Combien de personnes fauchées dans la bousculade meurtrière du stade du 30 juin de Kikwit le vendredi 25 juin? 12? 20? 30? 40? La polémique fait rage dans la grande ville de Bandundu. Mais les familles crient vengeance. Une enquête doit établir les responsabilités et désigner les coupables. Et les punir sans la moindre hésitation... La crédibilité de l’état en dépend.

Ils avaient voulu fêter un roi de la chanson et de la sape - King Kester Emeneya, dit aussi Jo Kester, de son vrai nom Jean Emeneya Mubiala Kwamambu - mort, le 13 février 2014, malade à l’âge de 57 ans, abandonné par tous. Le drame est qu’on pouvait croire à une œuvre caritative, c’est oublier qu’ils étaient tous des hommes politiques - en tête, un gouverneur en fonction, un ancien Premier ministre, des Députés dont l’avocat Lumeya Dou Malegi appartenant chacun à un parti politique et à différents courants idéologiques, de l’opposition comme de la majorité.
à l’annonce de sa mort en France à l’hôpital Marie Lannelongue en banlieue parisienne où il avait été admis quatre mois auparavant en novembre 2013 pour des problèmes de cœur, une vraie course poursuite fut engagée autour de la dépouille du chanteur à la voix de soprano, chacun voulant prendre cette relique pour qu’elle donne lieu à des dignes obsèques dans sa ville. Mais laquelle? Kikwit où il est né et a grandi, à près de 500 kms à l’est de la Capitale pour le camp du gouverneur de Bandundu, le PPRD-AMP Jean Kamisendu allié d’un jour de l’ancien Premier ministre, le PALU-AMP Adolphe Muzitu Fumunji dit Mfumumpa, invoquant en plus les dernières volontés de l’artiste. Kinshasa-la Capitale pour le camp du gouverneur de la Ville-Province, le PPRD-AMP André Kimbuta, lui aussi ressortissant de Bandundu mais estimant, pour faire bien, que l’artiste était un patrimoine national et non... local!
Finalement, ce sera... la Capitale, tranche le Gouvernement, au grand dam de Kamisendu-Muzitu. Mais c’était bien comme ça...
Ce fut sans compter avec la fureur de certaines personnalités politiques originaires de la contrée décidées, quoi qu’il en coûte, de se faire un nom sur le cadavre d’un homme qui n’avait reçu aucune assistance du temps où il en avait bien envi.

Au jeu de qui perd gagne.
S’ils perdent le jour des funérailles au Palais du peuple, il restait le quarantième jour de la disparition du King. De là est née l’idée originale d’un concert quand rien n’a été fait pour un autre chanteur, plus géant, Tabu Ley Rochereau, lui aussi originaire de Bandundu. Sauf peut-être que celui-ci, mort le 30 novembre 2013 à Bruxelles, n’est pas natif de... Kikwit!
Un concert? Non! Il en faudra plusieurs pour le King! Où donc? Pas à Kinshasa, la Capitale. Ce sera à Kikwit, ville sans infrastructure urbaine: sans eau, ni électricité, ni transport urbain, ni établissement hôtelier, ni... last but not least, lieu où accueillir du public! Pourtant, les hommes de Kikwit veulent faire de cette mort un événément majeur, un événement planétaire, un feu d’artifice avec un festival géant King Kester Emeneya. Et ce sera sur trois, quatre jours, avec une foule d’artistes qui réclament un cachet qui laisse rêveur! Tout ça pour ça?
Au jeu de qui perd gagne, face à Kimbuta, ceux qui se réclament de la province avaient tous perdu. Mais là, ils gagnent! Ni Kimbuta, ni le Gouvernement central qui aurait pu gratter un peu plus pour des raisons de sécurité, ne peut intervenir et les services de sécurité qui demandent à voir de plus près, finissent par fermer l’œil. Qui sait? S’il faut renquinquer les foules pour la bonne cause... Mais le meilleur est à venir! Chacun fait venir par conteneurs entiers ou par avions entiers sur une piste en terre depuis Kinshasa, des équipements de musique ou des stars de premier ordre. D’Europe, l’ancien Premier ministre PALU-AMP Adolphe Muzitu Fumunji dit Mfumumpa - en passe d’inaugurer son hôtel 3 étoiles dans la ville haute - fait mieux: il fait débarquer chanteurs et danseurs de seconde zone - en fait, des gueux, mais qu’importe! L’essentiel est de frapper le petit peuple Mbala et Pende-Ambuun... même avec des biscuits! Outre des petits sapeurs avec mission de rappeler que le chanteur décédé fut aussi membre prééminent de la fratrie, la Société des Ambianceurs et des Personnes élegantes, SAPE en sigle, se déplaçant au volant d’une Mercedes AMG décapotable avec plaque minéralogique spéciale frappée «King Kester» visible au parking du garagiste kinois Socimat.

