Qui sont ces Mobondo qui ont fait plus de 5.000 morts
  • dim, 28/12/2025 - 13:21

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1653|LUNDI 29 DÉCEMBRE 2025.

Ils ont fait plus de 5.000 morts, 280.000 personnes déplacées. Qui sont les Mobondo? Que veulent-ils? Extrait d'une étude réalisée avec l’aide financière de la Direction générale belge de la Coopération au développement et de l’aide humanitaire, DGD et de l’Union européenne, intitulée «Le poids du silence : comment la révolte des Mobondo bouleverse l’ouest de la RDC».

Un différend foncier dans le territoire de Kwamouth (Maï-Ndombe) entre les gestionnaires traditionnels de la terre issus de la communauté Teke et des fermiers majoritairement Yaka a été le déclencheur de cette crise sécuritaire et humanitaire. Son épicentre est une milice élusive « Mobondo », appellation née au cours du conflit.

DÉCLENCHEUR.
Dans la perception populaire, la milice est souvent associée à la communauté Yaka et à ses supposées convoitises hégémoniques sur les terres dont la communauté Teke détient des droits ancestraux.

Combinant violence, croyances traditionnelles, revendications de justice sociale et promesses de changement, la crise s’inscrit dans une histoire riche mais tragique de révoltes violentes au Congo. Toutefois, derrière le prédicat «Mobondo» se cache un phénomène pluriforme.

Bien que le nom «Mobondo» suggère une menace homogène, la réalité est différente. Comme lors des précédentes rébellions paysannes, les conflits locaux et les revendications spécifiques influencent fortement le phénomène Mobondo. Ainsi, les éléments Mobondo du territoire de Kwamouth et de la commune rurale de Maluku à Kinshasa, présentent des problématiques et des objectifs très différents de ceux de la province du Kwango. La crise s’est largement étendue géographiquement.

Tandis que la milice a initialement émergé à Kwamouth, elle est aujourd’hui diffuse dans cinq provinces: Maï-Ndombe, Kwango, Kwilu, Kinshasa, Kongo Central. Couvrant une grande partie de la région jadis dénommée le «Grand Bandundu», la milice se trouve à Maluku, aux abords de la capitale.

Alors que l’attention internationale s’est focalisée sur les violents conflits à l’est, la crise à l’ouest s’est également aggravée.

L’agriculture est aujourd’hui paralysée, avec des terres arables devenues inaccessibles en raison de l’insécurité, des cultures qui ont été détruites, et des prix de denrées alimentaires qui ont été multipliés par quatre. La région constituant le grenier à blé de Kinshasa, la crise a des répercussions notables sur les prix des denrées de base jusqu’à la capitale.
Suite au conflit, seuls 40% des centres de santé sont fonctionnels.

L’éducation affectée par la crise. Plusieurs écoles ont disparu, et près d’un tiers des enfants sont déscolarisés. De plus, les voisins paisibles d’hier ont commencé à se méfier les uns des autres, et les tensions ethniques se sont accentuées.

Le conflit de l’ouest a éclaté en juin 2022 dans le village de Masia-Mbe (groupement Bateke-Sud, Kwamouth, Maï-Ndombe). Un changement de pratiques sur les redevances coutumières sur les terres - sorte de droit de fermage local dû aux chefs coutumiers - en a constitué l’étincelle.

Le chef coutumier Teke qui détient les droits ancestraux sur la terre, a décidé, à cette période, d’augmenter les redevances coutumières incombant aux exploitants des terres, qui appartenaient eux en majorité à la communauté Yaka. La frustration des paysans et fermiers (en majorité) de la population Yaka a conduit à leur révolte.

Le 10 juin 2022, lors d’un soulèvement visant le carré du chef coutumier du village de Masia-Mbe, Flory Ngamiba, un manifestant (le métayer Blaise Kamiaka Mbiye) a été abattu. Ce drame a déclenché une réponse violente des paysans et fermiers.

La situation a rapidement dégénéré : la violence s’est propagée aux villages voisins et certains membres de la communauté Yaka ont consolidé cette révolte en créant la milice armée «Mobondo ». Dans cette première phase, les violences étaient essentiellement caractérisées par des attaques nocturnes contre des villages Teke de Kwamouth, ciblant souvent le chef coutumier et son entourage.

Dans les mois suivants et sous l’impulsion des Mobondo, la crise sécuritaire s’est répandue à Kwamouth et à Maluku, au cœur du «Plateau des Bateke». Par la suite, la violence s’est rapidement étendue à Maluku et au territoire de Bagata dans la province de Kwilu, puis à d’autres régions comme les territoires de Kenge et de Popokabaka dans la province du Kwango, avec quelques incursions dans le territoire de Kimvula au Kongo Central (où 14 villages sont abandonnés par leurs habitants).

En 2022, l’ensemble des incidents a eu lieu au territoire de Kwamouth, où la crise a éclaté. En 2023, l’épicentre s’est déplacé vers la commune rurale de Maluku, où le nombre d’incidents violents enregistrés a alors dépassé celui de Kwamouth.

La population locale est la principale victime de cette crise. Une analyse des incidents montre que 51% des incidents concernent des actes de violence contre la population - commis principalement par des Mobondo.

Tandis que l’armée renforçait ses effectifs sur le terrain, elle ne contrôlait néanmoins que les grands axes routiers et fluviaux, où se concentrent la plupart des villages. Les Mobondo, en revanche, s’imposent comme maîtres dans les régions plus reculées.

