A l’étranger, les médias sont dubitatifs sur Moïse Katumbi Chapwe
  • mar, 13/10/2015 - 04:01

La com du richissime ex-gouverneur connaît des débuts calamiteux.

Moïse Katumbi entretient le flou sur sa candidature à la présidentielle en 2016. Moïse Katumbi sait-il ce qu’il veut? Jusqu’où Moïse Katumbi peut aller? Autant de titres interrogateurs lus dans la presse étrangère au lendemain de l’annonce de la double démission - du PPRD et de la province du Katanga - de celui qui est couramment présenté comme le richissime gouverneur Moïse Katumbi Chapwe. Sa com est donc mal perçue. Ce qui est négatif...
Moïse Katumbi ira-t-il jusqu’au bout? Pourra-t-il briguer la magistrature suprême? Depuis que le puissant gouverneur du Katanga a démissionné du parti au pouvoir, le 29 septembre, les supputations vont bon train. A en croire certains observateurs, l’homme d’affaires sera bien candidat à l’élection présidentielle de 2016. L’intéressé, lui, n’a rien officiellement décidé. «Moïse Katumbi veut prendre le temps de réfléchir», confiait-il récemment dans un entretien au Monde. Après la fronde des sept formations politiques (le «G7») qui ont quitté la majorité, l’opposition a salué la démission de Moïse Katumbi. Sur Twitter, le docteur Denis Mukwege, renommé pour son aide aux victimes de violences sexuelles dans l’est du pays, a félicité un «geste sans précédent» qui pourrait «inaugurer une ère nouvelle où l’intérêt public passe avant l’intérêt privé».
«Qu’on l’aime ou non, homme d’Etat ou pas, cet homme est extrêmement populaire, et sa popularité va bien au-delà du Katanga», résume un analyste politique congolais. Son bilan est «jugé largement supérieur à celui de n’importe quel autre gouverneur en RDC en matière de routes, d’écoles, d’accès à l’eau, à l’électricité, aux hôpitaux». Par ailleurs, poursuit l’analyste, «il puise dans sa propre poche pour des actions d’intérêt général» et «n’aurait pas besoin (ou relativement peu) de voler l’argent de l’Etat».
Reste que, dans un pays où les alliances se font et se défont, certains Congolais se demandent si Moïse Katumbi ne joue pas un double jeu. A l’image de Nina Kalumba, qui travaille dans l’événementiel, et ne cache pas sa méfiance. Le président sortant, Joseph Kabila, et Moïse Katumbi sont des «oiseaux de même plumage», estime-t-elle.

«ON POURRA OUVRIR CERTAINS PLACARDS».
Lors de son retour triomphal en décembre 2014, après plusieurs mois à l’étranger pour raison de santé, le patron du grand club de football Tout Puissant Mazembe avait expliqué en swahili que le peuple congolais ferait barrage à un «troisième penalty» - une métaphore interprétée comme un refus d’un éventuel troisième mandat de Joseph Kabila, qui ne peut se représenter en 2016, selon la Constitution, mais qui entretient le doute sur ses intentions. Après cette pique, «il aurait dû être le premier à quitter la barque» de la majorité, mais il n’en a rien fait, commente Olivier Mwila, médecin. «Sait-il vraiment ce qu’il veut?», s’interroge-t-il, faisant part de son «inquiétude» quant à la «versatilité» du personnage.
Dans le camp Kabila, l’affaire est traitée comme un «non-événement». «C’est normal qu’ils essaient de minimiser. Que peuvent-ils faire d’autre? Ils tenteront probablement de l’accuser de détournements, corruption, abus de biens sociaux…», commente l’analyste congolais. Une plainte du président a été déposée contre le gouverneur en juin pour fraude douanière. «Maintenant qu’il est «libre», on pourra ouvrir certains placards», confie Tryphon Kin-kiey, ministre chargé des relations avec le Parlement. Lors d’une conférence de presse, Lambert Mende, porte-parole du gouvernement, est allé plus loin: «Tout un lot de documents indicatifs de malversations» se trouve depuis un certain temps au parquet général, a-t-il mis en garde.
Moïse Katumbi, qui a déjà eu affaire à la justice, se dit en ordre avec la loi et prêt à en témoigner. La majorité risque, quoi qu’il en soit, de payer cher sa démission. «Beaucoup sont déjà avec lui, mais ils ne peuvent pas se dévoiler pour le moment», affirme un député du PPRD qui n’a guère d’estime pour le gouverneur. «Certains ont entrepris dans les coulisses de quitter le PPRD», renchérit l’expert lié à la Monusco.
Le Katanga, riche région minière et poumon économique du pays, dont est aussi originaire Joseph Kabila, décidera-t-il pour le reste de la RDC? Pas impossible. Deux pontes du «G7», dont Gabriel Kyungu wa Kumwanza, sont aussi katangais. Preuve que la tension monte, le maire de la capitale provinciale, Lubumbashi, a interdit la marche de l’opposition qui devait avoir lieu le 10 octobre. «Compte tenu du climat politique particulier qui prévaut au pays et en vue de préserver (..) la paix et (…) la tranquillité dans notre ville (…), des manifestations publiques (…) ne sont pas opportunes en ce moment et ne peuvent être autorisées et ce, pour des raisons sécuritaires», a-t-il justifié.
HABIBOU BANGRE.
Le Monde, Paris.