A kikwit, match retour.
A travers districts et territoires, on organise à la va-vite des concours de sélection. Objectif: draîner le plus de foule dans la grande ville et frapper le plus possible l’imagination. Tiens! tiens! On aurait voulu aider «le King» qu’on aurait fait un geste en faveur de sa succession. Mais les politiciens n’en ont cure: c’est la foule qu’ils recherchent. C’est elle qui vote...
Et la surenchère! Les unis d’un jour - gouverneur et ancien Premier ministre - avaient pourtant croisé le fer dans la ville lors des Législatives de 2011. Battu à plate couture à Kinshasa aux élections de 2006, Muzitu, élevé depuis ministre du Budget, puis - incroyable! - Premier ministre de la République, avait tourné le dos à la ville-Capitale. Trop compliqué! Il s’est délocalisé à Kikwit où il rencontre Kamisendu, propriétaire d’un énorme hôtel dans le quartier chic de la Gombe à Kinshasa, le Venus. Mais Kikwit est un trop petit marigot pour abriter deux crocodiles mâles. Muzitu, fort des moyens d’état contraint Kamisendu à concéder la défaite et, dès le lendemain, Kamisendu revient dans la Capitale à bord de son vaisseau amiral, un Hummer de chez General Motors suivi et précédé par une escadrille qui compte un Navigator de chez Lincoln.
à l’étape de Masimanimba, en pleine agglomération urbaine, au lever du soleil, les véhicules glissent à ce point vite sur la nationale qu’ils happent un adolescent et les jeunes de cette cité-quartier latin, qui ont réussi dans le passé l’exploit de faire déguerpir de nuit et l’administrateur de territoire et le chef d’antenne de l’ANR (renseignements civils) n’ont pas apprécié: s’ils manquent d’incendier l’escardrille de rêve, ils stoppent net le convoi en le rouant de pierres et en dégonflant les pneus. Incapables d’avancer, les véhicules sont conduits devant le commissariat de la cité où Kamisendu est entendu sur PV par un agent de police alors que Masimanimba en colère crie vengeance. Mais depuis, Kamisendu a été élu Gouverneur de Bandundu dont Kikwit est la grande ville. Il n’a rien oublié. La vengeance est un plat qui se mange... froid ou surgelé! Il sème à tout vent en espérant la récolte. Mais Muzito veille au grain. Rétrogradé simple Député, Mfumumpa n’a pas dit son dernier mot... Entre les deux, le 25 avril 2014 fut le jour de la répétition générale, avant la grande confrontation du match retour. Chacun avait ses grands du showbizn payés comptant: Fally Ipupa dont le concert s’est terminé en bain de sang. Noël Ngiama Werrason, Reddy Amisi, Félix Wazekwa, la Mamou nationale Tshala Muana, Jolie Mubiala, Dakumuda, Apocalypse, Lijo Kwempan, Yandi Mosi, les comédiens Sai Sai, etc.

L’évêque au bord des nerfs.
Chaque camp avait reçu LE mot d’ordre: surveiller les mouvements du camp adverse. Dès la première rumeur que le camp adverse avait l’intention de faire monter les enchères en faisant venir du gros bétail, ordre était donné de surenchérir. Dès que l’un d’eux s’apercevait qu’il pouvait être «réduit en cendre», il passait à la contre-attaque. Sans se soucier de ce que la ville pouvait accueillir, ni du stade délabré, ni des issues de secours en cas de bousculade, ni des hôpitaux et d’une équipe de médecins de prise en charge en cas de tragédie humaine, Kikwit aurait ainsi vu déferler plus de 50.000 personnes. Chaque camp a même voulu avoir l’évêque de Kikwit Edouard Mununu Kasiala dans sa poche et tenté de se faire dire «sa» messe à part mais au bord des nerfs, l’évêque a expliqué qu’il préférerait ne pas ouvrir la Cathédrale... Il est vrai que les bonnes actions ne sont pas ébruitées, les mauvaises font le tour du monde.
T. Matotu.