- jeu, 29/05/2025 - 10:04
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1637 | LUNDI 26 MAI 2025.
Certes, qui ne le sait depuis la nuit des temps ? La justice élève une Nation.
« Mais le péché est la honte des peuples. Magnifique verset dont la justesse est prouvée par l’histoire de tous les temps. Ce qui rend une nation grande et illustre, ce sont les principes de justice, d’équité, de droiture qui président à son gouvernement, inspirent ses magistrats, sont appliqués dans les rapports internationaux. La puissance militaire peut être brisée ; l’éclat d’une brillante civilisation peut être terni par les abus qui résultent de cette civilisation même. L’idéal de justice et d’honneur est le bien suprême, le fondement qui doit être fermement maintenu. Il sera une sauvegarde dans les jours de grande prospérité, un puissant levier dans les époques de lutte et d’épreuves nationales ».
Que le Congo ait foi en cela. Ces principes inspirent le respect pas forcément en l'instance trouble comme c'est le cas. L'Histoire est la seule juge.
Trois cas en lien avec la justice qu'il faut analyser en toute objectivité et en toute responsabilité devant l'Histoire.
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Une phrase qui traverse l'Histoire, que partagent le monde et les politiques. Celle de l’homme politique français Jean-Pierre Chevènement, élu et réélu au national et au local, plusieurs fois ministre sous le président François Mitterrand. « Un ministre, ça la ferme ou ça s'en va ». Plus clair : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne ».
Pour la discipline, la loyauté et la cohésion dans l'action gouvernementale, un ministre, face à des sujets controversés ou sensibles, est appelé à se taire. Il ne saurait les commenter publiquement. Il doit respecter la ligne gouvernementale et ne pas exprimer d'opinions qui pourraient créer des divisions ou nuire à l'image du gouvernement. S'il estime qu'il ne peut se taire ou qu'il désapprouve fondamentalement la politique du gouvernement, il doit démissionner plutôt que de rester au sein du gouvernement et de violer la discipline gouvernementale. Jean-Pierre Chevènement a eu nombre de fois recours à ce sacro-saint principe de discipline et de loyauté qui fait d'un ministre, qui gère les affaires de la Nation, un Homme d'État.
Que n'a-t-on pas vu ou entendu de Constant Mutamba Tungunga ? Nommé le 29 mai 2024 ministre d'État, ministre de la Justice, Garde des Sceaux dans le Gouvernement Suminwa, son nom n'est pas prononcé lors de la lecture publique de l'ordonnance présidentielle. Le 11 juin, dans son discours d'investiture devant l’Assemblée nationale, la Première ministre oublie de reprendre le nom de ce plus jeune ministre de 35 ans. C'est le Président de l'Assemblée nationale, en reprenant la parole, qui rappelle avec élégance la Première ministre. Incident bénin ? Deux signes déjà !
Dans ce même Palais du Peuple rempli comme un œuf, lors d'un discours solennel devant le Président de la République, le ministre se vante de l'adhésion hors normes ayant entouré son entrée dans l’équipe gouvernementale. Et fait part d'attaques dont il est l'objet avant de conclure que sans le soutien personnel du Chef de l'État, « il y a longtemps (qu'il aurait) remis (sa) démission ». Si quelques applaudissements résonnent dans une salle archicomble, les autorités de l’État sont sans voix. En septembre, le ministre assure avoir échappé à une tentative d'empoisonnement par des substances toxiques trouvées dans son bureau. Il effectue un séjour médical en Turquie.
Face à cet immeuble du Palais du Peuple construit par les Chinois sous Mobutu se dresse un autre immense complexe immobilier chinois. C'est là qu'intervient un énième incident.
L’ULTIME RECOURS.
Devant 5000 étudiants réunis lors d’une manifestation organisée le 3 mars 2025 par l’IGF, l'Inspection Générale des Finances, devant ses collègues ministres, devant la Première ministre qui préside l’événement, Mutamba déclare haut et fort : « Je sens l’odeur de détournements dans cette salle (…). Il est possible de distinguer sans tricher. Si tu es patriote, tu ne peux pas détourner les soldes pour les militaires ».
Le ministre accuse-t-il pas sa Cheffe du Gouvernement ? Pointe-t-il du doigt ses collègues du Gouvernement présents dans la salle ? Cela n’envoie-t-il pas à du populisme ? Que de cas semblables systématiquement vécus dans le passé ? Que penser de cette loi inviolable édictée par Jean-Pierre Chevènement qui assure la nécessaire cohésion dans un gouvernement, à savoir, « un ministre, ça la ferme ou ça s'en va » ?
