommé les responsables des différentes Antennes locales au nombre desquels figurent les Chefs d’Antenne, les Logisticiens et les Informaticiens Secrétaires Comptables.
Ainsi, pour l'Antenne locale de Masi-Manimba couvrant la Circonscription Électorale du Territoire de ce nom, les prévenus Kalusuka Mpioka Baby, Kitunu Kisibu Jean-Luc et Madianga Mukasu Antoine ont été nommés respectivement Chef d'Antenne, Logisticien et Informaticien-Secrétaire-Comptable.

Au courant du mois de décembre 2023 et après le repérage ainsi que la cartographie électorale et l’enrôlement des électeurs, la Commission Électorale Nationale Indépendante a procédé à une série d'opérations électorales dont la formation des responsables des différentes Antennes et des Agents électoraux, le déploiement des matériels et le vote proprement dit.

Après le vote du 20 décembre 2023, la Commission Électorale Nationale Indépendante a, par sa décision n°001/CÉNI/AP/2024 du 05 janvier 2024, annulé les élections législatives et provinciales dans la Circonscription Électorale de Masi-Manimba.

Au mois de février 2024 et en perspective de réorganisation des élections dans ce coin de la République, la Commission Électorale Nationale Indépendante a décidé d'effectuer une mission d'enquête en vue de s'imprégner des véritables causes d'annulation des élections.
À l'issue de ces investigations, elle a, par sa lettre plainte du 22 février 2024, saisi le Parquet Près le Tribunal de Paix de Masi-Manimba contre les responsables de l’Antenne locale : Kalusuka Mpioka Baby, Kitunu Kisibu Jean-Luc et Madianga Mukasu Antoine.

Le Procureur a ouvert ses enquêtes qui aboutirent à l’interpellation et arrestation de ces trois prévenus, tous ayant, en coopération directe, au courant du mois de décembre 2023 lors des opérations électorales, facilité la fraude en violation du système électoral de la République Démocratique du Congo ; et s'étant trouvé dans l’impossibilité de remettre deux machines à voter leur remises par la Commission Électorale Nationale Indépendante.

Surabondamment, le Ministère Public conclut d'une part que les trois prévenus précités ont déployé les machines à voter et autres matériels électoraux sans bordereau de sortie ni plan de déploiement et d'autre part, ils ont occasionné les actes de vandalisme en créant des bureaux fictifs de vote et en s'abstenant d'équiper certains bureaux de vote.
Après l'instruction pré juridictionnelle, le Procureur Près le Tribunal de Paix de Masi-Manimba a, par sa requête aux fins de fixation d'audience, déféré les trois prévenus devant cette juridiction en vue d'obtenir leur condamnation.

Pour la Commission Électorale Nationale Indépendante qui s'est constituée partie civile, les préventions retenues à charge des prévenus prénommés sont établies et qu'il sied de les condamner solidairement au paiement de la somme équivalente en Francs Congolais de 500.000 $US à titre des dommages-Intérêts.

Ayant la parole pour ses réquisitions, l’organe de la loi a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal de céans de dire établies en fait comme en droit les deux préventions retenues à charge des prévenus susnommés et de les condamner chacun a 5 ans de servitude pénale principale ainsi qu'à une amende de 500.000 FC ; d'ordonner la déchéance de leurs droits de vote et d'éligibilité politiques pendant une période de six ans.

Interrogés sur les faits leur reprochés, les trois prévenus ont clamé leur innocence et sollicité leur acquittement arguant que les infractions mises à leur charge ne sont pas établies.
En effet, le prévenu Kalusuka Mpioka Baby a, tout au long de l'instruction juridictionnelle, reconnu avoir déployé les dispositifs électroniques de vote par des véhicules des particuliers clairement identifies en vue de sauver la situation car, a-t-il dit, le prévenu Kitunu Jean-Luc a, par sa lenteur, occasionné un retard très significatif dans l'opération de chargement des matériels électoraux.

Aussi, a-t-il renchéri, que les véhicules ayant servi au déploiement des dispositifs électroniques de vote n'ont pas appartenu aux candidats Didier Mazenga et Antoinette Kipulu Kabenga, comme ont semblé soutenir l’organe de la loi et les deux autres prévenus.
Bien plus, a-t-il poursuivi, le déploiement fut effectué sans plan débattu en panel; que tantôt le centre de Lycée Kalunga n'a pas été retenu par la Commission Electorale Nationale Indépendante, tantôt que ce centre de vote n'était qu'un démembrement du centre Maday.

