- lun, 25/02/2019 - 15:08
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le message subliminal des ETATS-UNIS.
Washington monte la pression. La superpuissance mondiale fait bloc derrière le nouveau président du pays. Elle ne veut plus entendre parler d’un retour quelconque aux affaires de l’ex-majorité présidentielle accusée de mauvaise gouvernance mais aussi d’avoir opéré de dangereux choix stratégiques: éloigner un pays Continent au cœur et au centre de l’Afrique et débordant de réserves des matières premières rarissimes pour l’avenir du monde (cuivre, coltan, uranium, cobalt) de ses partenaires traditionnels en s’arrimant - de la provoc! - à des Etats «ennemis de l’Occident»: Chine, Russie voire Iran.
L’ORACLE.
L’ex-majorité présidentielle a souvent eu la mémoire courte... C’est après le passage à Kinshasa le 25 octobre 2017 de l’ex-représentante permanente des Etats-Unis aux Nations Unies, Nikki Haley, qu’à la Commission électorale nationale indépendante, les événements s’accélèrent.
Reçue sous haute tension par Nangaa - le même ! - et Basengezi ! - le même - alors que le calendrier électoral fait l’objet d’interminables débats, que jour après jour, le pays s’enfonce dans l’abîme d’une indescriptible crise politique, sociale et humanitaire, que Washington répète que le monde a les yeux braqués sur les scrutins congolais, au pied sur les marches de l’immeuble de la CENI, boulevard du 30 juin, l’envoyée de Donald Trump annonce - donne ordre, livre l’oracle! Organiser les élections l’année suivante, sans nouveau délai, en 2018, sans autre forme de procès sinon le Congo «ne pourra pas compter sur le soutien des Etats-Unis et de la communauté internationale».
Nikki venait d’avoir une réunion de plusieurs heures avec Corneille Nangaa Yobeluo (coopté société civile à la CENI), Norbert Basengezi Kantintima (officiel PPRD, principal parti au pouvoir) et leurs équipes.
LE WANTED.
Sans désemparer, les deux hommes continuent de réclamer 504 jours minimum. Soit des scrutins à la mi-2019 ! Deux nouvelles longues années! Se basant sur ses propres données, Nikki tranche net.
«La CENI est un organe important à la tenue des élections. C’était clair. Nous avons montré que chaque jour que les élections ne sont pas organisées, ce sont des femmes violées, des enfants enrôlés dans les groupes armés. C’est important d’organiser les élections en 2018».
Tombe la menace, le Wanted.
LA STUPEUR.
«Les élections sont possibles en 2018 si toutes les parties prenantes mettent la main à la pâte et si elles n’ont pas lieu en 2018, la RDC ne pourra pas compter sur l’appui de la communauté internationale, ni celui des Etats-Unis», déclare-t-elle. Catégorique. Nangaa et Basengezi muets de stupeur sinon de torpeur. Comme la foule compacte sur les marches en tête, le rapporteur ex-UDPS Jean-Pierre Kalamba Mulumba N’galula.
Avant de s’offrir des selfies le lendemain à Goma avec des femmes violées en pleurs, Nikki rencontre Kabila au Palais de la Nation. En tête-à-tête, sous les ors de la République.
L’occasion de remettre une liste (restée confidentielle) des personnalités congolaises mêlées, selon la CIA, dans l’assassinat en mars 2017 des jeunes experts onusiens qui enquêtaient dans le plus grand secret sur des fosses communes au Kasaï, la Suédo-chilienne Zaida Catalan et l’Américain Michael Sharp sauvagement décapités. Et de passer un message ferme de Donald Trump.
La réaction de Kinshasa ne tarde pas.
LISTE NOIRE.
Au nom de la souveraineté nationale, l’envoyée du président américain est mise sur liste noire et Kinshasa lui oppose un refus de visa quand début octobre 2018, deux mois avant les élections, une délégation du Conseil de Sécurité des Nations-Unies se rend au Congo. Mission : s’informer sur le déroulement du processus électoral.
Washington avale l’affront? Le Département d’Etat n’oublie rien...
Conduite par la Représentante permanente adjointe de la Bolivie, Veronica Cordova Sopria, elle réclame «le plus large consensus sur la machine à voter, de la crédibilité du scrutin...».
Depuis New York, Nikki Haley n’a eu de cesse de condamner cette machine (à voter) Nangaa et le gouvernement sud-coréen se résoud à ne pas valider le produit de sa firme Miru. La CENI s’entête...
En jeu, de mirobolantes opérations retour.
Comme à l’accoutumée, le Gouvernement congolais via son porte-parole Lambert Mende Omalanga dénie à l’envoyée de Trump la qualité de porte-parole de toute la communauté internationale. «Mme Nikki Haley est ambassadrice des Etats-Unis aux Nations-Unies. Donc, elle représente un pays au sein de la communauté internationale. La volonté de Mme Nikki Haley n’a rien à voir... C’est à la Commission électorale nationale indépendante de voir si elle peut organiser les élections dans ce délai».
