- lun, 29/07/2024 - 18:48
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1616|LUNDI 29 JUILLET 2024.
Il était déjà sous sanctions américaines après le chaos électoral de 2018. Et, bis repetita, Washington annonce de nouvelles sanctions contre lui mais cette fois contre le chef politique d'un groupe armé qui fait des centaines de morts et de déplacés dans le pays. Et comme si cela ne suffisait pas, l'UE, l'Union Européenne, emboîte le pas aux États-Unis. Dans un Congo où l'extérieur compte et, en premier, les États-Unis d'Amérique, devant quelle situation se trouve désormais l'ancien président de la Commission Électorale Nationale Indépendante, CÉNI alors qu'un procès contre lui est ouvert à la Cour militaire de Kinshasa ? L'AFC et, par ricochet, le M23, sont-ils sous la cendre ?
Il avait longtemps été un expert électoral avant d'embrayer, sous une forte crise politique, sur le poste de président de la CÉNI, la Commission Électorale Nationale Indépendante. Il venait de succéder à l'un de ses mentors, l'abbé Apollinaire Malu Malu Muholongu, décédé le 30 juin 2016 à Dallas, aux États-Unis, où il avait été admis pour des soins.
Malu Malu avait pu placer, comme enseignant, Corneille Nangaa Yobeluo à son école électorale, ÉFÉAC, l'École de Formation Électorale en Afrique Centrale. Cet homme de fer, au visage faussement affable, donnait l'image d'un fonctionnaire correct. Il était pourtant à la tête d'un immense empire financier après des opérations de corruption intervenues lors des processus électoraux.
Il s'est ainsi lancé dans diverses activités, s'est saisi des carrés miniers, s'est spécialisé dans l'extraction de l'or, s'est approprié des centaines d'hectares de terre, a commencé à investir dans l'agriculture, etc. En avait-il fait trop ? Selon des informations non vérifiées, l'une de ses mines lui fut ravie sans que l'on ne sache pourquoi.
L'homme a, peu après, développé des ambitions illogiques, cherchant à être nommé Premier ministre.
«UNE COQUILLE VIDE».
Comment organiser une élection, à ses yeux, dans la transparence totale, proclamer, à l'issue de cette élection, un vainqueur et chercher à être nommé, sans suspicion, n° 2 de ce vainqueur ? Que des démarches effectuées, en pleine journée, par Nangaa Yobeluo parfois dissuadé, mais qu'importe !
Il lance par la suite un parti politique, ADCP, l'Action pour la Dignité du Congo et de son Peuple, avec l'ambition affirmée de concourir à la présidence de la République. L’ADCP a comme objectif de « mettre en place, des petits projets, des nano projets, des micros et des grands projets, avec l’accent sur l’agriculture, avec toute la chaîne de valeurs», explique Nangaa, fin-février 2023, devant les médias. Avec quatre objectifs clés : « La refondation de l’État, faire de la RDC une zone de libre-échange, booster l’économie nationale, et notre slogan est démocratiser la nourriture. Au-delà des soins, éduquons nos enfants mais formons aussi l’homme congolais. Dernier objectif : la recherche des ressources naturelles et surtout de l’environnement.
Les quatre valeurs sur lesquelles nous fondons notre objectif ? Le travail, le patriotisme civisme, l’humilité des faibles, la question de l’unité et de la cohésion nationale ». Va-t-il connaître des déceptions ou des mauvais traitements qui le poussent à rallier les groupes armés en créant, mi-décembre 2023, à Nairobi, au Kenya, un groupe armé AFC, Alliance Fleuve Congo, où il apparaît, pour la première fois, avec des dirigeants du M23, groupe armé porté par le Rwanda?
Le M23 est « une coquille vide », n'a de cesse de dire, sur tous les théâtres, le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Ajoutant: «Sans le Rwanda».
En optant de parler du M23, Kinshasa estime l'AFC ne pas valoir un pet de lapin. Que seraient en effet ces rébellions sans le Rwanda, sans Paul Kagame dont les forces armées, RDF, selon tous les rapports onusiens documentés, sont au Congo en nombre, entre 3.000 et 4.000 hommes ? Outre un arsenal militaire de haute technologie inédit au Congo.
Mais voilà que jeudi 25 juillet, Washington passe à la vitesse supérieure.
«Aujourd’hui, les États-Unis ont imposé des sanctions à l’Alliance Fleuve Congo, une coalition de groupes armés, ainsi qu’à des personnes et des entités associées à l’AFC, notamment Bertrand Bisimwa, le président du M23, Twirwaneho, un groupe armé affilié à l’AFC dans la province du Sud-Kivu, et Charles Sematama, un commandant et chef militaire adjoint de Twirwaneho. En outre, Corneille Nangaa, qui a fondé l’AFC avec les dirigeants du M23, est l’objet d’une nouvelle désignation et est soumis à des sanctions supplémentaires», écrit sur son compte X (ex-Twitter) l'ambassadeure des États-Unis à Kinshasa, Mme Lucy Tamlyn.