Par ailleurs, a-t-il déclaré, les deux dispositifs électroniques de vote n'ont jamais été détournés mais plutôt vandalises par des jeunes gens mal intentionnés.
Il conclut que c'est à tort que le Ministère Public retient les deux infractions contre lui et sollicite son acquittement.
Pour sa part, le prévenu Kitunu Kisibu Jean-Luc a reconnu avoir déployé les machines à voter et divers accessoires dans quelques secteurs du territoire de Masi-Manimba avant de se retirer et laisser la place au prévenu Kalusuka Mpioka Baby qui empiétait ses attributions de logisticien.

Il poursuit qu'il avait conçu le plan de déploiement, lequel fut discuté au cours d'une réunion du panel ; que c'est à tort qu'il a cité les noms des candidats Didier Mazenga et Antoinette Kipulu Kabenga car, a-t-il précisé, ces informations relatives aux véhicules ne relevaient que des rumeurs.
Il renchérit que 234 machines à voter auraient été vandalisées et que les deux machines vantées par l’Organe poursuivant dans la citation à prévenu ne sont pas identifiées, que le détournement y relatif ne reste one dans l’imagination fertile di Ministère Public.

Ainsi, invite-t-il le Tribunal de céans à constater son innocence et à l'acquitter.
Enfin pour sa part, le prévenu Madianga Mukasu Antoine a déclaré qu'il n'a pas joué un quelconque rôle dans le déploiement des dispositifs électroniques de vote; qu'il aurait appris par des rumeurs que les véhicules cites dans la citation à prévenu appartenaient aux candidats précités;

Il a renchéri qu'il est arrivé à Masi-Manimba en retard, que le déploiement des machines à voter et ses accessoires n'entre dans ses attributions et que les frais mis à sa disposition ont été utilisés convenablement.
Enfin, il conclut qu'il plaise au Tribunal de constater son innocence et de l'acquitter.

De la fraude électorale ;
Le Tribunal de céans fait observer, d’ores et déjà, que la loi électorale ne définit pas l'incrimination de fraude électorale.
Néanmoins, poursuit-il, la doctrine enseigne que la fraude électorale est un ensemble d'actes intentionnellement commis dans le but d'altérer la sincérité du scrutin, soit de fausser les résultats électoraux. Elle est une violation des régies d'un système d'élections, de façon à garantir ou à favoriser un résultat voulu.

Elle désigne aussi toutes les irrégularités qui peuvent se dérouler pendant une élection (Jean-Louis Esambo Kangashe, le droit électoral congolais. Academia-L'Harmattan, Louvain-La Neuve ; 2014, p. 147; Hélène Combes, Un cas d'école ; Fraudes Électorales et Instrumentation du vote dans la transition politique Mexicaine, Hal Open Science, février 2022, p. 12).

Il relève qu'aux termes de l’article 89 de la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections Présidentielle, Législatives, Provinciales, Urbaines, municipales et locales, telle que modifiée par la loi n°11/003 du 25 juin 2011, la loi n°15/021 du 21 février 2015 et la loi n°17/013 du 04 décembre 2017, est puni d'une servitude pénale principale de six mois à cinq ans et d'une amende de 500.000 à 1.000.000 FC ou d'une de ces peines seulement; tout membre de Commission Électorale Nationale Indépendante ou de sa représentation locale qui facilite la fraude au cours du déroulement des opérations électorales au Bureau de vote, dans le Centre de vote, dans le Centre de Compilation ou au niveau du Bureau de la Commission Électorale Nationale Indépendante.

Il est en outre, puni de la déchéance de ses droits de vote et d’éligibilité politique pendant une période de six mois.
Ainsi, indique-t-il qu'outre l’élément légal tiré de la disposition légale sus évoquée, l'infraction de fraude électorale requiert, pour sa consommation, la qualité de l'agent, les éléments matériel et intentionnel.

En effet, il résulte de l'économie de l'article 89 de la loi sus rappelée que l’agent de l’infraction de fraude électorale doit avoir impérativement la qualité de membre de la Commission Électorale Nationale Indépendante ou de sa représentation locale. Par membre, il faut entendre toute personne engagée par la Commission Électorale Indépendante tant au niveau de son siège national qu'au niveau de sa représentation locale, même à titre temporaire.