Un autre envoyé spécial cette fois des Etats-Unis (cette fois pour les Grands lacs africains) nommé début novembre 2017 envoyé spécial des Etats-Unis par le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo, en remplacement du très coriace démocrate Tom Perriello, n’a pu mettre pied au Congo, premier pays pourtant destiné par cette nomination. Au Républicain John Peter Pham, ancien vice-président et directeur de l’Africa Center au think thank Atlantic Council, rédacteur en chef d’une revue à Washington, le gouvernement congolais, relayé par ses médias officiels, reproche pêle-mêle ses appels à la balkanisation du Congo comme seule façon de sauver le pays, tout comme ses accointances congolaises. Il a trop été vu avec le très blacklisté ex-gouverneur du Katanga minier Moïse Katumbi Chapwe dont l’image, à en croire certains, se serait dégradée dans les allées du Congrès américain.
Venu de Brazzaville où il a rencontré le président brazza-congolais Denis Sassou-Nguesso, John Peter Pham se rend à Kinshasa pour la première fois depuis sa nomination et est reçu en grande pompe, vendredi 22 février, à la Cité de l’Union Africaine, sur les hauteurs de la ville où le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo travaille désormais provisoirement. A ses côtés le représentant de Donald Trump en RDC, l’ambassadeur Mike Hammer qui se lâche en tweets. Une page se tourne...
MEME SURGELE.
Mais à Washington, l’affront enduré est resté en travers de la gorge. L’Oncle Sam à la gâchette facile sait (parfois) se faire violence. Ici, la vengeance peut (aussi) être un plat qui se mange surgelé...
Reste que si la CENI s’est immédiatement conformée aux pressions américaines évitant toute tentative dangereuse de résistance avec la première puissance du monde - et même lors de l’annonce d’un «nouveau petit glissement» des scrutins, en plein mois de décembre, elle s’assure précautionneusement de ne pas franchir le cap 2018 sans organiser ces élections présentées comme de tous les dangers -, sur la machine à voter, Nangaa et son colistier Basengezi restent imperturbables.
Comme redouté, les scrutins se déroulent dans un imbroglio total. Listes des électeurs sans cohérence, fiches des résultats et procès verbaux introuvables dans les centres de vote, publication unilatérale des résultats par Nangaa et Basengezi sans référence aucune aux travaux des CLCR, les Centres locaux de compilation des résultats, qui se poursuivaient et ont dû fermer pour inutilité.
Les bonzes Nangaa et Basengezi déclarent comme bon leur semble avoir eu recours aux clés USB (électroniques) illégales. La loi impunément foulée aux pieds...
A la Présidentielle, le candidat n°20, Fatshi, est proclamé vainqueur quand au matin du vote, en glissant son bulletin dans l’urne, à Kinshasa, le candidat du pouvoir, le PPRD Emmanuel Ramazani Shadari se déclare «déjà élu Président de la République».
L’APAISEMENT.
Si la nouvelle de l’élection de Fatshi est logique, crédible, légitime, apaise le pays, l’Afrique et le monde - le Congo a exprimé un vote sanction contre la gouvernance sortante -, la majorité écrasante (354 élus sur 500 en attendant le vote dans un mois à Yumbi au Bandundu et dans le Grand Nord dans le Nord-Kivu) que revendique imprudemment l’ex-majorité présidentielle aux Législatives qui ont eu lieu le même jour, et, du coup, la direction du Gouvernement tout comme la conduite d’importants portefeuilles ministériels, émeut l’Europe et les Etats-Unis qui voient le retour par une porte dérobée d’une gouvernance décriée.
L’extérieur attend et réclame une indépendance affirmée du nouveau Président mais craint des rumeurs d’une main mise des anciens dirigeants suite à des accords secrets quand au Congrès américain, les Démocrates très sourcilleux sur les droits de l’homme et la bonne gouvernance, ont fait reflux.
Quand le cyclone du dégagisme s’abat, le même électorat ne peut avoir condamné un régime et renouveler en même temps la confiance dans ses hommes marqués au fer rouge! Le cas de près de trente ministres élus ou réélus Députés nationaux.
Les preuves de manipulation, de corruption, de tricherie, etc., pleuvent.
Le jour de la proclamation des résultats des Législatives, des noms des élus de la circonscription de Masimanimba, dans le Kwilu, oubliée après que la séance fût levée, sont griffonnés sur une feuille de papier volante, déchirée avec arrogance, d’un bloc-notes, devant les caméras du monde, sans autre forme de procès, sans crainte aucune. Aucun crime n’a jamais été parfait.
La réalité est que la CENI a été utilisée pour reprendre des noms d’«élus tombés pour la plupart du ciel». Plusieurs semaines auparavant, à l’ère des réseaux sociaux, une liste des «élus d’office» émanant des officines de l’ex-MP, a été publiée dans les médias...
D’où les sanctions qui frappent son secrétaire général Aubin Minaku Ndjalanjoku également président de l’Assemblée nationale, celui qui disait vouloir transformer le Parlement en «un temple de la démocratie».
Quant aux juges de la Cour constitutionnelle dont le premier président Benoit Lwamba Bindu est visé par les sanctions, il s’agit d’un message fort envoyé par Washington qui réclame une réelle indépendance de sa part.
Partis depuis la fin de Mobutu et après l’échec de l’Afdl portée au pouvoir par une coalition des armées africaines pro-occidentales, Wall Street piaffe d’impatience de revenir au Congo mais attendent le bon signal. Si Kinshasa abrite toujours des missions occidentales, elles ne s’occupent que de l’humanitaire et des services consulaires au grand désarroi des diplomates dans un pays qui aurait dû être le moteur du Continent. Fatshi sera bientôt sous les lampions du bureau Ovale échangeant avec Trump un joli coup de main appuyé. Tout dépend des premiers pas de sa gouvernance...
T. MATOTU.