- ven, 08/11/2019 - 00:41
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1470|VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019.
C’est un petit tremblement de terre qui a eu lieu samedi 2 novembre à Kinshasa en plein Palais du Peuple. Séisme de magnitude 3,8 sur l’échelle de Richter dont l’épicentre est situé en la salle des banquets. Invité par des députés pour délivrer un exposé sur le thème «Corruption, prévention et répression en RDC», Saint Augustin Mwenda Mbali, président de l’OSCEP, a créé la surprise.
DG de l’Observatoire de surveillance de la corruption et de l’éthique professionnelle, cet homme a fait fort. Devant une assemblée de députés réunis pour un séminaire de mise à niveau, il a fait figurer le député comme l’un des Congolais les plus corrompus du pays. Rien de surprenant...
UN DEPUTE
DESERTE LES TRAVEES.
Quand il invoque le contrôle parlementaire au sein des entreprises et des services publics, le député y va de son chantage. En tête l’unique objectif: faire les poches aux opérateurs économiques.
Parmi les cas les plus flagrants de la législature passée, celui d’avril 2015.
Le député (opp. Lamuka) Albert Fabrice Puela (@fabricepuela) s’en prend avec une violence rare au Vice-premier ministre en charge des PTNTIC (Postes, téléphones, nouvelles technologies de l’information et de la Communication) qualifiant au passage d’«incompétent notoire» l’ancien SG du MLC, le parti de JPBemba, passé avec armes et bagages à la majorité présidentielle (Kabila). Depuis inamovible ministre...
Cinquante-deux signataires ont été récoltées pour la motion de défiance. Grief contre Luhaka: avoir privé les Congolais de la liberté de s’exprimer sur les réseaux sociaux lors des manifestations des 19 et 20 janvier protestant contre une révision de la loi électorale venue du Gouvernement.
Jour de l’examen, vendredi 8 mai. A la tribune, la scène est dressée: urnes, isoloirs, assesseurs, tables et chaises en vue de décider du renvoi ou non du Gouvernement du Vice-Premier ministre. La séance ouverte vient le moment d’appeler le député à donner lecture du texte face à la plénière, face à une délégation de membres du Gouvernement, face au Congo et au monde.
Incroyable! L’élu est aux abonnés absents! Puela aurait dû être le premier à pénétrer dans la salle afin que rien ne lui échappe. Après un moment d’attente, un autre député Emery Okundji (opp.) qui deviendra plus tard ministre des PTNTIC, demande à prendre la parole.
Il appelle ses collègues à faire le constat de carence - impossibilité de conduire la procédure à son terme - et le président du bureau à lever la séance ou, le cas échéant, à passer au point suivant. Le Vice-premier ministre et ses collègues s’en vont comme ils sont venus. «Passez, il n’y a rien à signaler...».
«La vérité, confesse un de ses collègues, est que l’élu de Matadi (ennemi juré du Gouverneur Jacques Mbadu décédé) avait été servi la veille par le ministre. Ayant atteint son objectif, il a estimé qu’il n’y avait plus rien à venir voir dans la salle».
Devant des médias, Puela parade, désigne Aubin Minaku Ndjalandjoku à l’origine de l’échec de la procédure. Le président du bureau a accepté une motion incidentielle insolite. Nous avons estimé que c’est grave. Nous sommes sortis. Ce fut une forfaiture de programmer encore l’autre motion de défiance contre le Vice-premier ministre des PTNTIC. Il aurait fallu d’abord vider le premier incident».
Quel règlement intérieur, quelle loi ordonne cela?
MOTIONS MONNAYEES COMME S’IL EN PLEUVAIT.
Lors de cette même législature, que de motions monnayées contre des ministres comme s’il en pleuvait. Aucune n’a jamais abouti au départ d’un ministre. Toutes bloqués par des motions incidentielles ou rejetées après retrait des signatures, négociées aux prix fort....
Octobre 2012. Le Vice-Premier ministre en charge de la Défense Matata 1, Alexandre Luba Ntambo, est visé par une motion de défiance. Le même Albert Fabrice Puela à la manœuvre. Comme face à Luhaka, il déclare Luba Ntambo «incapable, indigne, incompétent notoire» dans la gestion de la situation sécuritaire à l’Est. Le ministre sera sauvé par des Députés de la majorité. Chacun s’est vu remettre $US 3.000,00 par la coordination de la majorité dont les membres, ont reçu chacun quatre fois plus!