En l'espèce, lors de leur identification aux différents stades de l’instruction de la présente cause, les trois prévenus précités ont déclaré qu'ils sont membres de la Commission Électorale Nationale Indépendante au niveau de sa représentation locale de Masi-Manimba : Chef d'Antenne, Logisticien et Informaticien-Secrétaire-Comptable.
De ce fait, ils ont qualité d'agents susceptibles de commettre l’incrimination sous analyse.

L'élément matériel consiste à faciliter la fraude, c'est-à-dire, à poser des actes irréguliers en utilisant des procédés ou des moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement des électeurs ou des candidats, à obtenir un avantage matériel ou moral indu.
Ces actes irréguliers constitutifs de fraude électorale peuvent se réaliser soit lors de la campagne électorale, soit lors de l'organisation des bureaux de vote et du scrutin incluant le déploiement des matériels électoraux, soit lors de décompte des voix ou dépouillement, soit lors de la publication des résultats.

Ces actes se réalisent aussi :
w Par le transport des matériels de vote vers une destination inconnue aux conséquences du choix des centres fictifs : l'affectation des bureaux de vote dans des lieux non retenus ;

w Par le fait de faire voter des personnes dont les noms ne figurent pas sur la liste électorale ou étant en possession des cartes d'autres électeurs ;
w Par l'absence ou l'insuffisance du matériel électoral : Absence des machines, des enveloppes, des sacs à rébus, de l'isoloir, des bulletins, des urnes, etc.

w Par la création des bureaux de vote fictifs ;
w Ou par le non affichage des listes devant le bureau de vote.
Dans le cas sous examen, il ressort des pièces du dossier et surtout de l'instruction pré-juridictionnelle que la fraude électorale reprochée aux prévenus Kalusuka Mpioka Baby, Kitunu Kisibu Jean-Luc et Madianga Mukasu Antoine s’est matérialisée lors du déploiement des matériels électoraux du Bureau de la représentation locale de la Commission Électorale Nationale Indépendante vers les centres et bureaux de vote.

L'instruction menée aux audiences de 15, 19 et 26 avril 2024 a largement révélé que seuls les prévenus Kalusuka Mpioka Baby, Kitunu Kisibu ont joué un rôle prépondérant dans les opérations de déploiement en ce qu'ils se sont employés vigoureusement à charger les machines à voter et leurs accessoires dans les différents moyens de locomotion en violation du système électoral congolais.

Le Tribunal fait observer, à la lumière de l'instruction juridictionnelle que les opérations de déploiement des matériels électoraux (machines à voter et accessoires) ne se sont pas réalisées au moyen des véhicules des candidats Didier Mazenga Mukanzu et Antoinette Kipulu Kabenga qui, du reste, n’ont jamais collaboré avec la représentation locale de la Commission Électorale Nationale Indépendante de Masi-Manimba pour le transport d'un quelconque bien devant servir au vote de 20 décembre 2023.

Cité pour éclairer le Tribunal de céans, le renseignant Xavier Nzamba a déclaré que les véhicules vantés dans la citation à prévenu étaient propres à lui et é son ami Mabaka.
Que bien au contraire, renchérit le Tribunal, la fraude électorale décriée dans la Circonscription de Masi-Manimba n'est pas l’œuvre des candidats aux élections nationales et provinciales du 20 décembre 2023, mais elle reste une criminelle savamment orchestrée et concoctée par les prévenues Kalusuka Mpioka Baby, Kitunu Kisibu Jean-Luc.

En effet, relève le Tribunal, le système électoral congolais exige que le déploiement des matériels électoraux vers les centres et bureaux de vote soit effectué moyennant un plan validé par le panel et un bordereau de sortie, que ces deux documents constituent la boussole électorale permettant à la Commission Électorale Nationale Indépendante de déterminer les différents axes de déploiement, les matériels y affectes, les moyens utilisés, les itinéraires à suivre et les Agents auprès de qui les matériels électoraux ont été réellement confies.

Cependant, il résulte aussi bien de l'instruction pré-juridictionnelle que des éléments recueillis aux différentes audiences que les prévenus Kalusuka Mpioka Baby, Kitunu Kisibu Jean-Luc, respectivement Chef et Logisticien de l'Antenne locale de la Commission Électorale Nationale Indépendante de Masi-Manimba ; le premier ayant pour mission de coordonner les activités de ladite antenne et le second étant la cheville ouvrière de la logistique, se sont autorisés de déployer conjointement les matériels électoraux devant servir au vote du 20 décembre 2023 dans la Circonscription Électorale de Masi-Manimba et ce, sans plan de déploiement ni bordereau de sortie violant ainsi les régies de jeu qui dictent le système électoral congolais.

