La Majorité interpelée
  • lun, 30/04/2018 - 05:13

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Défier l’avenir pour ne pas être réduit à le redouter.
Appelons un chat un chat. Il y va de la responsabilité historique d’un média. Dire que la Majorité Présidentielle ne s’est pas engourdie dans la léthargie si elle n’a pas fait un plongeon dans la torpeur (qu’elle ne s’interroge point sur son devenir plus que jamais désormais, ne s’inquiète point sur son avenir) serait se mentir à soi-même…
Trop d’événements inexpliqués, parfois contradictoires, s’enchevêtrent ces dernières semaines.
Des élections partielles ont lieu dans l’ex-Equateur, dans l’ex-province Orientale, dans l’ex-Bandundu (Kwilu, Kwango), dans le Maniema. Si le corps électoral affiche une appartenance publique à la Majorité Présidentielle, les assemblées délibérantes tiennent la dragée haute à la Majorité Présidentielle! Les investitures mal opérées auraient été contestées... Possible! Mais la réalité pourrait être autre. A-t-on maintenu les troupes en place? La cohésion interne est-elle comprise unanimement de la même manière?
La transhumance est légalement prohibée. Mais pourquoi laisse-t-on les élus aller et venir, se donner libre cours au plus offrant, sans sévir en encourageant au contraire l’opération actant du coup l’illégalité? Et on se surprend que ceux qui ont racheté des députés au sortir des centres de compilation de la fameuse CENI du duo Ngoy Mulunda-Jacques Djoli, en Cour Suprême ou ont retourné des députés après leur proclamation, se prévalent de leur «poids politique» et réclament le toit du pouvoir!

On peut se morfondre des écarts de celui-ci ou de celui-là, les traiter de traîtres, on a laissé se fabriquer ces chiens méchants en leur en donnant les armes. Il semble qu’en politique, la traîtrise n’existe pas, nous explique ce conseiller politique respecté, ancien président du conseil de surveillance du Monde, Alain Minc, parlant d’Emmanuel Macron.
Point de vue loin d’être partagé par François Hollande phagocyté par les siens ou coupable de n’avoir anticipé le coulement de boue. En Afrique, c’est pareil. En Angola avec Dos Santos, au Zimbabwe avec Mugabe, en Afrique du Sud! Mais Sassou, Museveni, Kagame, Ali, Faure, Bouteflika ont réussi l’échappée. Des élus désertent les travées des plénières et cela dure des mois voire des années mais voilà qu’aucun article du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ne leur est opposé pour les radier et faire régner l’ordre républicain! On peut invoquer le souci de… cohésion nationale sauf que quand ils sèchent les plénières, ces élus envahissent des amphis anti-Congo, prêchent contre leur propre système!