Avril 2013, motion de censure du député (opp.) Baudouin Mayo Mambeke, aujourd’hui Vice-premier ministre en charge du Budget du cabinet Sylvestre Ilunga Ilunkamba contre le Chef du Gouvernement Augustin Matata Ponyo Mapon. Initialement signé par 137 élus, le texte se retrouve avec 95 signatures. Pas assez pour appeler la motion. Il en fallait 125. Contre espèces sonnantes et trébuchantes, 42 élus (Majorité et opposition) ont retiré la veille leurs signatures invoquant pêle-mêle «convictions politiques, convenance personnelle, etc.».
Le mois suivant, mai 2013. Motion de défiance contre Martin Kabwelulu, éternel ministre des Mines. Elle fait flop sans avoir démarré. L’initiateur Germain Kambinga Katomba (opp.), porte-parole du MLC de Bemba deviendra plus ministre de l’Industrie dans un énième Matata. Il est aujourd’hui Vice-ministre FCC à la Formation professionnelle. L’homme a retoqué lui-même son texte. Accusé par la clameur publique de l’avoir monnayé, il se défend.
Novembre 2014, Patrice Kitebi Kibol’Nvul, ministre délégué aux Finances (aujourd’hui tout puissant patron du FPI) et son collègue ministre de l’Industrie et PME Rémy Musungayi sont visés par des motions de défiance. Le premier a mal exécuté le budget 2013. Le second à la base de l’échec de l’implantation d’une cimenterie en Province Orientale. Des motions contraires (incidentielles) invoquant des questions de procédure, négociées pied à pied avec le concours du bureau, sont votées par des élus de la majorité....
Président de l’APNAC-RDC, Réseau des Parlementaires Africains Contre la Corruption, le député Pasi Za Pamba (Kwango, majorité présidentielle), éphémère administrateur à l’OGEFREM (fret maritime) est cité dans un groupe de 12 députés accusés de corruption par la Direction Générale des Impôts, DGI. Ces élus avaient offert, contre paiement en espèces, de baisser les assignations de la régie financière au projet de budget 2009.
Le 30 décembre 2008, la plénière vote à la majorité requise, la levée de l’immunité de ces députés venant des rangs de l’opposition et des rangs de la majorité - et, du coup, leur mise à la disposition de la justice. Une justice elle aussi trop compromise... Décision prise après enquête menée par la commission des sages.
L’affaire avait été ébruitée par un autre élu, Jean-Marie Bulambo Kilosho, ancien DG de la régie financière DGRAD, Direction Générale des Recettes Administratives, Judiciaires, Domaniales et de Participations. Révoqué, envoyé en prison, le natif de Mwenga, Sud-Kivu (majorité présidentielle), semble s’être rasséréné.
Outre Pasi Za Pamba, la liste des députés corrompus comprend Jean Bosco Bahirima. Président de la commission, il a remis $US 1.000 à chacun de ses douze collègues. D’autres députés - Jules Mugiraneza, Mambu Mbumi, Kalumi Mbalo, Buhunda Baroki et Kashidi Asumani - passés aux aveux, reconnaissent avoir reçu $US 1.000 chacun mais «à titre de prime habituelle et non pour une quelconque corruption».
Août 2019, le même Pasi Za Pamba est accusé de «complice de détournement d’une somme d’un million de dollars» par des syndicalistes de l’OGEFREM, où il fut éphémère membre du conseil d’administration dans le quota du professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba, élu indépendant de Masimanimba, président du groupe parlementaire GPI.
L’intersyndicale de l’Office de gestion de fret multimodal accable l’élu du Kwango. Ses déclarations sur une radio locale démontrent «ni plus ni moins sa complicité dans le dossier de détournement de plus d’un million de dollars à l’OGEFREM». Pour l’intersyndicale, ces déclarations étaient «simplement indignes», Pasi Za Pamba «s’étant distingué dans le passé dans le trucage des états financiers de l’OGEFREM quand il exerçait les fonctions d’administrateur».
