- ven, 17/06/2016 - 00:41
Ci-après la présentation tant attendue de l’ambassadeur, Me Norbert Nkulu Mitumba Kilombo.
1. Sens et portée de l’arrêt du 11 mai 2016 de la Cour Constitutionnelle en matière d’interprétation.
- L’article 161 de la Constitution permet au Président de la République, au Gouvernement, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée nationale, à un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, aux Gouverneurs de province et aux Présidents des Assemblées provinciales d’introduire devant la Cour constitutionnelle un recours en interprétation de la Constitution.
- Plus de 250 députés ont saisi la Cour pour solliciter l’interprétation de l’article 70 alinéa 2 en combinaison, d’une part avec les articles 103, 105 et 197 de la Constitution et d’autre part avec les articles 75 et 76 de la même Constitution.
- Par son arrêt du 11 mai 2016, la Cour a dit que l’art. 70 al. 2 permet au Président de la République actuellement en exercice de rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu en vertu du principe de la continuité de l’Etat. En outre, la Cour a dit que bien que d’une durée de cinq ans renouvelable, le mandat des députés nationaux, sénateurs et députés provinciaux ne prend fin qu’à l’installation d’une nouvelle Assemblée nationale, d’un nouveau Sénat ou d’une nouvelle Assemblée provinciale, en vertu du même principe continuité de l’Etat, également traduit par les alinéas 2 des articles 103 et 105 ainsi que l’al. 6 de l’article 197 de la Constitution. La Cour a ensuite précisé que les articles 75 et 76 de la Constitution règlent le cas de vacance de la Présidence de la République intervenant en cours de mandat pour cause de décès, démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif du Président de la République, les articles 75 et 76 n’étant pas applicables lorsqu’il s’agit de la fin normale du mandat de cinq ans. Enfin, la Cour a indiqué que la vacance de la Présidence de la République nécessite l’intervention de la Cour constitutionnelle qui en fait la déclaration, sur saisine du Gouvernement.
Il ressort ainsi de la décision de la Cour que les élus du peuple, à savoir le Président de la République, les députés nationaux et provinciaux, les Sénateurs, les Gouverneurs de province, les Conseillers urbains, les Conseillers communaux, les Conseillers de secteur et de chefferie, les Maires, les Bourgmestres et les Chefs de secteur ne cessent d’exercer leur fonction qu’à l’installation effective de leurs successeurs élus. En ce qui concerne particulièrement le Président de la République, la Cour s’est notamment appuyée sur le rapport de la Commission politique, administrative et juridique de l’Assemblée nationale relatif à l’avant-projet de la Constitution qui, à la page 27, précise qu’un deuxième alinéa a été ajouté à l’article 70 pour que le Président de la République sortant puisse rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu afin d’éviter le vide institutionnel. Il convient de dire qu’en statuant de la sorte, la Cour n’a ni révisé l’article 70 de la Constitution ni conféré un troisième mandat au Président de la République, ni violé l’article 220 de la Constitution qui souligne le nombre et la durée des mandats du Président de la République.
C’est comme pour les Sénateurs, les Députés provinciaux et les
Gouverneur de province qui ne sont qu’à leur premier mandat qui a commencé en 2007 tandis que le Président poursuit son deuxième mandat et non le troisième mandat en restant en fonction après le 19 décembre 2016.
2. Fin du mandat présidentiel au 19 décembre 2016 et vacance au sommet de l’Etat.
Comme l’a si bien rappelé la Cour constitutionnelle, la vacance de la
présidence de la République ne peut être déclarée par un individu ou groupe d’individus, quels qu’ils soient, majorité ou opposition politique ou société civile.
A cette fin, la procédure est initiée par le Gouvernement réuni de toute urgence en Conseil des Ministres dès la survenance de l’une des causes prévues par la Constitution et l’article 84 de la loi du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
La Cour déclare la vacance de la Présidence de la République qui peut résulter soit du décès ou de la démission du Président de la République soit de toute autre cause d’empêchement définitif, telle que la maladie, la captivité, la destitution par la Cour constitutionnelle à la suite d’une condamnation pénale.
