- jeu, 22/05/2025 - 22:17
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1636 | MERCREDI 14 MAI 2025.
Des mots mal repris à l'heure des réseaux sociaux prononcés lors d'une séance du procès Matata Ponyo Mapon à la Cour constitutionnelle par le procureur général près cette Cour - ministère public - ont conduit à la dénonciation par un élu dans une plénière de l'Assemblée nationale faisant monter la pression entre cette chambre parlementaire et la Haute Cour. Il faut le dire d'entrée de jeu. Le procureur général près la Cour constitutionnelle John-Prospère Moke Mayele avait été mal paraphrasé par le député. Lors de cette audience publique, le procureur général avait parlé d'« une soi-disante décision de l'Assemblée nationale», non d'«une soi-disante Assemblée nationale», ce qui avait mis le député en colère.
Le procureur général avait raison. Lors de sa prise de parole, ni le président de la Cour constitutionnelle Dieudonné Kamuleta Badibanga, ni le procureur général près cette cour John-Prospère Moke Mayele n'avait eu écho d'une décision de l'Assemblée nationale qui n'a jamais existé, ni reçu une correspondance du président de cette chambre. Tout était parti de cette mauvaise reprise d'une phrase prononcée par le procureur général.
Certes, une initiative pro-Matata avait été signée par une cinquantaine de députés et présentée à une plénière. Certes, le président de l'Assemblée nationale Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi avait plus tard adressé une correspondance au président de la Cour constitutionnelle mais le texte de Vital Kamerhe portait sur la forme - les immunités d'un député - non sur le fond.
Des moyens mille fois ressassés par Me Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, Professeur Émérite, Doyen Honoraire de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa, Avocat près la Cour de Cassation et le Conseil d'État, chef du team du groupe d'avocats de l'ancien premier ministre.
Ce Professeur Émérite avait fait valoir non seulement les immunités d'un député présentées comme « un verrou constitutionnel incontournable » par le président de l'Assemblée nationale mais surtout avait - avec ahurissement - soutenu qu'aucune cour au Congo n'avait pouvoir de juger un ancien Premier ministre, mieux, peut-être, l'ancien premier ministre, le très puissant Augustin Matata Ponyo Mapon (28 avril 2012-20 décembre 2016) du président Joseph Kabila Kabange.
L'ARTICLE 107.
Le législateur congolais avait-il imaginé qu'il existait un homme sur terre qui ne serait jamais poursuivi par aucune cour congolaise ? Même si une telle présentation - une telle thèse, une telle défense - pour un avocat, n'est jamais gratuite et qu'elle se paie cash, et vaut, souvent, plusieurs millions de $US quand le client pèse lourd comme c'est le cas en l'espèce, et même si l'avocat par principe n'est jamais payé pour dire la vérité, pour ses convictions mais pour soutenir par le verbe (la verve) sa partie - son client - que laisse-t-on à l'Histoire, à la Vérité quand ailleurs - en France, aux États-Unis, en Corée (du Sud), etc., - des Dirigeants (en place ou ex), sont déférés devant des tribunaux, entendus, condamnés ou lavés, etc., le législateur congolais aurait-il été si plaisantin pour fabriquer «l'homme libre éternel» et quoi qu'il en coûte ?
Il faut être clair. Dans sa correspondance datée du 25 avril 2025 (n°419/RDC/AN/CAB/PR/VK/jkl/2025), adressée au président de la Cour constitutionnelle, le président de l'Assemblée nationale ne s'était jamais opposé à la poursuite du député Matata devant la Cour constitutionnelle et, donc, à la levée de ses immunités par la chambre basse.
Il avait rappelé l’article 107 de la Constitution de la République sur les immunités et les incompatibilités. À savoir, « aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun parlementaire ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat selon le cas. En dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. La détention ou la poursuite d’un parlementaire est suspendue si la Chambre dont il est membre le requiert. La suspension ne peut excéder la durée de la session en cours ».
Puis, poursuit le président de la chambre basse : « Sans vouloir entraver le bon fonctionnement de la justice, et en adhérant pleinement à la nécessité de lutter contre l'impunité dans le respect de l'article 151 de la Constitution (« le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice. Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution. Toute loi dont l’objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours est nulle et de nul effet », ndlr), il ressort des débats engagés au cours de la plénière de l'Assemblée nationale tenue en date du 17 avril 2025, que l'Honorable Matata Ponyo Augustin est poursuivi et jugé sans que ses immunités n'aient été préalablement levées. Ainsi, je vous prie de bien vouloir constater l’existence de ce préalable, verrou constitutionnel incontournable, et demander à l’organe de poursuite près votre juridiction, qui me lit en copie, de se plier à cet impératif, garantie de l’inviolabilité des représentants du peuple ».
