- mar, 22/07/2014 - 01:42
«La nôtre, celle de la Vème République, a connu de nombreuses modifications au fil du temps», déclare le diplomate français à la classe politique congolaise.
Belle leçon publique administrée à la classe politique congolais par l’ambassadeur de France à Kinshasa Luc Hallade lors de son discours du 14 juillet, la fête nationale française. Trois phrases fortes à retenir: «Aucune démocratie n’est parfaite (...). Aucune Constitution n’est intangible. La nôtre, celle de la Vème République, a connu de nombreuses modifications au fil du temps».
Après avoir remercié Congolais, Français et autres invités pour s’être présentés aussi nombreux à la Fête française, remercié le Club Français des Affaires, partenaire traditionnel et les nombreux sponsors, l’ambassadeur en vient au «plat de résistance» de son discours pas avant d’avoir eu une note spéciale pour le restaurant Caf’Conc et son patron Noël Camillieri ainsi que son équipe pour la préparation du «somptueux buffet» en rassurant qu’il y en avait pour toutes les papilles. En intégralité ci-après.
Cette année, en accord avec nos sponsors, nous avons renoué avec une tradition républicaine: celle d’accueillir tous les Français, enregistrés au Consulat ou sur Ariane (pour ceux en mission ou de passage). Ce n’est pas exactement conforme aux instructions reçues, qui incitent à restreindre le nombre d’invités pour des raisons d’économie, mais je me réjouis que nous ayons pu ainsi ouvrir cette belle résidence à ceux qui n’ont pas toujours l’occasion d’y venir.
Merci enfin à tous ceux qui ont contribué à l’organisation de cet événement: personnels de l’Ambassade, de la Résidence ou de l’Institut français, ainsi qu’à la chorale Mgr Luc Gillon et à l’orchestre Jaffroz, qui agrémenteront cette soirée en musique.
Après les remerciements, place à quelques réflexions personnelles, après trois années passées comme Ambassadeur de France en RDC. J’axerai mon propos autour de trois sujets qui me paraissent illustrer à la fois les enjeux et les défis d’une relation bilatérale forte, dense et riche entre la France et la RDC:
L’ENA congolaise, qui vient de naître;
La semaine française qui s’est tenue fin mai;
Et enfin, le triangle élections-stabilité et sécurité.
L’ENA tout d’abord.
En France, l’ENA et les énarques sont souvent décriés aujourd’hui. Il faut cependant se souvenir qu’au lendemain de la IIème guerre mondiale, dans un pays déchiré par 6 ans de conflit meurtrier, une des premières décisions des nouvelles autorités a été de créer une école républicaine, fondée sur le mérite et qui a fourni à la France plusieurs générations de hauts fonctionnaires qui ont rebâti une Administration moderne, impartiale et efficace.
Je salue la décision prise par le Gouvernement congolais de s’inspirer de cet exemple en fondant une ENA congolaise, dont la 1ère promotion de 60 futurs hauts fonctionnaires a effectué sa rentrée, dans des locaux rénovés et adaptés, le 1er juillet dernier.
Je leur souhaite plein succès dans leurs futures fonctions, eux qui seront en quelque sorte le levain et j’espère la fierté d’une nouvelle Fonction Publique attachée aux vertus républicaines et au service de l’Etat.
La RDC a besoin de rebâtir son Administration, après des années de crises et de conflits qui ont corrompu et dévoyé le sens et la notion de «service public».
Je suis fier qu’avec d’autres partenaires, sous la houlette du Gouvernement de M. Matata Ponyo et notamment, d’un Ministre de la Fonction Publique volontariste et déterminé, nous ayons pu apporter notre pierre, notre contribution à cet édifice encore jeune mais prometteur, à ce projet titanesque: rebâtir une Administration performante, efficace et qui assure, sur l’ensemble du territoire, la mise en œuvre effective des politiques publiques. Longue vie donc à l’ENA congolaise, symbole du renouveau d’un Etat au service des citoyens. Nous continuerons, M. le Ministre, à vous soutenir et vous accompagner dans cette œuvre salutaire et indispensable.
Après l’ENA congolaise, la semaine française. Pour la 1ère fois, l’Ambassade de France, la CCIFC, et l’Institut français, ont organisé, du 26 au 31 mai derniers, une «semaine française», au lendemain de la visite réussie du Président Kabila en France le 21 mai.
