- mer, 14/03/2018 - 05:42
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Premier ministre du lendemain de la CENCO est cliniquement mort.
Il n’y a plus aucun doute: Bruno Tshibala Nzenzhe est arrivé à quai. Le maintenir désormais à bord un jour de plus serait faire courir le péril majeur au pays. Le Premier ministre du lendemain du Centre interdiocésain n’est clairement plus l’homme de la situation. Si son prédécesseur Badibanga fut miné par son incapacité à faire face à la tragédie Kamwina Nsapu, c’est la persistance de la crise créée par les Cathos qui a miné Tshibala, incapable d’être la solution et lui porte un coup fatal. La politique est ainsi faite. Impitoyable.
Après Badibanga au tour de Tshibala. Après Tshibala au tour de qui? Il paraît temps de revenir sur les fondamentaux. Puisque l’adage dit «tierce fois c’est droit», il n’y a jamais deux sans trois. Même si cela peut paraître étrange. Quand Américains et Français écartent l’hypothèse farfelue TSK (Transition Sans Kabila), ils soulignent que la mise en œuvre de l’Accord de la CENCO reste encore imparfaite. Il faut ôter cette épine du pied du pouvoir, ouvrir la voie à l’apaisement que ni Badi, ni Tshi (même province, même territoire) n’a su apporter. «Aucune élection ne saurait se dérouler dans ce pays, dans cette Capitale sans l’apaisement nécessaire, dans cet activisme politico-clérical médiatique», déclare Tryphon Kin-kiey Mulumba lors de la visite, le 24 janvier, du Secrétaire Général de la Majorité Présidentielle, Aubin Minaku Ndajandjoku, du siège conjoint du Parti pour l’Action et de Kabila Désir, à Limeté, quartier De Bonhomme. Puis: «Aucun mort de plus ne saurait être toléré dans ce pays pour assouvir la soif du pouvoir des politiciens et il ne faut pas que l’histoire juge notre génération de non-assistance à pays en danger». Puis: «En démocratie, le dialogue est permanent. Le Président de la République Joseph Kabila Kabange n’a jamais fermé aucune porte. Au contraire. En politique, il y a la réalité souvent inconnue du grand public et l’image projetée. Trop souvent, nous sommes jugés par l’image que nous projetons qui peut être fausse, construite par les médias que par la réalité que nous incarnons».
Bruno Tshibala Nzenzhe a eu un mérite: s’être disponibiliser en temps et en heure, sans état d’âme! Du coup, il avoir évité au pays une sortie de piste...
Effrayé - c’est le mot - par un Samy Badibanga Ntita qui, inexorablement, piquait du nez, conduisant le pays - sous tragédie Kamwina Nsapu au Kasai et, bientôt dans la Capitale, outre l’exacerbation d’une crise financière impossible - droit vers un bug historique, le Président de la République, invoquait l’article 69 de la Constitution qui fait de lui le garant de la Nation (il «assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat»), révoquait, le 5 avril 2017, sans autre forme de procès, en direct à la télé, devant le pays, le Premier ministre «issu de l’Accord de la Cité de l’Union Africaine». Ce fut lors d’un discours sur l’état de la Nation qui ne pouvait mieux porter son nom…
A QUOI SERT-il?
Il donnait un ultimatum de 48h à l’opposition de la CENCO. Dans ce délai «impératif», elle avait à lui présenter une liste de trois noms parmi lesquels il choisirait le nouveau Premier ministre. Le favori Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo fut joint formellement mais ne sut décider. Or, le Président de la République s’était engagé devant la Nation. Il ne restait qu’une hypothèse pour honorer sa parole publique: désigner l’opposant BCBG qui accepterait d’exercer la fonction, dont le pedigree correspondrait au poste. Si l’ordonnance de Badibanga fut lue à la demi-journée jeudi 17 novembre 2016, celle de Tshibala le fut à la tombée de la nuit, vendredi 7 avril 2017. Problème: Tshi est comme Badi: l’un et l’autre n’ont été que des opposants. Rien de très enthousiasmant! Ni l’un, ni l’autre n’avait auparavant tenu un signataire de cabinet ministériel. Le séminaire gouvernemental de prise de fonctions qu’anime habituellement le secrétariat général du Gouvernement, ne suffit pas. Diriger un Gouvernement d’un pays de la taille du Congo n’est pas mince affaire. Cela suppose connaissance, maîtrise des affaires de l’Etat, ministères, animateurs, commissions ministérielles, questions de Défense, de sécurité, des Finances publiques, entités territoriales, etc., même s’il n’existe pas de diplôme pouvant, en l’espèce, certifier de connaissances.
