- mer, 29/05/2024 - 13:18
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1610|MERCREDI 29 MAI 2024.
Il est de retour. Avec les accords de CACH signés à Nairobi en avril 2020, il avait rêvé d'être le Premier ministre du pays, le Chef du Gouvernement de la République. Après la proclamation le 9 janvier 2024 par la Cour constitutionnelle de la victoire de son candidat Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, il a ça en tête. Il a plus que ça désormais. Trônant au perchoir depuis le 22 mai 2024 après 371 voix sur 407 et 36 bulletins nuls, Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi retrouve le marteau qu'il y a quinze ans, un mercredi 25 mars 2009, Joseph Kabila l'avait contraint d'abandonner. On peut tout reprocher à cet homme qui a vécu le meilleur et le pire, il a beau soulever toutes les réactions quand il apparaît, VK reste un homme incroyablement exceptionnel.
Il avait tout, il suffisait de…
J’ai rencontré Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi Nkingi pour la première fois en 2002 à Sun City. Dans cette magnifique cité touristique d’Afrique du Sud se tient le Dialogue inter-congolais. Kamerhe, un homme de contacts et de réseaux. Un homme captivant. Un vrai séducteur.
L’assassinat à Kinshasa le 16 janvier 2001 du président Laurent-Désiré Kabila change tout au Congo. (...)
Commandant en chef de l’armée de terre, son fils, Joseph, âgé de trente ans, est choisi pour succéder à son père. Les proches du défunt le présentent comme le seul homme à même d’assurer le consensus et de trouver le compromis.
Joseph Kabila annonce des mesures qui vont dans le sens de ce qu’attend l’Occident rejoint par la sous-région : libéralisation de la circulation des devises, loi sur les investissements, abolition des prérogatives de la très redoutée Cour d’ordre militaire dans le domaine des affaires civiles, libre fonctionnement des partis politiques, ouverture du dialogue inter-congolais avec la levée des obstacles à la mission de l’ancien président botswanais Ketumile Masire désigné médiateur par l’Union Africaine, etc. (...).
À ce dialogue, le professeur Guillaume Samba Kaputo, docteur en science politique qui, sous Mobutu, a été plusieurs fois gouverneur dans plusieurs provinces et ministre, passe pour le plus qualifié des Katangais qui entourent le jeune président.
Il forme avec Kamerhe, un duo de rêve à la tête de la délégation gouvernementale. Samba Kaputo est conseiller spécial du président en matière de sécurité. Commissaire général adjoint du gouvernement chargé des relations avec la mission onusienne MONUC, puis commissaire général du gouvernement chargé du suivi du processus de paix dans la région des Grands lacs, Kamerhe est dans son rôle à Sun City. Il se fait appeler « l’attaquant de base et de pointe » pour sa virulence contre une délégation de la rébellion du RCD-Goma déplorable. (...).
Kamerhe qui a, depuis, pris le nom de «Le pacificateur», est à l’œuvre même si certains lui refusent cette appellation. Lui qui, pour être, pour rester, pour perdurer, a nargué tout. Lui qui a livré les batailles les plus féroces.
Même contre ce Rwanda, pays qu’il connaît le mieux, dont il se dit le plus proche, dont il parle la langue, qu’il a retrouvé le 13 mars 2019 après la victoire à la présidentielle de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Lui qui est revenu à Kigali le 26 mars 2019 aux côtés du Président de la République. Toujours avec la même chaleur.
Augustin Katumba Mwanke avait prédit un destin funeste à Kamerhe. Un destin qui paraît tant hanter cet homme.
Samedi 20 juin 2020, à la chambre foraine de la prison centrale de Makala, un jugement est tombé : vingt ans de travaux forcés, dix ans de non-éligibilité après l’accomplissement de la première peine. Au total : une peine de trente ans. Outre la confiscation des fonds et des biens meubles... Une catastrophe ! Comment cet homme en est-il arrivé là, lui qui a tout été, a fait tant rêver ? Comment en est-il arrivé à cet exploit ? Il y a certainement une opinion pour contester le verdict, croire à un procès politique.
Augustin Katumba Mwanke avait eu l’honneur, me dit-il, de me recevoir en tête-à-tête deux fois. Deux jours d’affilée. Une première fois à son minuscule bureau officiel de deux bâtiments qui furent des salles de classe désaffectées d’une concession privée de Procoki cédée à l’AMP, l’Alliance de la Majorité Présidentielle. Quatre heures durant. Une seconde fois, le lendemain, à quelques encablures de Procoki, à nouveau quatre heures durant, dans une autre minuscule pièce qui lui servait de bureau dans une petite bâtisse contiguë de son habitation, non loin de la Jewels International School of Kinshasa, l’école indienne de Kinshasa.
La première fois, le tout puissant « Vice-président de la République » sinon «le Président de la République en personne» - comme l’appellent les chancelleries - vissé dans un fauteuil quelconque, fond en larmes quand il évoque la mort de Guillaume Samba Kaputo en août 2007. Une mort survenue en Afrique du Sud, officiellement, des suites d’un arrêt cardiaque. Puis, il m’annonce sa décision de quitter son poste de Secrétaire exécutif de la Majorité Présidentielle.
« Je n’en peux plus avec ces traîtres » qui siègent au Bureau politique de l’AMP, me dit cet homme trop puissant mais aussi trop détesté au point où quand il perd la vie, en février 2012, dans un mystérieux crash aérien survenu à l’atterrissage du jet privé, sur la piste de Kavumu, à Bukavu, au Sud-Kivu, à bord duquel il avait pris place, ses amis ne veulent pas laisser son corps passer une nuit à Kinshasa. (...).
