- mar, 29/10/2024 - 11:30
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1622|MARDI 29 OCTOBRE 2024.
La nouvelle aérogare redonne vie à l'ex-troisième ville du Congo.
Dans une autre vie, elle était citée comme la troisième ville de l'ex-Zaïre. Kisangani, Stanleyville jusqu'en 1966, Stanleystad pour les Néerlandophones, cette ville qui possède des sœurs aux États-Unis - Stanleytown en Virginie, Stanleyville en Caroline du Nord - et Stanleyville, une localité au Canada oubliée dans le parc national du Gros-Morne, a été déclassée de son rang par la ville de Goma au Nord-Kivu et, très bientôt, par celle de Bunia, en Ituri, deux provinces en guerre. Mais l'espoir renaît à Kisangani avec l'Aéroport International de Bangoka (Bangboka) dont la nouvelle aérogare et la piste refaites ont été officiellement ouvertes samedi 26 octobre par le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo en présence de personnalités politiques locales et nationales, notamment des membres du Gouvernement et les mandataires de la Régie des Voies Aériennes-Société Anonyme.
Il faut le dire d'entrée de jeu : rien aujourd'hui à Kisangani ne ressemble à ce que fut Kisangani hier. Il faut le dire sans hésitation : ce qui fut la troisième ville de l'ex-Zaïre ne l'est plus désormais.
On a beau circuler dans les rues et avenues de l'ex-Stanleyville, nulle part, à proprement parler, un immeuble neuf, nulle part une brique qui élève un mur, nulle part un hôtel correct. Tout ici comme développement est à l’arrêt.
Toute image que donne cet ancien poste colonial fondé en décembre 1883, sur l'île «Wana Rusari», par Henry Morton Stanley, longtemps appelé «Poste des StanleyFalls» ou les «Falls» ou «Boyoma», qui connût tous les conflits armés, est des années colonisation mais jamais restaurée, au contraire, totalement délabrée. Si rues et avenues en terre jaune tiennent, l'ex-Stanleyville le doit à la plate ville qu’elle est au point qu'aucune érosion ne survient même si Kisangani reçoit un déluge de pluie comme ce matin de samedi 26 octobre 2024, jour de l'inauguration de la nouvelle aérogare et de la nouvelle piste de l’Aéroport International de Kisangani Bangboka.
LA FAUTE À L'ÉTAT ?
Kisangani, ville tracée par «le majestueux fleuve Congo» dont le port est introuvable et où des pirogues bondées et des baléinières qui ressemblent à des véhicules funéraires se déplacent dangereusement jour et nuit.
La route en terre battue qui mène à l’aéroport n'offre pas une autre image sinon celle des habitations et des habitants qui rappellent des villages de l’arrière-pays.
Aucun doute, l'ex-Stanleyville a cessé d'être la troisième ville du pays. Kisangani d'aujourd'hui n'a rien ni de Kolwezi, ville minière d’aujourd’hui et de demain dans le lointain Lualaba qui se construit jour après jour, ni de Goma, l’autre ville minière toute proche, ville des ONG internationales au Nord-Kivu qui, malgré des coulées de lave qui l'ont noirci, élève immeubles et tours qui font penser à une ville de l'Occident, ni, de Bunia, dans l’Ituri, ville du Nord-Est qui, hier, fit partie d'une même province avec Kisangani.
Le démembrement des provinces intervenu le 11 juillet 2015, édicté par l’article 2 de la Constitution du 18 février 2006, considéré comme un programme de développement qui vit la Province Orientale se scinder en quatre provinces (Haut-Uele, Bas-Uele, l'Ituri et La Tshopo), explique-t-il le sort d’une Tshopo donnée à tort comme démunie économiquement? Certes, il y a aussi le Bas-Uelé.
Mais que peuvent nombre de nos provinces se trouvant dans la même situation pour qu'un jour elles se relèvent ? La nouvelle aérogare de Bangboka et sa piste, inaugurées samedi 26 octobre par le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, arrive comme une chance pour Kisangani cité comme un hub naturel.
Le Vice-Premier ministre en charge des Transports, Voies de Communication et Désenclavement Jean-Pierre Bemba Gombo l'a déclaré dans son discours ce 26 octobre.