Le prévenu Kalusuka Mpioka Baby a prétexté que la mission d'élaborer le plan de déploiement et le bordereau de sortie était dévolue au seul prévenu Kitunu Kisibu Jean-Luc, Logisticien de l'Antenne susnommée; que celui-ci n'a pas parfait sa tache; tandis que le prévenu Kitunu Kisibu Jean-Luc a déclaré qu'il aurait établi le plan du déploiement ainsi que le bordereau de sortie, lesquels seraient discutés et validés par les membres du panel.

Néanmoins, relève le Tribunal de céans lors des différentes missions d’enquête effectuées aussi bien par le Secrétaire Exécutive Provinciale, le Logisticien Provincial que par le deuxième Vice-Président de la Commission Électorale Nationale Indépendante, le prévenu Kitunu Kisibu Jean Luc n'a produit aucune pièce attestant qu’il y a eu un plan de déploiement et un bordereau de sortie des matériels électoraux. Il en était de même tant devant le Parquet qu'aux différentes audiences publiques au cours desquelles cette question a été abordée.

Il sied de signaler en outre, qu'invités à éclairer le Tribunal, Messieurs Masonga Patrice, Logisticien Provincial et le nomme Mufufula osé, Chef de centre de vote de l'Institut Makaya II dans le Secteur de Masi-Manimba, ont déclaré respectivement que lors de la mission d'investigation au mois de février 2024, le Secrétaire Exécutive Provinciale n’a pas vu un plan de déploiement ni un bordereau de sortie conformes aux modèles envoyés par la Centrale Électorale de Kinshasa et, que c'est le prévenu Kalusuka Mpioka Baby qui a déployé des machines à voter destinées au Centre Makaya II alors que le prévenu Kitunu Jean-Luc a remis des accessoires de vote.

Le Tribunal relève, par ailleurs qu'aux termes de l’article 47 de la Loi Électorale sus évoquée, la Commission Électorale Nationale Indépendante fixe dans chaque circonscription électorale le nombre des bureaux de vote, en détermine le ressort et nomme son personnel en tenant compte de la parité homme-femme.

L'article 54 de la même Loi dispose: chaque bureau de vote, suffisamment éclairé, est pourvu de tout le matériel électoral requis et, notamment du nombre d'urnes correspondant au nombre de scrutins et d'un ou de plusieurs isoloirs garantissant le secret du scrutin.
Les listes des candidats et leurs photos sont affichées dans chaque bureau de vote de la circonscription électorale ou ils se présentent.

Qu'en l'espèce, à l’audience publique du 15 avril 2024, le prévenu Kalusuka Mpioka Baby a déclaré que la seule cité au chef-lieu de la Commune Rurale de Masi-Manimba comptait légalement cinq centres électoraux dont Maday I, Maday II avec deux centres, Lukula (École Primaire TADI), EPA Mungulu et Eseco.

Qu'à cette même audience, il a reconnu que le centre Saint Paul ou Lycée Kalunga a fonctionné de façon irrégulière.
Qu'à l'audience du 26 avril 2024, les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ont aussi reconnu l'existence du centre de vote de l'Institut Supérieur Pédagogique de Masi-Manimba.

Des éléments recueillis à ces deux audiences précitées, il résulte que les centres de vote Saint Paul ou Lycée Kalunga et celui de l'Institut Supérieur Pédagogique ont fonctionné en violation de l'article 47 de la Loi électorale et au mépris des opérations de repérage et cartographie menées antérieurement par la Commission Électorale Nationale Indépendante.
Bien que connaissant l'existence irrégulière des centres et bureaux du Lycée Kalunga et de l'Institut Supérieur Pédagogique de Masi-Manimba, les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ont respectivement déployé les machines à voter et remis le kit bureautique ainsi que quelques documents; ils y ont également affecté les Agents électoraux.

En outre, les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc se sont autorisés de supprimer le deuxième centre du site de Maday II pour créer un centre fictif au Lycée Kalunga, lequel a fonctionné avec l’insuffisance d’un bureau de vote et d'une machine sur les quatre.