Il y a lieu de préciser que l’article 84 précité dispose qu’il y a empêchement définitif lorsque le Président de la République se trouve dans l’impossibilité absolue d’exercer personnellement les fonctions qui lui sont dévolues par la Constitution et par les lois de la République.
L’arrêt de la Cour précise bien que la vacance de la présidence de la République renvoie à l’hypothèse où la fonction présidentielle reste sans titulaire à la suite de certains événements qui surviennent en cours de mandat et non pas l’hypothèse de fin de mandat.Il convient donc de ne pas confondre les deux hypothèses qui entraînent des conséquences différentes.
En conclusion, la fin du mandat présidentiel au 19 décembre 2016 n’entraîne ni vide juridique ni vide institutionnel, encore moins la vacance au sommet de l’Etat.
3. Délai constitutionnel prévu par l’article 73 de la Constitution.
Aux termes de l’article 73 de la Constitution, le scrutin pour l’élection du
Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice.
C’est cette disposition qui permet aux acteurs politiques d’invoquer un délai constitutionnel pour l’élection présidentielle. Il ne revient à personne de contester ce délai mais les opinions divergent en ce qui concerne les conséquences politiques et juridiques lorsque ce délai n’est pas respecté ou lorsque l’élection présidentielle n’est pas organisée dans le respect de ce délai. Une fraction de l’opposition politique prétend, sans se référer à aucun principe de droit ni à aucune disposition constitutionnelle ou légale, que la non tenue des élections dans ce délai entraîne la vacance de la présidence de la République. Cette thèse est insoutenable au regard des prescriptions légales et constitutionnelles.
A titre d’exemple prescriptions de la loi électorale.
Aux termes de l’article 27 de la loi électorale, les juridictions appelées à statuer sur le contentieux des candidatures disposent de sept jours pour
rendre leurs décisions. Passé ce délai, le recours est réputé fondé et le requérant rentre dans ses droits.
L’article 78 de la loi électorale dispose que l’élu qui fait l’objet de l’une des incompatibilités visées à l’article 77 doit opter, dans les huit jours de la validation de mandat, entre son mandat et les autres fonctions qu’il exerce. A défaut de se prononcer dans le délai fixé, il est présumé avoir renoncé à son mandat. Il ressort de ces dispositions que la loi elle-même a indiqué les conséquences à tirer lorsque le délai qu’elle prescrit n’est pas respecté. Aux termes de l’article 74 de la loi électorale, le délai d’examen du contentieux de l’élection présidentielle est de sept jours à compter de la saisine de la Cour constitutionnelle, celui du contentieux des élections législatives, provinciales, urbaines, communales et locales est de deux mois à compter de la saisine des juridictions compétentes. Ici la loi est muette quant aux conséquences à tirer si le délai pour statuer n’est pas respecté.
Cela signifie qu’il appartient à la loi elle-même d’indiquer les conséquences à tirer lorsque le délai prescrit n’est pas respecté. Cela échappe donc à la compétence d’un individu ou d’un groupe d’individus de tirer des conséquences que la loi n’a pas indiquées.
A titre d’exemple, prescriptions constitutionnelles.
Ce qui est dit ci-dessus concernant la loi, s’applique également à la Constitution. Aux termes de l’article 99 de la Constitution, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial. Faute de cette déclaration, endéans les trente jours, la personne concernée est réputée démissionnaire.
Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas.
L’article 112 de la Constitution dispose qu’avant d’être mis en application, le règlement intérieur est obligatoirement transmis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur sa conformité à la Constitution dans un délai de quinze jours. Passé ce délai, le règlement intérieur est réputé conforme.