Le jour de la rencontre dans la concession de Procoki, Katumba Mwanke m’explique que la politique ç’en était fini pour lui. Que désormais, il avait décidé de consacrer sa vie à protéger « le Chef, le Raïs ». Il ne voulait plus se mêler des hommes politiques (...).
Pendant des tours de passe-passe, Kamerhe qui avait co-présidé la délégation gouvernementale à Sun City, avait dû se retrouver de justesse dans ce partage contraint de se contenter d’un maroquin de bas niveau, le ministère de l’Information et de la Presse qu’un ancien journaliste de radio résidant en Afrique du Sud, Barnabé Kikaya Karubi, avait sportivement accepté de céder. (...).
Je l’écoutais longuement, longtemps, sans réagir sauf pour dire à cet homme de petite taille, physiquement frêle, qui s’asseyait sur la dernière rangée de l’hémicycle, que nombre de ses collègues à l’Assemblée nationale ne connaissaient pas tellement qu’il n’avait jamais pris la parole une seule fois, et qui n’attire pas de regard quand il est dans les travées, que s’il voulait «vraiment protéger le Président», il n’avait pas à quitter son poste de Secrétaire général du Bureau politique de la Majorité Présidentielle, une structure qui enferme de grosses pointures susceptibles de faire mal.
Au contraire, il devait garder ce poste, travailler en interne à changer ceux qui y siègent, faire bouger les lignes de sympathie auprès de ce cercle et auprès des Congolais qui ne connaissaient pas son Chef.
Katumba Mwanke ne m’avait pas entendu. Il ne se passa pas une semaine qu’il officialisait son départ. L’annonce en fut faite un jour de décembre 2009 par son adjoint, un homme aux ordres, un Mobutiste repenti, Louis Alphonse Koyagialo Ngbase te Gerengbo qu’il désignait à sa succession mais dont l’avenir politique sera trop étrangement bref. (...).
Co-fondateur du parti présidentiel PPRD dont il fut le premier Secrétaire général de l’histoire, Kabila lui confie en 2006 la direction de sa campagne présidentielle. Au lendemain du triomphe électoral, Kamerhe se voit tout refuser mais parvient à enlever la présidence de l’Assemblée nationale par un vote massif des députés du PPRD et des opposants.
Poussé à la porte de sortie trois ans plus tard par ses camarades du PPRD pour avoir critiqué l’appel fait par Kabila aux troupes rwandaises de venir au Congo se battre aux côtés des forces loyalistes contre des mouvements armés, Kamerhe se maintient à son poste trois mois durant mais doit abandonner son marteau quand ses co-équipiers s’éloignent de lui et démissionnent en bloc.
S’il broie du noir, Kamerhe organise son rebond. Il crée une année plus tard en décembre 2010 son propre parti politique, UNC, l’Union pour la Nation Congolaise, avant de se porter candidat à la Présidentielle du 28 novembre 2011. Les chiffres officiels de la Commission électorale nationale indépendante lui accordent 7,74 % des voix. Résultat dont il est fier. (...).
Quand le régime Kabila fait face à une crise politique sans précédent et prépare un « glissement » de mandat, Kamerhe prend la tête d’un groupe de personnalités de l’opposition qui participe en septembre et en octobre 2016 à un énième dialogue, celui de la Cité de l’Union Africaine boycotté par toutes les têtes couronnées de l’opposition occupées à une grande rencontre qui ouvre ses travaux en juin 2016 à Genval dans une banlieue cossue de Bruxelles.
Kamerhe s’était laissé convaincre par le médiateur de l’Union Africaine, le Togolais Edem Kodjo que Kabila lui donnerait la direction du Gouvernement qui en sera issu mais ce poste va à l’un des membres de sa délégation.
Le 17 novembre 2016, l’ex-UDPS Samy Badibanga Ntita a été nommé Premier ministre contre toute attente. Kamerhe est effondré. Littéralement !
Mais la crise perdure et, face à son ampleur, les évêques catholiques ayant activement saisi la rue, réclament un plus large consensus... Très fortement contesté par l’opposition, Kamerhe monte néanmoins en puissance, rallie le dialogue des ecclésiastiques.
Le dialogue du Centre inter-diocésain qu’a rejoint le Rassemblement de Genval qui donne lieu à l’Accord de la Saint-Sylvestre. Mais, à nouveau, le 18 mai 2017, Kamerhe loupe la primature. (...).
La forteresse ne s’ouvre pas pour Kamerhe même s’il entretient de bonnes relations avec des membres de la famille biologique du président.
Mais qui a dit que les carottes peuvent être cuites? Certes, les carottes peuvent être cuites, elles ne le sont néanmoins pas pour tout le monde. En tout cas pas pour des acteurs de trempe.
Car voilà qu’une présidentielle se prépare fiévreusement et que tous «aujourd’hui plus que jamais», font bloc contre Kabila. Fayulu, Bemba sorti de prison à La Haye, Katumbi Chapwe, etc. Ces deux derniers interdits de course par une CÉNI aux ordres. Katumbi fut très proche de Katumba. Il n’a pas oublié Kamerhe. (...)
Tryphon Kin-kiey Mulumba,
Une Histoire du Congo, de Mobutu à Tshisekedi.