«ON VOUS ECOUTERA MOINS...».
Des Congolais critiquent Paul Kagame mais quand au Congo des églises bloquent les avenues, Paul Kagame en ferme 6.000 dans son pays, exige à chaque chef religieux, un diplôme de théologie, appelle à «arrêter de jouer avec la foi de la population pour en faire un business». A-t-on entendu quel média du monde lui jeter la première pierre? Kagame est pourtant et partout célébré pour son modèle réussi.
L’hypothèse du retour du corps du Sphinx saluée, est perçue comme un message d’apaisement politique et de cohésion nationale sauf que c’est comme au jeu de société de qui perd gagne avec ses règles inversées puisque le surlendemain c’est par la bouche du fils du Sphinx que la réponse tombe prenant à rebours foule et partisans à la Place Sainte Thérèse à N’Djili. Surprenant!
Il est un questionnement: comment exiger retour du Sphinx et obsèques comme préalable, éloigner de celles-ci un «traitre illégitime Premier ministre», rejeter hypothèse de prendre la Primature et ne pas renvoyer aux calendes congolaises ce retour au pays… Certes, des noms de restitution sont balancés. Car l’UDPS n’est pas Félix… Par bonheur!
On ne s’empêche de regarder cette Histoire qui nous rattrape. Tel ce jour de septembre 1991 quand Mobutu, après concertation, nomme père Tshisekedi premier ministre tout en faisant assiéger par ses jeunes la fenêtre du Sphinx pour l’empêcher d’accepter la nomination! Sous cette pression de ses soi-disant partisans ou pris dans le piège, le Sphinx repousse la nomination! Sauf qu’il n’est pas évident que Kabila ait mal vu à la Primature l’arrivée du fils Tshisekedi. Il semble que dans les allées du Pouvoir, cette perspective n’ait pas été très populaire…
Quant au père, il sera nommé Premier ministre deux fois de plus. Sans succès…
Un livre que je recommande autour de moi est celui de Edouard Balladur, homme de droite, ancien premier ministre français de cohabitation sous le président François Mitterrand, homme de gauche. «Le pouvoir ne se partage pas. Conversations avec François Mitterrand» (Paris, Fayard, 2009).
Résumé de cet immense ouvrage: «De 1993 à 1995, François Mitterrand, président de la République, et Edouard Balladur, Premier ministre, ont eu ensemble de très nombreuses conversations. Celles-ci, rapportées pour la première fois, permettent de comprendre comment, dans une situation exceptionnelle et incommode de partage du pouvoir, fut assurée la direction de l’Etat, quels furent les ressorts de l’action gouvernementale, l’explication du comportement de ses différents acteurs. Conscients de leurs divergences, les deux interlocuteurs tantôt se ménagent, tantôt s’opposent. Ils collaborent lorsque l’intérêt du pays l’exige sans oublier jamais qui ils sont ni ce qu’ils veulent. Ces conversations révèlent les relations personnelles entre les deux hommes qui, placés à la tête du pays, étaient de convictions et d’intérêts opposés. La complexité de ces relations où la méfiance alterne avec la confiance, où les arrière-pensées affleurent à la surface des propos, éclaire un pan de l’histoire récente de la France».
Je relis avec plaisir ces phrases sorties de la bouche de Mitterrand, dites à Balladur:
- «On vous écoutera moins si l’on ne vous craint pas. Vous devez vous décider à bâtir autour de vous une organisation pour peser sur les décisions. Moi, en mon temps, j’ai bâti l’UDSR: nous n’étions pas une vingtaine de députés, mais souvent les majorités dépendaient de nous».
- «Et puis, je n’accepterais aucun compromis avec mes convictions, je n’aime guère les marchandages ».
- Gardez-vous intact et ne faites pas comme Giscard d’Estaing, candidat à tout».
Ce fut leur ultime rencontre. Mitterrand s’éteindra quelques semaines plus tard…
T. KIN-KIEY MULUMBA.

«Il nous faut défier l’avenir si l’on ne veut pas être réduit à le redouter».
C’est le Joséphiste du plus pur style qui conduit désormais la Grande coalition au pouvoir dans le pays. Augustin Katumba Mwanke, 44 ans (né à Pweto, Katanga), le 5 octobre 1963, père de trois enfants, tous des filles, a donc été nommé par le Chef de l’État Joseph Kabila Kabange - «l’Autorité Morale de l’AMP» - pour diriger la structure politico-administrative de l’Alliance. L’AMP est formée des deux composantes: d’une part, des partis politiques au nombre d’une trentaine dont treize représentés dans les Chambres parlementaires nationales par au moins trois membres et qui siègent au Comité Politique et, de l’autre, des Personnalités Politiques Indépendantes, élues et non élues, celles élues ont un siège à la Conférence des Membres et certaines de ces Personnalités, ont été nommées intuite personnae par le Chef de l’État au Comité Politique.
Ingénieur Mécanicien diplômé de l’Université de Kinshasa, le nouveau Chef de l’AMP a débuté sa vie dans la banque - de là, son image d’homme de l’ombre - mais c’est surtout un homme de terrain qui a évolué dans le secteur minier en Afrique du sud. I1 débarque un jour à Kinshasa où il prend un poste de conseitler financier au ministère. des Finances quand l’AFDL s’installe au pouvoir à Kinshasa. Il a alors pour ministre Mawapanga Mwanananga. Au départ de celui-ci, Tala Ngai, le nouveau pnesionnaire le reconduit dans ses fonctions.
Le jeune Conseiller est vite remarqué par le «Mzee» Laurent-Désiré Kabila qui le nomme gouverneur du Katanga mais Augustin Katumba Mwanke traîne à accepter le poste, faisant montre de réserve vis-à-vis de la politique et se demande s’il ne doit pas repartir en Afrique du Sud, assuré d’une carrière dans les mines. C’est le «Mzee» qui finalement l’y pousse, expliquent au «Soft International» des proches.