«Sans sa carapace, Katumbi est nu»
Ils s’épiaient depuis des mois. Aujourd’hui, en claquant la porte du parti présidentiel, le futur ex-gouverneur du Katanga affiche clairement ses intentions: défier Joseph Kabila. Nul doute que ce dernier l’attend au tournant.
Installez-vous confortablement, faites des provisions et, surtout, attachez vos ceintures. Ça risque de secouer. Le premier round de la campagne présidentielle congolaise vient de débuter, et c’est un poids lourd qui monte sur le ring: Moïse Katumbi. Le 29 septembre, le gouverneur du Katanga, 50 ans, a claqué la porte du parti du président Joseph Kabila. Dans un communiqué, il solde une collaboration de plus de dix ans avec le chef de l’État, sans retenir ses coups. «Tout est mis en œuvre pour ne pas respecter la Constitution», accuse-t-il, avant de dénoncer «le recul généralisé des libertés individuelles» et les «dérives inacceptables» du pouvoir. «La guerre est déclarée, dans tous les sens du terme», réagissait un ministre influent au lendemain de l’annonce.
Hormis la brutalité de ses termes, l’annonce n’a pas vraiment surpris. Depuis plus d’un an, les deux hommes se jaugent, du coin de l’œil. Le premier geste de défi est venu de Katumbi, fin 2014, lorsqu’il a clairement signifié, en privé comme en public, qu’il ne suivrait pas Kabila dans une aventure extraconstitutionnelle. Selon la loi fondamentale en vigueur, le président accomplit en effet son dernier mandat, et celui-ci s’achève à la fin de 2016. Or il n’a jamais fait part, publiquement, de son intention de quitter le pouvoir…