Outrée, la Cheffe du Gouvernement se lève de son siège, avance vers le même lutrin, s'adresse au public en ces termes : « Sentez-vous l'odeur de détournement dans cette salle ? ». Humiliée, elle poursuit : « Vous pouvez demander à ceux qui me connaissent. Depuis l’école primaire, je n’ai jamais triché ». Puis : « Le ministre d’État à la Justice vient d’affirmer qu’il perçoit une odeur de détournement dans cette salle. Partagez-vous cette perception ? Pendant que nous sommes ici, est-ce qu’un parfum de malversation semble flotter parmi vous ? Est-ce que c’est normal ? On ne peut jamais sentir l’odeur du détournement ici ».
Dans l'exercice de ses fonctions, celle qui est la première femme à diriger un gouvernement dans notre pays doit compter nombre de blessures qui impactent sur la perception que le public a de l’action d'une équipe qui aurait dû plus que jamais bétonner la cohésion.
Quid de la guerre qui éclate, dès le lendemain de sa prise de fonctions entre le ministre Mutamba et les magistrats, qui se disputent les prérogatives ? Le ministre de la Justice avait-il voulu punir l'un d'eux ? En novembre 2024, il annonce l'ouverture d'une enquête sur l'acquisition d'un bien immobilier évalué à 900.000 euros, en Belgique, l’ancienne puissance coloniale, par l'un des plus prestigieux magistrats du pays. Dressé dans ce conflit face au ministre, le Procureur Général près la Cour de Cassation Firmin Mvonde Mambu est contraint de brandir dans les médias les preuves d'un prêt négocié dans une banque.
Le 21 mai 2025, le Procureur Général Firmin Mvonde Mambu demande à l'Assemblée nationale une autorisation de poursuites judiciaires contre le ministre Mutamba qui aurait détourné 19 millions de $US dans le cadre d'un projet de construction d'une prison dans la ville de Kisangani, dans la province de la Tshopo. Le ministre n'aurait pas suivi la procédure légale pour ce marché. Que dire de ce proverbe français, « à malin malin et demi » ? Dans la vie, il existe quelqu'un de plus intelligent que soi...
Venons-en à Augustin Matata Ponyo Mapon. Celui qui fut ministre des Finances (19 février 2010-18 avril 2012) de Joseph Kabila, puis le Premier ministre du même Kabila (9 mai 2012-17 novembre 2016) est poursuivi dans plusieurs affaires dont les plus connues sont celles du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo avec plus de 200 millions de $US partis en l’air et de l'indemnisation des victimes de la zaïrianisation. Mais le très puissant Matata use de nombre de dilatoires, invoque l’inconstitutionnalité des poursuites, argue la maladie, fait traîner l’affaire, la fait passer d’une cour à une autre, fait croire, à l’aide de son team d’avocats, en tête Me Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, Professeur Émérite, Doyen Honoraire de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa, Avocat près la Cour de Cassation et le Conseil d'État, qu’aucune cour dans le pays ne pouvait juger un ancien Premier ministre. Le législateur congolais avait-il imaginé qu'il existait un homme sur terre qui ne serait jamais poursuivi par aucune cour congolaise ? Même si une telle présentation - une telle thèse, une telle défense - pour un avocat, n'est jamais gratuite et qu'elle se paie cash, et vaut plusieurs millions de $US quand le client pèse lourd comme c'est le cas, et même si l'avocat par principe n'est jamais payé pour dire la vérité, pour ses convictions mais pour soutenir par le verbe, la verve, son client, que laisse-t-on à l'Histoire, à la Vérité quand ailleurs, en France, aux États-Unis, en Corée (du Sud), etc., des Dirigeants (en place ou ex) sont déférés devant des tribunaux, entendus, condamnés ou lavés, le législateur congolais aurait-il été si plaisantin pour fabriquer quoi qu'il en coûte « l'homme libre éternel » ?
Le 20 mai 2025, la plus haute Cour du pays, la Cour Constitutionnelle, le condamne à dix ans de travaux forcés dans le projet Bukanga-Lonzo. Avec des peines complémentaires : interdiction pour 5 ans, après exécution de la peine principale, du droit de vote et du droit d'éligibilité ; interdiction d'accès aux fonctions publiques et para-étatiques, quel qu'en soit l'échelon ; privation du droit à la condamnation et à la libération conditionnelle et à la réhabilitation.