Invitée à éclairer la religion du Tribunal de céans, la renseignante Marie-France Kibari a déclaré que le centre du Lycée Kalunga a manqué la machine à voter et les accessoires du quatrième bureau alors que le personnel y affecté était présent.
Ainsi, prenant en compte les éléments ci-haut détaillés, le Tribunal de céans s'avise que l’élément matériel de l'infraction de fraude électorale reprochée aux prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc reste établie.
Cependant, indique-t-il que l'intervention du co-prévenu Madianga Mukasu Antoine dans l'accomplissement des actes matériels irréguliers constitutifs de fraude électorale s’avère largement non évidente, étant donné qu'il a été démontré qu'il accomplit tous les devoirs de son état.

Quant à l'élément moral de cette incrimination, il découle de la volonté manifeste d'altérer la sincérité du scrutin, de fausser les résultats voir de favoriser un résultat voulu ; peu importe que le bénéficiaire soit connu ou pas.
Le comportement de l'Agent sera coupablement établi dès qu’il a consciemment, c'est-à-dire avec pleine connaissance, posé des actes de nature à fausser la vérité des urnes.

En l’espèce, il découle des actes irréguliers posés par les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc, notamment, le déploiement des matériels électoraux dans tous les bureaux et centres de vote sans plan de ploiement, ni bordereau de sortie, la création des centres et bureaux de vote du Lycée Kalunga (Saint Paul Paroisse) et ceux de l'Institut Supérieur Pédagogique de Masi-Manimba non répertoriés par la Commission Électorale Nationale Indépendante ainsi que l'insuffisance et l'absence des matériels dans lesdits centres, que ces derniers ont eu l'intention manifeste d'altérer la sincérité du scrutin du 20 décembre 2023 et de favoriser les résultats de leur choix.
Dès lors, cet élément reste patent.

S'agissant de la participation criminelle des prévenus dans la commission de l’infraction de fraude électorale, il a été clairement démontré ci-haut l'existence de cette incrimination. En plus, les deux prévenus Kalusuka Mpioka et Kitunu Kisibu ont chacun dans le cadre de ses attributions, déployé des dispositifs électroniques de vote, urnes et isoloirs sans plan de déploiement, ni bordereau de sortie même dans des bureaux et centres de vote non retenus par la Commission Électorale Nationale Indépendante dans le but de fausser la vérité des urnes et de désorienter les électeurs ainsi que les candidats.

Ainsi, pour le Tribunal de céans, l’argumentaire selon lequel les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ont travaillé en désunion et de manière éparse et que l'intention de délinquer ensemble est hallucinatoire, ne relève que d’une malicieuse stratégie de défense concoctée par ces derniers pour se disculper.

À ce propos, il a été jugé que la participation criminelle ne requiert pas le concert préalable entre les coparticipants. Il suffit que celui qui agit soit animé de l’élément moral de s'associer à une infraction, les autres participants le sachant ou non, y consentant ou non. (C.A. Lubumbashi, 28 janvier 1967, in RJC 1968, p. 50).

De ce qui précède, le Tribunal dira établie en fait comme en droit l’infraction de fraude électorale mise à charge des prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ; les condamnera en conséquence, à six mois de servitude pénale principale ainsi qu'à une amende de 500.000 FC chacun payable dans le délai à défaut, subir 15 jours de servitude pénale subsidiaire; il prononcera également la déchéance de leurs droits de vote et d'éligibilité politiques pendant une période de six ans, et mettra les frais d’instance à leur charge, à défaut, ils subiront 15 jours de contrainte par corps. Il dira par contre, non établie en fait comme en droit l’infraction de fraude électorale mise à charge du prévenu Madianga Mukasu Antoine ; l’acquittera en conséquence, et prononcera sa libération immédiate.

De l'abus de confiance, prévue et punie par l’article 95 du Code Pénal Livre II.
Pour qu'elle soit établie, l’infraction d'abus de confiance requiert des conditions préalables qui, somme toute, sont des questions de droit civil pour la solution desquelles les Tribunaux répressifs sont compétents, en vertu du principe selon lequel « le Juge de l’action est le Juge de l’exception » et en vertu du principe de l’autonomie du droit pénal.

L'abus de confiance, tel qu’indiqué ci-haut, suppose trois conditions préalable: un contrat, une remise et une chose, objet de la remise (CSJ, 08 Octobre 1969, RJC 1970, P.7 citée par Likulia Bolongo, Droit pénal spécial zaïrois, T.J., LGDJ, Paris 1985, P. 149).