Badi débute son Gouvernement par une gaffe, une grosse: un selfie publié sur son compte Twitter rapporte une «rencontre au sommet» entre lui et le président nouvellement élu Donald Trump, se félicite d’être le premier dirigeant africain à être accueilli par Trump. Le Premier ministre se trouvait à New York à l’hôtel Hilton pour prendre part à un «petit-déjeuner national de prière» (National Breakfast Prayer) organisé par une Fellowship Foundation (connue aussi comme «La Famille»), une organisation d’une église méthodiste critiquée pour son manque de transparence et son homophonie.
En fait, la rencontre n’a jamais eu lieu. Si elle avait eu lieu, elle n’aurait certainement pas été qualifiée de «sommet». Bourde politique et diplomatique qui gêne des services de l’administration américaine et fâche des politiques à Kinshasa... Outre cela, quel pénible début! Miné déjà par un tweet d’un ex-camarade opposant laissé pour compte qui fait savoir que Badibanga a la nationalité belge (or, «la nationalité congolaise est une et exclusive (…), ne peut être détenue concurremment avec aucune autre», art. 10 de la Constitution), du coup, le Congo a un Premier ministre belge. L’affaire gonfle, prend une telle allure qu’il faut annuler l’ordonnance, en attendant une procédure de renonciation restée à ce jour bien secrète. Une deuxième ordonnance présidentielle est nécessaire qui restaure ce Premier ministre à problèmes...
Même début ténébreux pour Tshi. S’il séjourne en France en visite privée pour consulter un ophtalmologue en vue d’une opération des yeux, le Premier ministre en profite pour faire un tour au Palais du Luxembourg, fait des selfies dans les travées de l’hémicycle. Et ces images le présentent en visite au Sénat français. Problème: pas une photo en réunion ou dans un bureau du Sénat français ni, encore moins, avec le maître des lieux, Gérard Larcher!
Le premier pas, selon Voltaire, est déterminant. De lui dépend le reste de nos jours... Ce premier pas, aussi bien de Badi que de Tshi, n’est pas de bon augure! Ressortissant du Kasaï, Badibanga Ntita n’aide pas à éteindre le feu et la fureur du mouvement terroriste Kamwina Nsapu. La peur au ventre, il annule, à la toute dernière minute, deux visites symboliques à Kananga, argue des conditions sécuritaires quand toutes les notabilités de la province se trouvent sur place. À quoi sert un Premier ministre, chef du gouvernement s’il ne peut se porter au devant de la scène, sur le théâtre des événements, servir de soupape de sécurité au Président? Au lendemain de l’Accord de la Saint Sylvestre, après un deuxième et laborieux round de dialogue qui fait le choix d’un Premier ministre issu de la CENCO, Badi rechigne à remettre les clés de la Primature, actionne les articles 90, 146 et 147 de la Constitution. Ils disposent que si le Président nomme le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, c’est le Parlement qui, le cas échéant, le destitue lors d’une délicate procédure, oubliant que la majorité qui l’a massivement investi, le 22 décembre 2016, était toujours en place et la même qui lui demande de remettre les clés.
Face à la non-application par le législateur de la théorie de l’acte contraire, Badi, à la tête d’un pactole inespéré, avise qu’une bataille au Parlement n’était pas forcément perdue.
L’affrontement est inévitable. Le Président de la République choisit de rompre tout lien avec Badi jusqu’au jour de l’annonce officielle de sa décision. Assis sur son strapontin, Badi manque de faire un arrêt cardiaque.
Les conditions qui conduisirent le Président à révoquer Samy Badibanga Ntita paraissent réunies avec Tshibala Nzenzhe sans arrogance certes mais qui a cessé de servir. Il n’est plus l’homme de la situation.
Il N’A RIEN LIVRE.