Les communautés ne franchissent les lignes de front qu’en cas de besoin extrême. Des retours progressifs de déplacés ont été observés dans les zones où les militaires assurent la sécurité. Néanmoins, les fractures sociales au sein des villages où les différentes communautés se côtoyaient autrefois sont désormais significatives.

La violence a continué à se propager après 2023 dans tous les territoires concernés, mais demeure la plus élevée dans la commune de Maluku. Il est néanmoins important de souligner que l’apparence d’incidents dans les provinces du Kwango (Kenge, Popokabaka) et de Kwilu (Bagata, Masimanimba) en 2024 suggère des trajectoires de diffusion du conflit différentes de celles du noyau Kwamouth - Maluku.

En effet, dans la province du Kwango, la première attaque des Mobondo a eu lieu le 17 septembre 2023 à Mulosi, dans le territoire de Kenge. Dans cette zone, les Mobondo installent des barrières temporaires sur les routes, et tracassent - par le prélèvement de paiements illégaux - les bateaux sur la rivière Kwango. Cette expansion à des régions où aucune augmentation des redevances coutumières n’a eu lieu, montre que le problème des redevances n’a été que le déclencheur de la crise.

QUI SONT-ILS ?
Un observateur compare le groupe armé à «une milice qui ne dit pas son nom». Toutefois, d’autres sources affirment que les Mobondo sont bien connus et entretiennent des liens avec des acteurs politiques qui alimenteraient ce phénomène. Les Mobondo ne sont certainement pas un groupe armé dirigé de manière centralisée avec des objectifs clairement définis.

Le phénomène doit plutôt être compris comme un mouvement de masse ayant pris de l’ampleur, la révolte s’étant propagée sur la base du mécontentement accumulé parmi les « allochtones » du Plateau des Bateke.

Les Mobondo sont des individus âgés de 15 à 60 ans avec, dans certains cas, des enfants mineurs. Bien que la plupart des combattants soient des hommes, certaines femmes rejoignent également leurs rangs, comme des ménagères appelées «S4». D’autres femmes disposent également d’une certaine autorité et constituent des passages obligés pour obtenir certaines choses.

C’est par exemple le cas de la mère du commandant B52. Certaines femmes jouent en outre un rôle important en tant que gardiennes du fétiche Mobondo, en protégeant notamment une casserole contenant des objets mystiques devant toujours être couverte pour préserver l’effet du fétiche.

La plupart du temps, les combattants sont de jeunes hommes issus de la région dans laquelle ils opèrent.
Cela s’explique par la manière spécifique dont le mouvement opère et s’élargit via le recrutement de nouveaux membres.

Les groupes d’assaillants constitués ne se déplacent pas d’un village à un autre dans le but de conquérir les nouveaux espaces. Leur mode opératoire est le suivant : certains Mobondo en civil se rendent dans un village, y identifient des habitants locaux réceptifs à leur cause - typiquement des jeunes Yaka désœuvrés et des individus frustrés par la politique des chefs coutumiers Teke.

Ils invitent ensuite ces personnes à des réunions où elles sont recrutées et initiées. Ainsi, les attaques sont, à chaque fois, menées par des jeunes issus de la localité qui connaissent bien le terrain. Pour cette raison, de nombreuses victimes ont raconté que, malgré leurs déguisements, elles ont reconnu les Mobondo qui les attaquaient : voisins, beaux-parents, enfants d’amis ...

Un interlocuteur témoignait : « Le jour où ils m’ont arrêté, c’est l’enfant d’un ami à moi qui me ligotait. Je lui ai dit «mon fils» et il m’a dit : « Je ne suis pas ton fils, je suis Mobondo, je vais te tuer et boire ton sang.»

Les membres du mouvement peuvent avoir des motivations diverses à se laisser recruter et endoctriner. Les promesses d’une vie meilleure, la pression du groupe et la peur ont fréquemment été citées comme motivations. Un paysan de l’ethnie Suku du territoire de Kwamouth expliquait que tout le monde autour de lui rejoignait la milice Mobondo.
Il était lui-même emporté tant par leur enthousiasme que par la peur de ce qui lui arriverait s’il ne rejoignait pas le mouvement.

Lors des entretiens, de nombreux anciens et membres actuels des Mobondo expliquaient qu’un salaire et des terres leur avaient été promis.

« Ils nous disaient qu’ils allaient nous donner une partie de terre ainsi que de l’argent. Et jusque-là, ils n’ont rien donné de concret. »
Le nom de «Kiamvu» Kimona Kumbu Odon (Odon Kimona) est fréquemment cité comme l’un des fondateurs présumés du mouvement des Mobondo et comme l’instigateur du conflit entre les Teke et les Yaka.

Le titre «Kiamvu» fait référence au roi traditionnel de l’ensemble du peuple Yaka. À la suite du décès du dernier Kiamvu en décembre 2021, Odon Kimona a revendiqué ce titre, avec le soutien du roi des Suku, dénommé Mini-Kongo.

Cependant, sa légitimité est contestée. Kimona a été accusé d’être un «faux» Kiamvu de la communauté Yaka. Sur son rôle d’instigateur des Mobondo, un leader communautaire du Kwango assure qu'il «est le grand chef Kiamvu Kimona Odon qui en est l’auteur.

Après lui, il y a quatre présidents. Le bras armé est chapeauté par un Général, suivi de quatre autres généraux suivant la répartition territoriale et provinciale ». Témoignage confirmé par plusieurs sources.


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