L’existence d'un contrat : le contrat est entendu comme un accord des volontés en vertu duquel la chose a été remise à titre précaire. Ce contrat ne confère au détenteur que des droits limités sur la chose, consistant en une simple détention ou possession précaire.

La remise de la chose ou tradition : elle est faite en vertu d'un contrat et à titre précaire. La remise forcée est donc exclue en matière d'abus de confiance tout comme la remise à titre définitif.
La chose, objet de remise : il doit s’agir d’un des objets mobiliers énumérés à l’article 95 du Code Pénal Livre II. La chose visée en l'espèce, ce sont des effets.

Dans le cas sous examen, il a existé un contrat de travail liant les trois prévenus précités à la Commission Électorale Nationale Indépendante. Qu'en vertu de ce contrat, ladite Commission a, aux fins de vote de décembre 2023, remis 1098 machines à voter et accessoires au prévenu Kitunu Kisibu Jean-Luc, le Logisticien de sa représentation locale de Masi-Manimba dont les activités furent coordonnées par le prévenu Kalusuka Mpioka Baby, le Chef d'Antenne.

Tout au long des différentes audiences publiques voire devant le Parquet, tous les prévenus ont reconnu avoir conclu le contrat de travail avec la Commission Électorale Nationale Indépendante; le prévenu Kitunu Kisibu Jean-Luc a aussi reconnu la réception par lui de 1098 dispositifs électroniques de vote ; le prévenu Kalusuka Mpioka Baby s'est évertué à dire qu'il coordonne les activités des autres membres de l’antenne ; ce qui laisse croire que même les machines à voter étaient aussi sous sa responsabilité. Néanmoins, les pièces du dossier ainsi que l'instruction menée aux différentes audiences ont largement démontré que le prévenu Madianga Mukasu Antoine, bien que se trouvant sous le lien contractuel de travail avec la Commission Électorale, il n'a reçu d'elle aucun dispositif électronique de vote. De ce fait, la remise et la chose objet de ladite remise, ces deux conditions préalables n'étant pas réunies, le Tribunal dira non établie en fait comme en droit l'infraction d’abus de confiance mise a charge de ce prévenu.

Par ailleurs, le Tribunal note que les conditions préalables exigées pour la consommation de l'infraction d'abus de confiance sont bel et bien réunies à l'égard des prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc.
Ainsi, poursuit-il qu'outre ces conditions préalables, l'abus de confiance requiert les trois éléments constitutifs suivants : un acte matériel constitué par le détournement ou la dissipation ; un préjudice et l'intention coupable.

Il a été jugé que le détournement ou la dissipation de la chose reçue par contrat à titre précaire. Ces termes désignent tous actes de déposition ou d'appropriation (Kin, 13 mars 1977, RJZ 1979, p. 108), c'est-à-dire la translation frauduleuse par détournement ou dissipation de cette possession précaire en possession définitif au profit de l'auteur ou d'un tiers (C.S.J., 1er février 1973, B.A. C.S.J., 1973 p. 16).

Dans le cas sous examen, il ressort des éléments du dossier et des déclarations du renseignant Patrice Masonga, le Logisticien Provincial, que l'Antenne locale de Masi-Manimba a réceptionné 1098 machines à voter, qu'à ce jour, l'on retrouve seulement 864 dispositifs électroniques de vote dans l'entrepôt de ladite Antenne et que les 234 autres ont été vandalisés lors du vote du 20 décembre 2023.

En plus, l'organe poursuivant n'a pas spécifié les numéros de deux dispositifs électroniques de vote présumés détournés, ni les centres ou bureaux de vote auxquels ils ont été destinés, mettant ainsi le Tribunal en difficulté d’assoir l’élément matériel de l’incrimination d’abus de confiance mise à charge des prévenus susnommés.
Cela étant le Tribunal de céans estime qu'il y a doute et que l’analyse des autres éléments constitutifs reste superfétatoire.

Ainsi, dira-t-il non établie en fait comme en droit l'infraction sous examen et acquittera les prévenus.
De l’action civile.

L'action en réparation du dommage relève de l’article 258 CCL III qui dispose ; Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui pour la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il découle de cette disposition que trois conditions pour la réparation du préjudice, à savoir : un fait générateur de préjudice ; l’existence d'un préjudice ; et le lien de causalité entre le fait et le préjudice subi.