Si c’est Kamwina Nsapu avec ses décapitations de policiers, d’agents de l’Etat et des dégradations d’immeubles publics qui a précipité la disgrâce de Badi, c’est la crise des Cathos de Kinshasa actionnée par le Cardinal Monsengwo passée au mode de harcèlement et appuyée par le nonce apostolique Luis Mariano Montemayor (déclaré persona non grada et rappelé à Rome) qui a vidé Tshi de sa substance et l’a définitivement ruiné.
Si, choqué par l’arrogance de Badi, le Président a mis tout le prix dans cet Exécutif, celui-ci ne lui a, en revanche, rien livré. Le Congo attendait l’apaisement. Dépourvue des ténors politiques (personnalités fortes et d’influence auxquelles se reconnaissent des pans entiers de l’opinion), l’Exécutif actuel n’est pas au rendez-vous de l’Histoire. Formé des seconds voire des troisièmes, c’est une équipe taiseuse dont pas un membre, sauf exception, n’assume la charge politique. Nul ne paraît engagé au combat politique et ne se trouve en première ligne pour tisser et tracer un sillon. Aucun ne porte l’adhésion au point qu’à son corps défendant, la rue en vient à formuler des regrets. «Tel portait mieux la parole, incarnait mieux l’État...».
Malgré son macro-économisme brocardé et ses rendez-vous d’aurore incompris, Matata vide sa table de ses signataires avant de quitter la Primature. Depuis, que de dossiers jamais traités!
La rumeur fait état d’une montagne de dossiers héritée de Badi (au moins mille) désormais répandue dans tous les services en attente de traitement. Ils seraient aujourd’hui plus de 6.000 non traités. Quant aux ministres, ils ne feraient pas mieux.
Si Badi ne rejoignait jamais son bureau avant 11h00’ et repartait peu après, le temps d’avoir sifflé quelques coupes de Champagne du Rosé Laurent Périer, son successeur aurait poussé ce score plus loin. «Il ne vient que pour 30’ et ressort aussitôt; il va faire un tour de ses multiples propriétés et chantiers dans la ville, en escorte; revient plus tard pour 30’ encore. Avant de repartir»! Bref, pas une minute pour lire un dossier. «C’est un fêtard. Il suffit qu’un ami ait une promotion, il donne un dîner dansant dans son immeuble racheté à l’ancien Premier ministre de Mobutu, Lunda-Bululu». Demain, on accusera cette génération de non-assistance à pays en danger… D’où le pasage de flambeau au DirCab, le prof. Néhémie Mwilanya Wilondja? Il faut bien savuer le Trésor!
Quant aux conseillers, il semble qu’il faille les chercher à la lampe torche en plein jour. Tous des useless, ils font l’école buissonnière. Ceux qui ont connu «l’homme aurore», malgré la sévérité de ses réunions, disent être descendus au capharnaüm...
Si l’action de rassurer l’opinion («com’ d’entretien», dirait l’expert) sur ses convictions n’est pas menée par un dirigeant assumant la charge, le doute s’installe et s’empare du citoyen au point qu’à l’heure du choix démocratique, il l’exprime par un vote négatif ou par une absence de mobilisation. Cette érosion se produirait même dans des strates sociales qui, pour diverses raisons, seraient favorables aux idées défendues.
Terrifiant que des partis aient déserté l’arrière-pays plus enclin à la modération et à la loyauté pour concentrer l’action sur la ville qui, de tous temps et en tous lieux, est fief de la contestation et de l’opposition quand l’arrière-pays préservé fournit traditionnellement des voix à la pelle aux partis au pouvoir.
Si le système politique congolais érige un régime où le Président règne mais ne gouverne pas et que c’est «le Gouvernement (qui) conduit la politique de la Nation» (art. 91, al. 2), comment expliquer que le Président soit perpétuellement sous les feux des projecteurs, en première ligne, exposé et, donc, reçoive tous les coups? Certes, des valeurs ne manquent pas. Sauf des convictions partagées. D’où cette discipline qui fait défaut. Du coup, des questions fusent.
Si, à l’opposition, ce sont des poids lourds qui usent de l’artillerie lourde, les partis au pouvoir, eux, ont résolu d’aligner des jeunes inconnus, sans charisme, dont la parole par principe est étouffée. La sacro-sainte notion de poids politique se réduit au nombre de strapontins savamment négociés quand, au débat public déterminant portant sur des choix politiques vitaux, nul ne sent un rassemblement des forces. Il y a problème...
T. MATOTU.