- lun, 30/05/2016 - 03:00
Des avocats droitsdelhommistes nient à la presse liberté d’investigation et d’analyse.
Le Soft International ne reçoit jamais (presque) de droit de réponse, signe de la qualité de ses articles, donc de ses sources. Mais voici qu’au moment de donner le bon à tirer de cette livraison (n°1360, datée lundi 30 mai), cinq pages de texte nous tombent signées d’avocats droitsdel’hommistes notoires: un conseiller d’Etienne Tshisekedi (le bâtonnier Jean-Joseph Mukendi wa Mulumba), un des quatre anciens Vice-présidents de la République (régime 1+4) en charge de la Défense et de questions juridiques (Me Azarias Ruberwa Manywa), etc.
Mandatés par l’ex-gouverneur du Katanga, candidat déclaré Président de la République et par l’ex-US Marine dont ils défendent le sort (inculpés par la justice congolaise pour atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat) et par le «frère ainé» du candidat déclaré à la Présidentielle, dont ils veulent justifier «l’origine de la fortune»?
Si ces juristes veulent administrer un cours de Droit au Soft International, ils invoquent le «principe sacro-saint du caractère secret de l’instruction préliminaire» mais se trompent de sujet sauf à observer une posture.
Un journaliste n’est tenu que par le sacro-saint principe de la protection de ses sources. Nul, en démocratie (Mukendi est membre d’un parti Union pour la... Démocratie et Ruberwa président du Rassemblement congolais pour la... Démocratie!), ne peut le contraindre à leur dévoilement. Jamais, sauf sous la dictature, un journaliste n’est astreint au secret de l’instruction. Quant aux analyses et conclusions libres du Soft International, le journal est surpris que ces avocats s’en offusquent. En attendant de lire nos commentaires sur le fond en page suivante,
secret de l’instruction petit florilège:
- En France, c’est l’article 11 du code de procédure pénale qui définit ce délit: Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète». Tous les actes contenus dans les dossiers d’enquête et d’instruction d’une affaire pénale (procès-verbaux d’audition, rapports d’expertises, enquêtes de personnalité, etc.) sont couverts par le secret de l’instruction.
- Ce secret est censé remplir une double fonction:
- Assurer la sécurité des témoins et des victimes et préserver l’efficacité des investigations en cours, qui risquerait d’être entachée par la diffusion de certaines pièces du dossier.
- Garantir la présomption d’innocence et, partant, un procès équitable pour la personne mise en cause.
- Mais le secret de l’instruction et de l’enquête ne s’impose qu’aux personnes qui concourent à la procédure: magistrats, greffiers, policiers, gendarmes, experts, interprètes… Et, depuis peu, aux personnes mises en cause. Quant aux avocats, ils sont tenus de respecter des règles déontologiques très strictes et ils ne peuvent écorner le secret de l’instruction que dans l’exercice des droits de la défense.
- Par le biais du recel ou de la complicité, les foudres de la loi peuvent cependant toucher n’importe qui. Au premier chef le journaliste.
-Mais pour que l’infraction soit constituée, l’enquêteur doit établir que cette information émane d’une personne qui concourt à la procédure, et non d’un intermédiaire.
-À la différence du collier de perles qui passe d’une main à l’autre, pour ce délit, le recel en cascade n’existe pas.
-Aucune investigation ne sera effectuée en partant du journaliste ou de l’organe de presse, mais l’auteur de la fuite pourra être recherché par tout autre moyen, notamment une enquête interne.
- Souvent violé, le secret de l’instruction est souvent qualifié de «secret de Polichinelle». Nicolas Sarkozy est visé par une enquête pour violation du secret de l’instruction en marge de l’affaire Karachi.
-Le 22 septembre 2011, l’Élysée avait diffusé un communiqué affirmant que «s’agissant de l’affaire dite de Karachi (…) le nom du chef de l’État n’apparaît dans aucun des éléments du dossier. Il n’a été cité par aucun témoin ou acteur de ce dossier (…). Cela apparaît dans les pièces de la procédure». Pour l’avocat des familles de victimes de l’attentat de Karachi, ce communiqué sous-entend que l’Élysée avait eu accès à l’instruction en cours, censée rester secrète, et divulgué des informations confidentielles.
-Le 18 juin 2012, il dépose plainte pour «violation du secret de l’enquête et de l’instruction» et «violation du secret professionnel».
Selon une information du journal Le Monde (10 janvier 2013), trois juges ont instruit cette plainte.
Le secret de l’instruction est en dissonance avec la liberté d’information qui est toutefois limitée par la présomption d’innocence qui justifie le secret de l’instruction.
- Nombre de personnes pensent que cette notion de secret n’est plus synchrone avec notre époque et qu’elle devrait être supprimée. Le débat n’est pas nouveau…
Le principe avait été aboli après la Révolution française, mais il a été rétabli par le code d’instruction criminelle de 1808: la phase d’enquête est secrète, la phase de jugement publique.
- Dans un monde qui laissent proliférer des lanceurs d’alerte, il serait intéressant de savoir de quel camp se réclament ces avocats.