L’article 120 dispose qu’avant d’être mis en application, le règlement intérieur du Congrès est communiqué à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur sa conformité dans un délai de 15 jours. Passé ce délai, le règlement intérieur est réputé conforme. L’article 130, alinéa 3 dispose que les propositions de loi sont, avant délibération et adoption, notifiées pour information au Gouvernement qui adresse, dans les quinze jours suivant leur transmission, ses observations éventuelles au bureau de l’une ou l’autre chambre. Passé ce délai, ces propositions de loi sont mises en délibération.
L’article 139, in fine: La loi ne peut être promulguée que si elle a été déclarée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle qui se prononce dans les trente jours de sa saisine. Passé ces délais, la loi est réputée conforme à la Constitution.
Article 140 alinéa 2: Le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours. A défaut de promulgation de la loi par le Président de la République dans les délais constitutionnels, la promulgation est de droit. Article 144: L’état d’urgence ou l’état de siège peut être proclamé sur tout ou partie du territoire de la République pour une durée de trente jours.
L’ordonnance proclamant l’état d’urgence ou l’état de siège cesse de plein droit de produire ses effets après l’expiration du délai prévu ci-haut…
Article 126, alinéa 7 et 8: Si quinze jours avant la fin de la session budgétaire, le Gouvernement n’a pas déposé son projet de budget, il est réputé démissionnaire. Dans le cas où l’Assemblée nationale et le Sénat ne se prononcent pas dans les quinze jours sur l’ouverture des crédits provisoires, les dispositions du projet prévoyant ces crédits sont mises en vigueur par le Président de la République sur proposition du Gouvernement délibérée en conseil des ministres. La revue de ces dispositions constitutionnelles révèle que la Constitution
a prescrit ce qui advient lorsque le délai n’est pas respecté ou est arrivé à l’échéance.
Par contre d’autres dispositions restent muettes quant à ce qui pourrait advenir en cas de non-respect du délai constitutionnel.
A titre d’exemple:
Article 114: chaque Chambre du Parlement se réunit de plein droit en session extraordinaire le quinzième jour suivant la proclamation des résultats législatives.
Qu’adviendrait-il si la session ne commence pas le quinzième jour?
Est-ce à dire que la session qui commencerait après le quinzième jour serait nulle ou irrégulière? Non, la Constitution n’ayant stipulé aucune sanction.
Article 126, alinéa 3: Le projet de loi de Finances de l’année, qui comprend notamment le budget, est déposé par le Gouvernement au Bureau de l’Assemblée nationale, au plus tard le quinze septembre de chaque année.La pratique montre qu’à ce jour, aucun gouvernement n’a déposé le budget le quinze septembre. Cela n’empêche pas l’examen du budget et son adoption par le Parlement, la Constitution n’ayant prévu aucune suite en cas de non respect du délai constitutionnel.
La lecture de l’article 73 qui prévoit un délai constitutionnel montre que la Constitution est muette quant aux conséquences de la non organisation des élections endéans ce délai. En tous les cas, elle n’a prévu ni la vacance ni la démission d’office ou de plein droit du Président de la République. Elle n’a pas stipulé que le Président est réputé démissionnaire à l’issue de ce délai et en cas de la non convocation du scrutin pour l’élection présidentielle.
En conclusion:
1. Il y aura ni vide juridique ni vide institutionnel ni vacance au sommet de l’Etat ni Président intérimaire, au lendemain du 19 décembre 2016, le Président Kabila exerçant la plénitude des pouvoirs présidentiels jusqu’à l’installation effective de celui qui sera élu pour le remplacer, à l’exemple des sénateurs, des députés provinciaux et des gouverneurs de province.
2. Cette prorogation exceptionnelle mais constitutionnelle ne constitue pas un troisième mandat pour le Président de la République ni un deuxième mandat pour les Sénateurs, pour les députés provinciaux et les Gouverneurs de province .
Telle est la volonté du peuple souverain exprimée lors du référendum par l’adoption de la Constitution du 18 février 2006, c’est cela le pacte républicain, c’est cela le pacte social qui lie les dirigeants au peuple congolais.
ME NORBERT NKULU KILOMBO.