Dans le cas sous examen, il a été précédemment démontré que les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ont entretenu un déficit organisationnel en vue de faire échouer le processus électoral 2023 dans la Circonscription Électorale de Masi-Manimba.

Alors qu'ils ont plus de cinq ans chacun comme Agents de la Commission Électorale Nationale Indépendante, les deux prévenus se sont intentionnellement permis de déployer les dispositifs électroniques de vote sans plan de déploiement, ni bordereau de sortie des matériels ; ils ont également crée deux centres de vote dont celui du Lycée Kalunga situe à la Paroisse Sait Paul et celui de l'Institut Supérieur Pédagogique de Masi-Manimba et ce, contrairement à la cartographie retenue par la Commission Électorale Nationale Indépendante.

Il sied de noter qu'en se comportant de la sorte et en posant des actes irréguliers sus-évoqués, les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ont discrédits la Commission Électorale National Indépendante dans sa lourde mission d'organisation des élections libres et transparentes.

La Commission Électorale Nationale Indépendante a engagé énormément des moyens matériels et financiers pour l'organisation des élections dans la Circonscription Electorale de Masi-Manimba ; lesquels sont partis en fumée du fait des actes irréguliers susceptibles de fraude posés intentionnellement par les prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc. Elle a donc subi les préjudices matériel et moral qui méritent d'être réparés.

Cependant, le montant de 500.000 $US convertibles en Francs Congolais postulé par la partie civile à titre des dommages-intérêts, parait exorbitant, faute d'éléments comptables objectifs. Ainsi, le Tribunal de céans condamnera ex aequo et bono les deux prévenus à payer solidairement la somme, équivalente en francs congolais de 10.000 $US au profit de la Commission Électorale Nationale Indépendante.

Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties ;
Vu la Loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant 8 organisations, fonctionnement et compétences des Juridictions de l'Ordre Judiciaire ;
Vu le Code de Procédure Pénale ;
Vu la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législative, provinciale, urbaine, municipale et locale telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011, la Loi n°15/021 du 21 février 2015 et la Loi n°17/013 du 04 décembre 2017 ;
Vu le Code Pénal, en ses articles 21 et 95 ;

Le Ministère Public entendu,
Reçoit mais déclare non fondés les moyens du défaut de qualité et d'obscurité de libellé ;
Dit non établie en fait comme en droit l’infraction d'abus de confiance mise à charge de tous les trois prévenus ;
En conséquence, les acquitte au bénéfice du doute et les renvoie libres de fin des poursuites judiciaires;
Dit non établie en fait comme en droit l'infraction de fraude électorale mise à charge du prévenu Madianga Mukasu Antoine ;

En conséquence, l'acquitte et le renvoie libre de fin des poursuites judiciaires ;
Dit par contre, établie en fait et en droit l'infraction de fraude électorale mise à charge des prévenus Kalusuka Mpioka Baby et Kitunu Kisibu Jean-Luc ;

En conséquence, les condamne chacun à six mois de servitude pénale principale ainsi qu'à une amende de 500.000 FC, payable dans le délai à défaut, subir 15 jours de servitude pénale subsidiaire ;
Prononce en outre, la déchéance de leurs droits de vote et d'éligibilité politiques pendant une période de six ans.
Statuant sur les intérêts civils ;
Reçoit et déclare fondée l’action de la partie civile ;

En conséquence, condamne les deux prévenus à payer solidairement la somme équivalente en Franc Congolais de 10.000 $US à titre de dommages-intérêts au profit de la Commission Électorale Nationale Indépendante.

Met les frais d'instance à leur charge, payables dans le délai légal, à défaut, subir 15 jours de contrainte par corps.
Ainsi jugé et prononcé par le Tribunal de Paix de Masi-Manimba siégeant en matière répressive à son audience publique du 10 mai 2024 à laquelle ont siégé les Magistrats Cicéron Kapenze Munianga, Président, Serge Kabuyeti Mbume, Juge et Maître Adrienne Tabala Mbuma, Juge assumée avec le concours du Magistrat Josué Lomami Tambashe, Officier du Ministère Public et l'assistance de Monsieur Alida Sengundu Mayulu, Greffier du siège.
Sé/Le Greffier, Sé/Le Juge assumé, Sé/Le Juge, Sé/Le Président.

Copie certifiée conforme,
Masi-Manimba, le 21/05/2024.
Sengundu Mayulu Alida,
Chef de Bureau.


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