«KATUMBI EST NU».
La réaction de Kabila au défi lancé par Katumbi a été à son image: discrète et matoise. En janvier dernier, le gouvernement a d’abord ressorti de sa poche le projet de découpage des provinces. Celui-ci prévoit notamment la division du Katanga en quatre entités. Avec, pour conséquence, la disparition de la base politique de Katumbi. Bien que prévue de longue date, cette réforme a été mal préparée. Si bien que Kinshasa a finalement décidé que les nouveaux gouverneurs ne seraient plus élus, mais nommés. Outre son poste, Katumbi perdra donc toute influence sur les nouvelles entités, où il aurait pu placer ses hommes. Ultime étape : l’introduction, au Parlement, d’une loi ouvrant la voie à des référendums et donc, comme certains le pensent, à une modification de la Constitution.
Pour garder l’initiative, Katumbi n’avait plus d’autre choix que de sortir du bois. Le round d’observation est terminé, le voilà prêt à mettre à exécution sa stratégie. Celle-ci inclut une grande tournée à l’intérieur du pays précédant probablement une déclaration de candidature. Mais, d’abord, il compte constituer une large plateforme politique. On en voit déjà les premiers contours dans le «G7», cette alliance de sept partis frondeurs, exclus de la majorité présidentielle à la mi-septembre. Leur lettre de mise en garde à Kabila, qui leur a valu exclusion, développait les mêmes arguments que ceux de Katumbi et faisait part des mêmes craintes.
Compte tenu de la proximité de ce dernier avec certaines figures du G7 – notamment avec Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le président de l’assemblée provinciale du Katanga - il paraît difficilement concevable que ces initiatives n’aient pas été coordonnées. « Tout cela fait partie d’un plan très bien préparé », assure une source diplomatique occidentale à Kinshasa. Reste à savoir si Moïse Katumbi parviendra à attirer dans ses filets d’autres cadres de la majorité.
Dans un pays aussi vaste et divisé que la R-dCongo, cela ne suffirait de toute façon pas à le porter facilement jusqu’au sommet de l’État. Certes, sa présidence du club TP Mazembe de Lubumbashi et les résultats obtenus dans sa province l’ont rendu populaire. On ignore en revanche si ce point de départ est susceptible de susciter un véritable élan en sa faveur. Dans ce pays fortement divisé entre Est swahiliphone et Ouest lingalaphone, le degré d’importance du soutien dont il bénéficie à Kinshasa et dans ses environs reste flou. Pour avoir de bonnes chances de succès, Katumbi devra s’allier avec au moins un ténor de l’opposition. Or, si des discussions sont en cours depuis plusieurs semaines, aucun accord n’a encore été scellé.
Jean-Pierre Bemba? Il a beau être détenu par la Cour pénale internationale (CPI), ses partisans ne désespèrent pas de le voir revenir dans l’arène. Lors de l’élection présidentielle de 2011, il avait préféré rester neutre, jugeant insuffisants les nombreux appels du pied qu’on lui avait adressés. Étienne Tshisekedi? Ces dernières semaines, l’homme d’affaires Katebe Katoto, le frère de Katumbi, l’a rencontré en Belgique, où il est en convalescence depuis près d’un an.
Mais le vieil opposant de 82 ans est peu enclin au compromis. «Un ticket serait intéressant pour nous, à condition que Katumbi soutienne notre candidature», indique un de ses proches. Pas gagné. Reste Vital Kamerhe, apprécié dans les grandes villes de l’extrême Est. Pour beaucoup d’opposants cependant, la fiabilité de cet homme, qui fut un des plus proches collaborateurs du président Kabila, reste sujette à caution.
Évidemment, Kinshasa fera tout pour faire capoter de telles alliances. Le président Kabila garde en effet de nombreux atouts en main, à commencer par la maîtrise du temps. Et rien n’indique qu’il soit prêt à se hâter. Le fameux «glissement» redouté par une bonne partie de la classe politique - la stratégie qui consisterait à laisser le calendrier électoral prendre du retard, pour prolonger le mandat du chef de l’État - a en réalité déjà commencé. Initialement prévues pour octobre 2015, les élections locales ne seront de toute évidence pas organisées avant l’année prochaine, au mieux.
Katumbi aura-t-il assez de souffle pour tenir pareil marathon? Sa fortune, acquise avant qu’il se lance en politique, passe pour considérable. Mais, en RD Congo, une campagne présidentielle coûte cher. Très cher. Kinshasa n’hésitera pas à s’en prendre à ses intérêts, notamment dans les mines et la logistique, et menace déjà d’ouvrir certains dossiers financiers. «Sans sa carapace de gouverneur, Katumbi est nu, assure Tryphon Kin-kiey Mulumba, le ministre des Relations avec le Parlement. Quelqu’un qui a exercé ces fonctions a forcément des choses à se reprocher». Voilà qui promet… Cela étant, Katumbi a certainement pris ses précautions. Il a tout intérêt, désormais, à mettre une pression maximale sur le pouvoir afin que celui-ci respecte strictement le calendrier et la Constitution. C’est sur cet argument clé qu’il compte mobiliser l’alliance la plus large possible, des déçus de la majorité aux opposants radicaux, en passant par la société civile. Il a déjà commencé à l’étranger, notamment en recrutant le cabinet de lobbying Akin Gump à Washington, qui plaide sa cause auprès du département d’État. Mining company of Katanga, sa société, dirigée par Carine Katumbi, son épouse, a déboursé pour cela plusieurs centaines de milliers de dollars. En réalité, les capitales occidentales sont déjà convaincues. Les Constitutions sont de plus en plus des textes sacrés…
Katebe Katoto, frère et mentor de Moïse Katumbi, fera-t-il bénéficier son cadet de son expérience politique? Tous deux hommes d’affaires, ils ont marché dans les pas de leur père, Nissim Soriano, un Grec de confession juive. Mais Katebe Katoto, qui sert d’ores et déjà d’émissaire à son frère, en sait plus long sur le monde cruel de la politique. Au tournant des années 2000, il a été un membre très influent du RCD-Goma, une rébellion à l’époque proche du Rwanda. Ce lien pourrait éveiller des soupçons dans l’Ouest du pays, où toute connexion réelle ou supposée avec Kigali est souvent utilisée à des fins politiciennes. Les origines burundaises de son épouse, Carine, qui a géré ses affaires tandis qu’il était gouverneur du Katanga, pourraient également être retenues contre lui. Dans une campagne où tous les coups seront permis, nul doute que son métissage lui sera également reproché (...).
PIERRE BOISSELET.
Jeune Afrique,
8 oct. 15.


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