Le Sénat - la chambre haute - avait sous Modeste Bahati Lukwebo levé les immunités de l'ancien premier ministre alors sénateur.
Sur le principe, et, à nouveau, Kamerhe ne s'était limité qu'à s'interroger sur la forme.
Dans sa réponse datée du 2 mai 2025 (n°315/CC/CAB-PRES/DKB/02/04/205 datée du 25 avril 2025), le président de la Haute Cour donne lecture de l'art. 107 invoqué par le président de la Chambre basse. «L'emploi des termes «poursuivi » et «arrêté » dans le contexte de la procédure pénale renvoie à la phase d'instruction préjuridictionnelle. Autrement dit, cette disposition s'applique au cas où le député aurait commis une infraction et où le ministère public envisage d'engager des poursuites à son encontre ou de procéder à son arrestation. Or, tel n'est pas le cas, en l'espèce (la cause) concernée est déjà traduite devant une juridiction de jugement. (Le juge) des poursuites s'est déjà dessaisi du fait de la requête aux (fins) d'audience. Nous sommes actuellement dans la phase (qui n'est pas celle) des poursuites initiales. Dès lors, la question qui se pose désormais est celle de savoir par quel mécanisme juridique une juridiction de jugement pourrait demander à l'organe des poursuites d'accomplir une formalité en l'occurrence, l'autorisation prévue à l'article 107 ci-haut énoncé, qui relève exclusivement de la phase d'instruction préjuridictionnelle ».
Puis, le président de la Haute Cour, de « rappeler que ce dossier est pendant à la Cour constitutionnelle depuis 2022. L'intéressé y a comparu à plusieurs reprises, en personne et par l'intermédiaire de ses avocats. Lors de l'audience du 14 avril 2025, comparaissant personnellement, il a soulevé plusieurs exceptions que la Cour a décidé de joindre au fond et il est de notoriété que le juge n'a que le jugement (arrêt) comme moyen pour répondre à une question de droit lui posée ».
L'INFAMIE.
Puis : « À ce stade, la Cour constitutionnelle, ayant déjà pris l'affaire en délibéré, est appelée à se prononcer sur toutes les questions de procédure et de fond soulevées dans le cadre de cette instance, y compris celles évoquées dans votre correspondance. En tant que Président, il ne m'appartient pas de me prononcer sur ces points tant que la Cour ne s'est pas expressément déterminée. Le respect de l'article 151 de la Constitution impose que les juridictions se prononcent librement sur les affaires dont elles sont saisies, sans interférence, ni entrave ».
Clair comme l'eau de roche : quand une affaire est portée devant un juge, et que des exceptions sur la forme sont faites, celles-ci sont jointes au fond et généralement vidées lors du prononcé.
Après une première comparution le 14 avril devant la plus Haute Cour du pays, Matata a séché les audiences, y voyant cette fois un procès politique, invoquant ses immunités parlementaires. Malgré tout, le procès s’est poursuivi.
Le 23 avril, le prévenu a été jugé par défaut. Le Procureur général a requis 20 ans de servitude pénale outre 10 ans d’inéligibilité. La cause prise en délibéré, le jugement attendu ce mercredi 14 mai 2025.
Reste et restera dans tous les cas de figure « l'infamie » que rapporte le Professeur pénaliste Sam Bokolombe Batuli. « On est nommé Premier ministre pour servir la République au mieux des intérêts du peuple mais pas pour détourner les deniers publics pour le bien exclusif de sa province, de son terroir ou de sa fratrie. Au-delà de la brute délinquance, c’est de la confusion morale, sinon carrément de la dissolution morale. (...) Celui qui tue, par pitié ou par amour, est autant puni que celui qui vole ou détourne pour investir dans son terroir pour le bien des siens. Il faut mettre fin à cette tendance insidieuse d’inventer une cause de justification pénale en matière de détournement de deniers publics par effet corporatiste.
Au plan axiologique, le détournement de deniers publics est une atteinte à l’ordre public. Il doit être condamné dans l’absolu par impératif moral catégorique.
L’acte de détournement est objectivement gravissime et ne saurait bénéficier d’aucune cause de justification ou d’exonération pénale quelconque. (...) L’auteur d’un détournement doit être couvert d’infamie, d’opprobre, d’indignité, et non applaudi et célébré tel un héros dans un quelconque aéropage ou dans l’opinion ».
L'affaire Matata porte sur le détournement de fonds publics. Au total sur 287.050.817,91 $US (deux cents quatre-vingt-sept millions de $US) décaissés et liquidés par le Trésor public et le FPI, Fonds de Promotion de l'Industrie, quasiment introuvables.