- lun, 28/03/2016 - 15:58
Me Norbert Nkulu: «Ni vide juridique, ni vide institutionnel, ni vacance de pouvoir»
Le 19 décembre 2016, si l’élection présidentielle n’a pas été organisée par la Commission Electorale Nationale Indépendante, «il n’y aura ni vide juridique, ni vide institutionnel, ni vacance à la tête de l’Etat». Voilà ce que soutient, arguments imparables à l’appui, ce juriste de haut vol, avocat près la Cour Suprême, Me Norbert Nkulu Kilombo Mitumba. Celui qui fut ministre d’Etat Délégué à la Présidence de la République dès le lendemain des scrutins de 2006 d’après le Régime 1+4 après avoir œuvré au Collège du Chef de l’Etat en qualité de Conseiller principal du Collège juridique et administrtif, puis Directeur de Cabinet Adjoint, encore récemment ambassadeur au Rwanda avant de rejoindre le brain trust présidentiel comme Chargé de Mission (en réalité Conseiller Spécial), a tenu ces propos lors d’une longue interview à la chaîne publique Rtnc dans une interview du journaliste Jacques Mukaleng Makal.
D’abord cette question qui agite la classe politique congolaise - le délai constitutionnel. Me Nkulu Kilombo Mitumba qui ne donne jamais un avis sans s’appuyer sur un texte de référence, explique: «Ceux qui s’accrochent au délai constitutionnel - sans le dire - visent le Président Kabila. Lorsque vous lisez la Constitution, ce délai ne concerne que l’élection présidentielle (art. 73). Cet article dispose que l’élection présidentielle doit être convoqué 90 jours avant l’expiration du mandat présidentiel. Pour ce qui est des législatives nationales, des élections des sénateurs et des députés provinciaux, aucun délai n’est prévu dans la Constitution de sorte que le délai constitutionnel est considéré comme un slogan qui ne vise que la personne du Président de la République. Or, cette question du délai doit être abordée de manière institutionnelle. Il nous faut privilégier l’approche institutionnelle en abordant la question du point de vue des Institutions. Or, chaque Institution a un mandat de cinq ans. Dès lors, il faut que les scrutins aient lieu de manière à ne pas conférer une prolongation de mandat aux Institutions. Même s’il n’y a pas de délai exprimé dans la Constitution - la Constitution ayant précisé que la durée du mandat est de 5 ans - comment organiser l’élection des députés nationaux dans 8 ou 9 ans? Il y a donc un délai implicite pour organiser toutes les élections. La Constitution a prévu un mandat de 5 ans pour les Sénateurs et pour les députés provinciaux, comment laisser les sénateurs, les députés provinciaux ou les gouverneurs poursuivre leurs mandats au-delà du délai de 5 ans? C’est inadmissible. Cela reviend à violer la Constitution. Il faut donc à la fin du mandat que les élections aient lieu dans un délai raisonnable. Donc, le délai prévu à l’article 73 doit nous amener à interroger notre histoire afin que cela ne devienne pas un fétichisme».
Sur la question de savoir si une dérogation au délai constitutionnel est possible, le juriste interroge l’histoire de notre pays.
«La loi fondamentale avait prévu une durée de 4 ans maximum pour le mandat. Il a fallu tenir les élections avant l’expiration de ce délai mais le pays n’avait pas disposé à temps de ce texte. Les élections ont eu lieu au 1er semestre de 1965. Bien sûr que le délai constitutionnel n’a pas été respecté puisque les élections ont eu lieu une année plus tard. Avril 1990 a leiu l’important discours du Maréchal Mobutu et, un mois plus tard en mai, un autre discours aussi important annonçant le calendrier électoral. Voilà qu’aucune élection n’a lieu, de 1990 à 1997. Bien sûr que le délai constitutionnel n’a pas été respecté. Nous revenons de Sun City au Dialogue inter-congolais. La transition a une durée précise. On termine la période de transition avec une prolongation de 6 mois. C’est en 2011 que se déroulent les élections. Avez-vous entendu parler du délai constitutionnel? En 2011, le mandat du Chef de l’Etat expirait en décembre, selon le délai constitutionnel. On aurait dû organiser les élections en septembre.Elles ont lieu en novembre. Il y a donc dérogation au délai constitutionnel. En 1994, la durée de la transition est de 15 mois. A l’approche de l’échéance, les préparatifs accusent des failles, le HCR PT se réunit et accorde 24 mois supplémentaires avec pour souci de mieux préparer les élections. En 2006, la Constitution prévoit la présidentielle à deux tours. Le second tour devait être organisé dans un délai de 15 jours. Nous avons été au-delà. Donc, notre histoire montre qu’on a, à chaque fois, dérogé au délai constitutionnel en invoquant des raisons techniques. Mais l’important n’est pas le fétichisme du délai même si ce délai est une indication importante pour que les élections se fassent le plus rapidement possible de manière à ne pas donner aux acteurs politiques un mandat non justifié. Ainsi, lorsque le bureau définitif d’une assemblée est installé à l’issue d’une élection des députés provinciaux, la loi prévoit un délai pour la tenue des élections sénatoriales, à savoir 4 jours après l’installation du bureau définitif. L’élection des gouverneurs, elle, intervient 21 jours après celle du bureau définitif. Il en est de même pour les maires, les bourgmestres, les chefs des secteurs. Ces délais sont prévus par la loi électorale».