« La réhabilitation des chaussées aéronautiques et du terminal passagers de l’Aéroport International de Kisangani Bangboka qui a commencé en 2017, en ce qui concerne l’aérogare et en 2021, s’agissant de la piste, résulte de la seule volonté du président de la République, dans sa vision de doter notre pays, des aéroports modernes et répondant aux normes de sécurité internationale (...).
La piste de cet aéroport a une longueur de 3500 m (...) et peut accueillir 300 passagers en heure de pointe avec ses 6 guichets. Cet aéroport a pour vocation d’accueillir plus de vols internationaux».
Mais comment rêver développement par le tourisme quand n'existe aucun attrait? Question adressée au pouvoir local et à l'État central si l'on veut éviter que cette infrastructure ne devienne un jour en éléphant blanc.
Sur la nouvelle territorialisation congolaise découlant de l’article 2 de la Constitution du 18 février 2006 et considérée comme un programme de développement, il existe un texte du chercheur Étienne Ngoie, de l'Université Pédagogique Nationale, UPN.
Pour ce chercheur, «la mise en œuvre (de cet article 2, ndlr) n’a pas encore apporté aux provinces les conditions nécessaires de production de richesses, comme en Inde, permettant de remplacer la planification centrale de l’État ».
Ci-après :
Deux raisons expliquent cette situation : la voracité du pouvoir central et la mauvaise gouvernance économique et financière. La voie de la réussite recommande aux dirigeants des provinces d’user, avec la participation de la base, d’imagination créatrice, notamment pour planifier à moyen et long terme les objectifs de production pour satisfaire les besoins. Tous les acteurs du territoire émettent le besoin de renouveau territorial par la réorganisation des provinces, en dépit de l’absence de volonté politique et de culture démocratique chez certains, qu’il faut dépasser pour gagner la bataille de la régénération.
En quatre points ci-dessous, nous avons tenté de construire l’essentiel de la présente réflexion :
– la permanence de la technique de découpage territorial auquel le Congo recourt toujours pour résoudre des tensions politiques, ainsi que sa nouvelle logique ;
– le rapprochement des administrés en direction de l’administration provinciale, pour rendre tangible la présence de l’État ;
– le poids des contraintes et pesanteurs de tout ordre liées à la création de nouvelles provinces;
– le découpage territorial comme outil du développement du territoire national.
Tout au long de son existence politique, le Congo s’est appuyé sur des découpages du territoire pour organiser sa territorialisation. En 1924, le système colonial belge créa 4 grandes provinces pour mieux contrôler la mobilité des personnes : Équateur, Province orientale, Congo-Kasaï et Katanga. À la suite de la crise mondiale, en 1933, le nombre des provinces est passé à 6, reprenant les noms de leurs chefs-lieux respectifs : Coquilhatville, Stanleyville, Costermansville, Lusambo, Élisabethville et Léopolville.
Près de quinze ans après, toutes sauf une changent de noms (Équateur, Province orientale, Kivu, Kasaï, Katanga et Léopolville), jusqu’à l’indépendance du Congo en 1960, moment où elles jouissent enfin d’une autonomie politique. Pour résoudre le chaos de la guerre civile faisant suite à l’indépendance, 21 provinces furent créées en 1963, puis fusionnèrent trois ans après en 8 provinces, alors que tout le pays subit de nouvelles dénominations : le Congo devient Zaïre, et les provinces des régions. Puis, dans l’optique d’un redécoupage en 1988, le gouvernement a retenu la province du Kivu à titre expérimental en la découpant en 3 provinces : Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu. À cette époque, le Congo compte alors onze provinces (de Saint-Moulin, 1992).
En 1997, l’avènement de Laurent Kabila restaure quelques dénominations d’avant 1970 ; le Zaïre redevient Congo et les régions, des provinces. La reprise de la guerre a désintégré le pays de 1998 à 2003 ; des pans entiers de territoires sont tombés sous contrôle de groupes militaires locaux et étrangers, ainsi que de troupes régulières du Rwanda, de l’Ouganda, voire du Burundi.
La RDC tentait alors d’exister, mais elle était un vaste espace divisé en plusieurs administrations. Afin d’instaurer une paix durable et stable, elle opta pour une nouvelle réforme qu’elle inscrit dans la recherche d’un nouvel équilibre et d’un consensus national avec un partage plus consensuel des ressources, tout en préservant l’intégrité du pays.