Difficile de ne pas citer un texte du Professeur pénaliste Sam Bokolombe Batuli.
« On est nommé Premier ministre pour servir la République au mieux des intérêts du peuple mais pas pour détourner les deniers publics pour le bien exclusif de sa province, de son terroir ou de sa fratrie. Au-delà de la brute délinquance, c’est de la confusion morale, sinon carrément de la dissolution morale. (...) Celui qui tue, par pitié ou par amour, est autant puni que celui qui vole ou détourne pour investir dans son terroir pour le bien des siens. Il faut mettre fin à cette tendance insidieuse d’inventer une cause de justification pénale en matière de détournement de deniers publics par effet corporatiste. Au plan axiologique, le détournement de deniers publics est une atteinte à l’ordre public. Il doit être condamné dans l’absolu par impératif moral catégorique. L’acte de détournement est objectivement gravissime et ne saurait bénéficier d’aucune cause de justification ou d’exonération pénale quelconque. (...) L’auteur d’un détournement doit être couvert d’infamie, d’opprobre, d’indignité, et non applaudi et célébré tel un héros dans un quelconque aéropage ou dans l’opinion ».
Quid du Sénateur à vie, l'ancien Président de la République Joseph Kabila Kabange ? Celui qui, depuis 2019, après la remise et reprise « civilisée » avec son successeur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, avait quasiment quitté le pays pour s’installer à l’étranger, et suivre ses études, n'avait jamais ouvert la bouche, l'a ouverte le 23 mai 2025 au lendemain de la levée de ses immunités par la Chambre Haute du Parlement à la demande de l'Auditeur Général des Forces Armées Congolaises. La justice militaire veut ouvrir une action contre lui. Elle le soupçonne de collusion avec les rebelles pro-rwandais de l'AFC/M23 qui occupent deux des plus importantes villes du pays, Goma et Bukavu outre des localités qui abritent des minerais rares et menacent d’en prendre d’autre. Une prise de parole annoncée sur les réseaux sociaux par ses communicants comme un événement majeur, un tournant dans la crise que connaît le Congo depuis trente ans.
Que retenir de ce long discours enregistré depuis un lieu inconnu, diffusé et suivi en direct par des millions de gens dans le monde, sur des chaînes de télévision, de radio, sur YouTube, sur des plateformes numériques, distribué à des médias pour marquer l’Histoire ? L’ancien président de la République a décidé de passer désormais publiquement à la vitesse supérieure. Il dénonce « l’ivresse du pouvoir » de Kinshasa, « la dérive autoritaire », « la concentration excessive du pouvoir », « le cynisme », « la tyrannie », « le tribalisme », « des décisions arbitraires », « l’abdication générale des responsabilités constitutionnelles », « l’effondrement généralisé au plan économique », annonce son retour au pays « dans les prochains jours » et se dit « prêt à assumer ses responsabilités devant le peuple ». Sur les intentions de l’ancien président, il n’y a plus désormais aucun doute...
Le 17 août 2018 à Windhoek, en Namibie, l’alors président avait fait un discours devant ses pairs de la SADC, la Communauté des États d'Afrique Australe, qui le pressent comme jamais de quitter le pouvoir en désignant un dauphin. Il termine son discours par ces mots : « Comme je n'aime pas les adieux, je préfère vous dire à bientôt ». Veut-il être Sassou Nguesso qui, par la guerre civile, reprit le fauteuil à Brazzaville après avoir renversé en 1997 son successeur, le professeur Pascal Lissouba, élu démocratiquement ? Se présenter le 23 mai 2025 comme l'ultime recours en recourant à la guerre quand il a toujours rêvé de retrouver son fauteuil présidentiel, est-ce crédible au lendemain d'un vote à bulletin secret à la quasi unanimité exprimé dans une Chambre parlementaire au sein de laquelle l'ancien Président Kabila compte d'anciens collaborateurs qui massivement l’ont quitté en rejoignant le nouveau pouvoir ? Quand autour du plus grand pays du monde en potentiel, tout avance, comment le Congo et le monde voient cela ?
Le lendemain 24 mai, à mon réveil, je poste un texte sur mon compte Twitter (X) @kkmtry : « Plutôt que de faire une énième guerre à son pays, malgré son « à bientôt » de Windhoek en 2018 dit à ses pairs, j’attendais de l’ex-Président une énorme surprise le rapprochant du chemin de la nécessaire paix voulue par @POTUS qui marquerait l’Histoire. Malédiction ou abomination ? »