Sur la vacance du pouvoir qui interviendrait, aux dires de l’opposition, au sommet de l’Etat après décembre 2016, Me Nkulu est catégorique. Il replonge dans l’histoire politique constitutionnelle de notre pays. «Relisez l’article 103 de la Constitution qui concerne les députés nationaux: Le député national est élu pour un mandat de 5 ans. Il est rééligible. Le mandat de député national commence à la validation des pouvoirs par l’Assemblée nationale et expire à l’installation de la nouvelle assemblée. Cet article s’applique également aux députés provinciaux. Or, les députés provinciaux ont été élus en 2006. Ils ont débuté leur mandat en 2007. Nous sommes en 2016. Cela fait 9 ans qu’ils fonctionnent. Et continuent de siéger sur base de l’article 103. Quelqu’un a-t-il parlé de vacance? En vérité, la deuxième phrase stipule que les députés provinciaux achèvent leur mandat à l’installation effective de la nouvelle assemblée.
Le sénateur est élu pour cinq ans. Il est rééligible (art. 105). Le mandat de sénateur commence à la validation des pouvoirs par le Sénat. Il expire à l’installation du nouveau Sénat. Le Sénat qui siège maintenant a eu un mandat de 5 ans, mais depuis, il continue. Il a pris 4 ans au-delà de 5 ans. Parle-t-on de vacance au Sénat qui continue de siéger en vertu de la deuxième phrase de l’art. 105 de la Constitution. En clair, il n’y a ni vide juridique, ni vide institutionnel dans le chef du Sénat. Voyons l’art. 70 qui concerne le Président de la République. Cet article est libellé comme suit: «Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu». Sur base de la deuxième phrase de l’art. 70, comment dire qu’au-delà de décembre il y aura un vide juridique, un vide institutionnel ou vacance de pouvoir? Puisque la Constitution stipule qu’il reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu. La formulation de ces trois articles tire d’ailleurs son origine dans notre histoire politique constitutionnelle. La Constitution de 1964 - en 1964, le Président Kabila n’était pas là - dispose que le Président de la République actuellement en fonction demeure jusqu’à l’élection du nouveau Président. Dans la Constitution de 1967, il est dit que le Président de la République en fonction demeure en place jusqu’à l’élection de celui qui va le remplacer, jusqu’à la prestation de serment. En clair, ce principe qui a inspiré les rédacteurs de la Constitution actuelle - celle du 18 février 2006 - se retrouve dans la Constitution de 1964. Il se retrouve dans la version initiale de la Constitution de 67. Nous abordions la phase de la transition en 1990. Voyant que la Présidentielle ainsi que toutes autres les élections n’allaient pas se tenir en 1991 - le Maréchal Mobutu étant élu en 1984 pour 7 ans, son mandat arrivait à expiration en 1991 - l’Assemblée nationale a révisé la Constitution en vue d’éviter un vide juridique à l’expiration du mandat du Maréchal. La révision dispose que «le Président actuellement en fonction demeure en fonction jusqu’aux élections. Il en est de même des députés nationaux et des animateurs des organes délibérants des entités décentralisées». Quand la Conférence nationale souveraine, CNS, précise la durée de la transition, elle précise que les Institutions en place resteront jusqu’à l’installation des nouvelles Institutions. Autre disposition consacrée au Président de la République c’est celle qui stipule que le Président actuellement en fonction reste en fonction jusqu’à l’investiture de celui qui va le remplacer. La loi harmonisée issue du Conclave de Kinshasa reprend la même formulation. L’Acte constitutionnel reprend cette même formulation. En clair, la formulation des articles 103, 105 et 70 de la Constitution actuellement en vigueur procède de notre héritage constitutionnel, historique et politique. Ce n’est donc pas une invention des partisans du Président Joseph Kabila. Il faut noter que cette Constitution a d’abord été élaborée dans un groupe de travail au Sénat de la transition. Elle a été examinée au Sénat. Mais le projet soumis au référendum provient de l’Assemblée nationale. Puisque c’est notre héritage historique, deux éminents députés membres du G7 ont travaillé à l’élaboration de cette Constitution à la Commission PAJ - et notre histoire est riche. C’est Olivier Kamitatu à l’époque président de l’Assemblée nationale. Et Christophe Lutundula. Vous voyez que cette Constitution a traduit le vœu de la population et de la classe politique.