CAPACITE D’ANTICIPATION.
À la mort du Chef de l’État, son fils Joseph Kabila Kabange, le fait revenir à Kinshasa où il fait de lui son ministre à la Présidence en charge du Portefeuille de l’État. Katumba Mwanke devient plus tard ambassadeur itinérant puis secrétaire général du Gouvernement à l’annonce du régime 1+4 à l’avènement duquel il a joué pleinement notamment lors du Dialogue inter-congolais de Sun City, Afrique du Sud. Cité avec tant d’autres dans un rapport onusien fort controversé du nom de Kassem - comme cela arrive lorsque des fonctionnaires internationaux se contentent de déclarations de périphérie ou de gens qui ont intérêt à noircir d’autres (on parle de mandataires démis de leurs fonctions pour indélicatesse) - Katumba accepte de se mettre à l’écart de toute vie publique.
Il connaît ainsi sa traversée du désert.
Il reste quatre ans loin de toute fonction politique officielle avant d’être élu Député national PPRD de la circonscription électorale de Lubumbahi. En réalité, «l’Ambassadeur» - ainsi que ses proches l’appellent affectueusement - est l’initiateur d’une Dynamique D05 (Dynamique 2005) qui, dans l’ombre, organise des brainstorming sessions et prépare les échéances électorales. C’est cette D05 qui est le QG de ténors des personnalités proches de Joseph Kabila Kabange, l’antichambre de la future AMP alors Alliance électorale pour la conquête de l’une majorité en faveur du Chef de l’État en fonction, Joseph Kabila Kabange. Le but de cette AMP alors coordonnée par l’ancien ministre des Finances André-Philippe Futa, consiste à préparer et à gagner les échéances électorales.
L’AMP se fait alors un point d’honneur: faire élire son candidat Joseph Kabila Kabange dès le premier tour, sinon, au second tour. Au lendemain de ces scrutins et d’autres batailles politiques tout aussi épiques, notamment dans les Chambres législatives, cette AMP peut dire: «mission accomplie». Elle a donc passé le témoin à une «AMP, restructurée» ou AMP nouvelle formule portée sur les fonts baptismaux lors de la réunion du resto l’Étoile du GHK. Depuis, on attendait que l’Autorité Morale» en désigne les animateurs. C’est chose faite désormais. S’il est effacé et «peu bavard» - comme il se décrit lui-même, Augustin Katumba Mwanke est en revanche un organisateur de premier ordre, qui déploie une force de caractère, une capacité d’écoute, de synthèse et d’anticipation.
C’est André-Philippe Futa, le Coordonnateur qui déclare: «Au départ de l’AMP, j’avais de bonnes raisons de m’inquiéter. L’AMP était alors un conglomérat de personnalités de diverses expériences. À l’arrivée, vous me voyez tout en joie: nous sommes désormais un bloc soudé, structuré. L’Autorité Morale a choisi chacun de nous par rapport à sa compétence, à sa qualité, à son expérience. Le sentimentalisme n’a pas eu place dans ces nominations. Nous avons désormais toute la force morale pour servir le pays, dans le sens de l’intérêt général». L’Alliance majoritaire se lance un défi à elle-même: garder le pouvoir. Pour cela, répondre aux attentes des Concitoyens. C’est encore Futa qui le dit: «Il nous faut inventer notre système. Il nous faut inventer les hommes et les femmes de ce pays. C’est la seule façon de gagner». Avant de poursuivre: «Nul ne peut exclure quiconque de nulle part. Exclure est la négation de la réconciliation». C’est Duhamel qui écrit: «il faut défier l’avenir si l’on ne veut pas être réduit à le redouter».
D. DADEI.
Titre initial:
l’AMP se défie
Le Soft International n°928, daté
12 novembre 2007.


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