Cette manifestation a d’abord été un succès populaire: près de 10.000 visiteurs ont fréquenté le site de cette semaine française en 6 jours. C’est considérable. Elle a ensuite - et surtout - montré, à travers la vingtaine de stands d’entreprises françaises installées en RDC, les tables-rondes très animées et rehaussées de la présence de plusieurs ministres - que je remercie pour leur disponibilité, les nombreux événements culturels organisés à cette occasion, que la France est bien présente et active en RDC.
Mais au-delà de cette manifestation réussie et qui sera certainement renouvelée, le message que nous avons voulu faire passer a, je crois, été entendu et j’espère bien compris.Ce message, c’est la foi dans le développement économique de la RDC et l’espoir que les entreprises françaises pourront y participer et y contribuer. Il est en effet anormal - je n’hésite pas à le dire, même si les responsabilités sont évidemment partagées - qu’aussi peu d’entreprises françaises soient présentes en RDC, alors même que plusieurs manifestent, quelquefois depuis plusieurs années, leur volonté de développer leurs activités et leurs investissements au Congo. Je souhaite donc que dans l’année à venir, de nouveaux projets aboutissent et que les entreprises déjà présentes puissent se développer sans entrave. Il faut pour cela que des décisions soient prises, sur des dossiers qui ont trop longtemps tardé. Et aussi que les groupes ou dirigeants français ne soient pas traînés en justice sous de faux prétextes, avec quelquefois - il faut bien le dire - des menaces à peine voilées sur leurs personnes ou les intérêts de leurs entreprises. Une justice impartiale, qui applique le droit sans le pervertir, est une condition nécessaire pour que les investisseurs potentiels, français ou autres, viennent s’installer en RDC dans un climat de confiance. Enfin, parce qu’il faut bien parler aussi de politique après la coopération et l’économie, vous n’échapperez pas à quelques considérations sur ce qui remplit quotidiennement les colonnes de la presse, dont je salue les représentants présents. Plutôt que de vous parler de calendrier électoral ou de réforme de la Constitution, je voudrais aborder cette question sous l’angle de la stabilité et de la sécurité.
En effet, pour se développer, un pays, quel qu’il soit, a besoin de ces deux piliers pour réussir à enclencher une dynamique positive.
La stabilité n’est pas synonyme de statu quo. La stabilité, c’est le fonctionnement régulier des institutions et des pouvoirs publics, le respect des libertés publiques consacrées par la Constitution. La stabilité dans une démocratie, c’est aussi le respect des prérogatives et de l’indépendance des différents organes qui ont, chacun dans leur sphère propre, un rôle éminent à jouer: le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
C’est enfin le respect d’une règle de base du fonctionnement de toute démocratie: la possibilité d’une alternance au pouvoir, sanctionnée par des élections libres, transparentes et inclusives. Je ne me pose pas, en disant cela, en donneur de leçons et encore moins de prescriptions. Je veux seulement rappeler quelques règles de base, qui s’appliquent tout autant au Nord qu’au Sud de l’Equateur, à l’Est comme à l’Ouest du Méridien de Greenwich. Aucune démocratie n’est parfaite. Chacune a ses vices et ses vertus, ses défauts et ses qualités. Mais une chose est sûre: quelque soit le parallèle sur lequel on se trouve, le développement économique et social passe par le respect d’un minimum de règles de vie commune. Et ces règles, que chaque pays se fixe librement, ce sont les lois de la République, à commencer par la 1ère d’entre elles: la Constitution. Aucune Constitution n’est intangible. La nôtre, celle de la Vème République, a d’ailleurs connu de nombreuses modifications au fil du temps. Mais derrière la Constitution, il y a son fondement, qui est le consensus national autour de règles communément admises de fonctionnement de la société et des pouvoirs publics.
Je salue à cet égard la nomination des juges de la Cour Constitutionnelle, qui seront chargés, dans la période délicate qui s’annonce, à veiller au respect de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi, de connaître des recours en interprétation de la Constitution, mais aussi de juger le contentieux des élections présidentielles et législatives, les conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le législatif ainsi qu’entre l’Etat et les provinces, selon les articles 160 à 164 de la Constitution du 18 février 2006.
Nul doute que cette institution aura un rôle majeur à jouer, en toute indépendance, pour apaiser les tensions qui pourraient apparaître et dire le droit en toute impartialité.