Elle poursuit : «L’AFC perpétue l’instabilité politique et un conflit meurtrier en exacerbant une crise humanitaire dans l’Est de la RDC. Les États-Unis s’engagent à tenir pour responsables ceux qui menacent la paix, la sécurité ou la stabilité de la RDC. Nous condamnons l'AFC et ses membres, dont le M23, qui alimentent un conflit sanglant et exacerbent la crise humanitaire dans l'Est de la RDC ».
À Washington, dans un communiqué, le sous-secrétaire américain au Trésor en charge du terrorisme et du renseignement financier, Brian Nelson, écrit: « Les décisions prises aujourd'hui viennent renforcer notre volonté de rendre responsables ceux qui cherchent l'instabilité perpétuelle, la violence et à blesser des civils afin d'atteindre leur but politique ».
Comme si cela ne suffisait pas, le lendemain 26 juillet (en fait le même jour avec le décalage horaire), l'Union Européenne par le Conseil Européen, emboîte le pas aux États-Unis en annonçant les mêmes sanctions contre Nangaa, le chef d'«un mouvement politico-militaire créé au Kenya mais opérant à l'Est de la RDC, actuellement lié avec plusieurs groupes armés non gouvernementaux incluant le M23/ARC».
Avec Nangaa, l'UE sanctionne d'autres individus, le secrétaire exécutif du M23, Benjamin Mbonimpa, le général de brigade Justin Gacheri Musanga, le commandant et le commandant adjoint des FDLR, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda-Forces combattantes Abacunguzi, Gustave Kubwayo et Pierre Célestin Rurakabijem, mais aussi un chef militaire rwandais, le colonel Augustin Migabo, de la RDF.
NE PAS SE FAIRE ÉCLABOUSSER.
Les M23 et les FDLR-FOCA entretiennent le conflit à l'Est de la RDC, déclare l'UE qui les tient pour « responsables de graves violations des droits de l'homme, notamment de meurtres, de violences sexuelles et d'attaques contre des civils, ainsi que du recrutement d'enfants » en les accusant aussi «d'obstructions électorales». Ces derniers, écrit le communiqué, sont soumis à une interdiction de voyager dans les pays du Schengen et au gel de leurs avoirs. De même, l'UE interdit aux citoyens et aux entreprises de l’Union Européenne de mettre des fonds à la disposition de Nangaa et d'autres personnes frappées par les sanctions.
Au vu de ces sanctions et de leurs conséquences, Nangaa n'a pas attendu le lendemain pour réagir. Dans un long texte, sur son compte X, il s'est adressé au «Peuple congolais», disant que « son bonheur ne dépend que de (lui-même)» et «qu'il est temps qu'il s'assume une bonne fois pour toutes. Ni sanctions illégitimes, ni procès kafkaien ne nous ébranleront dans notre noble lutte de redressement national»! « En tant que citoyens congolais, poursuit Nangaa, rien et alors rien ne nous arrêtera dans cette lutte constitutionnelle noble de libération du Peuple congolais sur pied de l'article 64 de notre Constitution. C’est notre droit en tant que Congolais! La lutte continue. Notre terminal, c’est Kinshasa. Nous y parviendrons. Ingeta ».
Deux passages de cette réaction du chef rebelle qui en disent long : « Ceux qui proclament des sanctions à grand renfort médiatique contre nous, ne commettent-ils pas la même erreur que leurs aïeux qui ont livré injustement notre premier Héros national Patrice Lumumba à la mort sur base de la préservation d'intérêts géopolitiques discutables ?
Une Nation de grande démocratie dont nous estimons le statut de médiateur dans la crise en cours entre l’AFC et le régime de Kinshasa par le biais de deux trêves successives, ne pouvait pas, si abruptement, altérer sa précieuse vocation internationale de promotrice de la paix et de la stabilité mondiale notamment au sein de sa permanence au Conseil de Sécurité de l'ONU par l'utilisation d'outils unilatéraux de politique étrangère décriés par l'ensemble du Sud Global qui représente la majorité mondiale et même ses partenaires occidentaux, qui ont accéléré une fragmentation mondiale dommageable entre l'Occident et le Reste. Il est temps de recadrer le tir pour une communauté mondiale apaisée».
Tout est clair. Il pleut désormais abondamment sur Corneille Nangaa Yobeluo.
Dans un pays et une région où l'extérieur pèse si fort, on ne voit pas comment l'ancien président de la centrale électorale congolaise pourrait se tirer de cette étape outre ce procès ouvert à la Cour militaire de Kinshasa qui pourrait aboutir sur un mandat d'arrêt international. Même son mentor Paul Kagame déjà sous fortes pressions n'a logiquement qu'une réaction désormais: s'en éloigner au plus vite pour que, tant que faire se peut, et, le moins que l'on puisse dire, éviter de se faire trop éclabousser. Nul doute, Nangaa est dans des sales draps.