Saint Augustin Mwenda Mbali est strict: sur une échelle de quatre points des agents publics congolais les plus corrompus, il y a en tête l’agent de police commis à la circulation routière. Vient le douanier. Puis l’inspecteur de police judiciaire - le magistrat. Puis, le député congolais. Trop indigne...
CONTROLE PARLEMENTAIRE ET VOTE DES LOIS.
A ce séminaire, le Directeur général de l’Observatoire de surveillance de la corruption et de l’éthique professionnelle a été appuyé par la représente de la présidente de l’Assemblée nationale, Mme Jeanine Mabunda Lioko empêchée.
Selon le rapporteur de l’Assemblée nationale, le prof. Célestin Musao Kalombo Mbuyu, la lutte contre la corruption concerne le monde judiciaire certes mais aussi le réseau de la fraude fiscale et douanière, le circuit de passation des marchés publics, «et, pourquoi pas, quelque fois la charité bien ordonnée commençant par soi-même, les faiseurs des lois, en faisant allusion ici, aux motions alimentaires».
Il note que pour les parlementaires, l’outil de lutte contre la corruption est le contrôle parlementaire mais aussi le vote des lois, assurant que pour cette législature, la Chambre basse va se concentrer sur le vote des lois anti-corruption. Et le contrôle devra passer du niveau pédagogique à celui de la sanction.
«Certes, ce n’est pas une chose facile. Mais je reste fort, tenace, et solidaire. Nous y arriverons dans la synergie et les efforts conjugués bien entendu par tous».
En l’espèce, l’élu dit soutenir «sans ambages» la volonté du groupe de ses collègues de renforcer leurs capacités.
Comme «élus du peuple, vous serez aux avant-postes pour sensibiliser les électeurs aux effets néfastes de la corruption. Vous les amènerez en dénonçant sans complaisance, les auteurs, les co-auteurs, quel qu’en soit le prix. C’est pourquoi, j’adhère d’ors et déjà à l’installation d’un centre d’écoute au sein du Parlement, à travers votre réseau, pour recevoir les différentes dénonciations et les transformer en contrôle parlementaire».
Pour Célestin Musao Kalombo Mbuyu, la corruption enfreint la bonne gouvernance politique et économique, «faisant barrière au rapide assainissement du climat des affaires, n’épargnant ni magistrat, ni politique, ni homme d’affaires, ni homme d’église, et contre laquelle, je m’en souviens encore, le Président de la République s’était engagé sur la foi de son serment constitutionnel, de lutter quel que soit la forme du phénomène». Il relève que «la lutte contre la corruption n’est pas toujours à la portée de n’importe quel auditeur, contrôleur, enquêteur, voire autorité judiciaire. «Bien souvent, elle exige des connaissances solides et approfondies en matière financière, législative, de contrôle et une grande expérience sur la complexité des circuits financiers, surtout lorsque le corrompu est un financier, un fiscaliste, ou un comptable chevronné».
LA CORRUPTION S’IDENTIFIE
A LA PERVERSION.
A noter que le dictionnaire définit la corruption comme «la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa complaisance. Elle conduit en général à l’enrichissement personnel du corrompu ou à l’enrichissement de l’organisation corruptrice (groupe mafieux, entreprise, club, etc.). Il s’agit d’une pratique qui peut être tenue pour illicite selon le domaine considéré (commerce, affaires, politique...) mais dont le propre est justement d’agir de manière à la rendre impossible à déceler ou à dénoncer. Elle peut concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, un syndicaliste ou l’organisation à laquelle ils appartiennent».
Il reste que la notion de corruption est subjective.
Elle transgresse toujours la frontière du droit et de la morale. On peut distinguer la corruption active de la corruption passive; la corruption active consiste à proposer de l’argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d’un avantage indu; la corruption passive consiste à accepter cet argent.
L’exemple classique est celui d’un homme politique qui reçoit de l’argent à titre personnel ou pour son parti de la part d’une entreprise de travaux publics et en retour lui attribue un marché public. L’homme politique pourrait être accusé de corruption passive: il a reçu de l’argent, alors que l’entreprise peut, elle, être accusée de corruption active. En revanche, si cet homme politique dirige une association ou une fondation d’entreprise, le versement d’argent sera considéré soit comme de la «corruption indirecte», soit comme une «participation complémentaire» par les autres acteurs.
D. DADEI.