On ne peut dire qu’au-delà de décembre, il y aura vacance à la Présidence de la République».
Sur le glissement, un mot courant dans la bouche des acteurs politiques congolais. «Cette question agite énormément la classe politique, particulièrement l’opposition. Je répète, les tenants du délai constitutionnel et les tenants du glissement visent principalement le Président Joseph Kabila. Ils doivent plutôt privilégier une approche institutionnelle.
Il existe cinq institutions politiques actuellement dans notre pays: le Président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat, les Assemblées provinciales et les Gouverneurs. Les gouverneurs élus en 2007 en fonction jusqu’au démembrement, certains le sont encore aujourd’hui notamment le gouverneur de la ville province de Kinshasa. Qui parle glissement? Personne! Il en est de même des députés provinciaux. Leur mandat était de cinq ans, arrivant à échéance en 2012. Nous sommes en 2016 et les députés provinciaux sont encore là accomplissant valablement et régulièrement les actes de leurs fonctions. Je n’ai jamais entendu parler glissement! Il en est de même des sénateurs. Leur mandat était de cinq ans, prenant fin en 2012. Nous sommes en 2016. Donc, depuis quatre ans, députés provinciaux et sénateurs glissent... Avez-vous entendu quelqu’un dénoncer le glissement des députés provinciaux, des gouverneurs et des sénateurs? Dans le contexte politique qui est le notre, cette expression «glissement» n’est, en fait, utilisée que pour le Président de la République. Nos amis de l’opposition et certains hommes politiques parlent souvent de pacte républicain. Ils en appellent au respect du pacte républicain. Mais le socle du pacte républicain, c’est la Constitution. Or, les articles 70, 103 et 105 font partie du socle républicain. Vous ne pouvez pas utiliser cette expression seulement lorsque cela concerne les avantages et les droits de l’opposition. Toutes les dispositions contenues dans notre Constitution font partie du pacte républicain. Vous ne pouvez dire à la population qu’au-delà de 2016, il y a vide juridique, vide institutionnel. C’est à la limite de la tricherie car la Constitution est formelle: «à la fin de son mandat, le Président reste en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu».
De la main restée tendue du Président de la République à l’égard «de nos frères, de nos sœurs qui ont encore des hésitations à venir au dialogue». «Cette main tendue trouve son fondement notamment dans la loi portant statut de l’opposition politique. C’est une loi de 2007, qui consacre les droits et les devoirs de l’opposition politique. Que l’opposition politique hésite à aller au dialogue, je me permets de lui rappeler que cette loi a été adoptée au Parlement pendant que mon frère et ami Vital Kamerhe était président de l’Assemblée nationale, pendant que mon frère et ami Christophe Lutundula était vice président de l’Assemblée nationale. Cette loi est à leur actif. Que dit l’art. 16 de la loi portant statut de l’opposition au point 4? L’opposition doit privilégier le dialogue et la concertation pour toutes les questions d’intérêt national.
L’opposition politique a l’obligation de venir exposer ses vues dans le cadre du dialogue. Refuser de venir au dialogue met l’opposition en porte à faux par rapport à cette loi. Loi qui fait partie du pacte républicain».
Retranscrit
par LE SOFT.