Quant à la sécurité, ce n’est pas seulement - même si c’est essentiel bien sûr - assurer que la RDC défend l’intégrité de son territoire. A cet égard, le remarquable défilé du 30 juin dernier nous a prouvé que les FARDC disposaient des troupes et du matériel nécessaires pour faire respecter la souveraineté nationale sur l’ensemble des frontières, au moins terrestres, de la RDC. La sécurité, c’est aussi la liberté d’aller et de venir à l’intérieur des frontières, dans toutes les provinces, sans risquer de se faire agresser, violer ou dépouiller voire tuer.
Nous avons noté la volonté affichée, au plus haut niveau de l’Etat, d’assurer cette sécurité des biens et des personnes sur l’ensemble du territoire national et de démanteler tous les groupes armés qui sévissent encore dans certaines provinces et commettent quotidiennement des violations des droits de l’homme. En novembre dernier, une victoire éclatante a été remportée par les FARDC, avec le soutien de la MONUSCO, contre le M23, qui a dû quitter le territoire congolais ou désarmer.
Les FARDC se sont encore illustrées dans la lutte contre les ADF/NALU et d’autres groupes armés, au prix de lourdes pertes. Je salue la mémoire des soldats tombés au champ d’honneur pour rétablir l’autorité de l’Etat. S’agissant des FDLR, de sinistre mémoire, un processus de désarmement volontaire est en cours. Il importe que ce processus se poursuive de bonne foi, sous le contrôle des organisations régionales impliquées et celui de l’Etat congolais, avec le soutien actif de la MONUSCO.
Un délai - long - a été fixé récemment pour venir à bout de ce désarmement.
Il importe qu’avant la réunion du CSNU, prévue le 6 août, des avancées réelles aient pu être enregistrées, sans atermoiement funeste. Et si malheureusement certains éléments refusent de désarmer, conformément aux résolutions pertinentes du CSNU, il faudra les y contraindre par la force. Là encore, l’alliance des FARDC et de la Brigade d’Intervention de la MONUSCO pourra sans nul doute venir à bout de ces récalcitrants.
Je formule donc le vœu qu’à l’orée de 2015, la RDC soit complétement et définitivement libérée de l’emprise des groupes armés et puisse ainsi se consacrer pleinement à son développement économique et à la nécessaire amélioration des conditions de vie de sa population.
J’espère aussi qu’aux côtés des autres partenaires de ce beau et grand pays, la France pourra apporter sa contribution à l’émergence d’un Congo «plus beau qu’avant», qui prendra toute la place qui lui revient, de par sa taille, ses richesses et sa situation stratégique au cœur de l’Afrique, dans le maintien de la paix et de la stabilité régionales, malheureusement toujours menacées. Je pense notamment en disant cela à ses voisins la RCA et le Sud-Soudan, encore meurtris par des combats fratricides. La RDC, à travers ses soldats et policiers déployés au sein de la MISCA (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique), apporte une appréciable et appréciée contribution au rétablissement de la paix en RCA. Nous souhaitons qu’elle puisse continuer à le faire au sein de la future MINUSCA (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Centrafrique).
Pour conclure - enfin - je voudrais adresser deux messages:
A nos amis congolais tout d’abord, pour les assurer que la France, tout en respectant pleinement l’indépendance et la souveraineté de la RDC, sera à leurs côtés pour les aider à bâtir une nation prospère et des institutions solides, à l’image de sa contribution à la création de l’ENA congolaise que j’ai évoquée au début de mon propos. La France, ce n’est pas seulement l’Ambassade, l’AFD et l’Institut français. Ce sont aussi les entreprises françaises, que je continuerai à soutenir dans leurs projets d’investissement, et tous les français installés en RDC, pour certains depuis de longues années, qui contribuent à l’activité économique et au développement de ce pays-clé de l’Afrique Centrale.
A mes compatriotes ensuite, pour leur souhaiter une très belle et bonne fête nationale - occasion de se rassembler autour de notre emblème et de notre devise nationale : Liberté - Egalité - Fraternité, et pour les exhorter à garder, à cultiver l’espoir: l’espoir de pouvoir vivre en paix et en harmonie dans un pays et au milieu d’un peuple accueillants ; mais aussi celui que notre pays retrouve, grâce aux efforts de tous et de chacun d’entre nous, le chemin de la prospérité économique et celui d’une société en mouvement, qui assure l’avenir de sa jeunesse tout en respectant ses anciens.
Et, pour finir sur une note positive, je salue la victoire méritée de nos amis allemands à la coupe du monde de football, avec l’espoir que la prochaine sera aux couleurs de la France.
Vive la RDC! Vive la France!
Je vous remercie de votre attention.
Luc Hallade.
Kinshasa,
le 14 juillet 2014.