Aux termes de l’article 2 de la Constitution du 18 février 2006, le Congo comprend la ville de Kinshasa, sa capitale, et 25 provinces. Cette nouvelle législation fait de la province une composante politique et administrative du territoire, dotée d’une personnalité juridique et gérée par des organes locaux : l’assemblée provinciale, élue au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, est l’organe délibérant ; le gouvernement provincial est l’organe exécutif.
Le gouverneur et le vice- gouverneur sont élus pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois par les députés provinciaux, au sein ou en dehors de l’assemblée provinciale ; ils sont investis par ordonnance du président de la République (Vundwawe, 2009). Pour fixer la composition, l’organisation et le fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’État et les provinces, la loi organique sur la décentralisation est promulguée en 2008 (op. cit.).
Dans cette perspective, les provinces peuvent créer des services publics provinciaux et locaux. Le transfert des compétences voulu par la constitution se traduit par des dispositions financières sous forme de rétrocession de 40 % des recettes à caractère national (Mabi, 2009). Comme on le voit, cette réforme a opéré dans le texte un réel transfert des compétences, des charges et ressources au profit des provinces et entités territoriales décentralisées.
En dépit du suffrage du peuple requis lors du référendum de 2005, la réforme relative au découpage territorial s’est réalisée en son absence. Pourtant, par essence, la décentralisation met la population au centre du processus par son implication active (Raogo, 2001). Sous cet angle, l’objectif de cette réforme est le développement du pays à partir de sa base grâce entre autres au rapprochement des administrés en direction de l’Administration, par une meilleure division du travail entre pouvoir central et pouvoirs provincial et local, ainsi qu’une répartition équitable des ressources du pays, entre le pouvoir central et le pouvoir local, d’une part, et entre les provinces suivant les principes de leur capacité contributive et de la solidarité, d’autre part (Muzito, 2015b).
Pour y parvenir de façon efficace, la population doit s’approprier la réforme pour veiller à ce que cet esprit de décentralisation soit respecté et que les dispositions juridiques formelles reflètent ses préoccupations et les réalités dans lesquelles elle vit. Il lui est ainsi nécessaire d’acquérir un certain nombre de compétences et d’aptitudes, notamment une bonne compréhension des textes relatifs à la décentralisation et une bonne lecture des enjeux pour participer et intervenir efficacement au niveau local dans les processus de prise de décisions qui les concernent.
La population doit être convaincue qu’elle est une pièce maîtresse et doit exiger des collectivités qu’elles lui rendent compte de la gestion des affaires locales. Cependant, la pauvreté et l’analphabétisme qui sévissent au Congo freinent la participation active de sa population et, en conséquence, son accès à une information de qualité (CTAD, 2013). Là où elle existe, elle apparaît en effet souvent tintée de discours partisans. En raison du niveau de pauvreté actuel, la population, qui perçoit les principes de la gouvernance démocratique comme essentiels à l’expression de ses initia- tives, veut que des mesures concrètes susceptibles de résoudre ses problèmes quotidiens soient réellement mises en œuvre (op. cit.).
Le processus d’installation des nouvelles provinces et celui de leurs autorités vient d’être engagé, mais le pays est pauvre, souffrant d’un taux de chômage de 70 %, d’un grand déficit en infrastructures de base, sans budget d’État. Elle devait pourtant orga- niser les élections provinciales courant 2015 (Muzito, 2015b), alors que, d’après une certaine opinion, le tribalisme y est fort présent. À cet égard, le démembrement vient plus poser des problèmes qu’il n’en résout.
Les 11 anciennes provinces ne disposaient pas de cadre légal pour le recrutement et la carrière de leur personnel au sein de la fonction publique provinciale ou locale et ont fonctionné sans caisse de péréquation nécessaire pour le financement des investissements à faible capacité fiscale contributive. En matière du transfert des pouvoirs, elles étaient privées des pouvoirs politiques et administratifs pourtant dévolus par la Constitution. Elles dépendaient du personnel des services déconcentrés de l’État même pour les domaines relevant de leur compétence exclusive.
Sur la rétrocession de 40 % des recettes à caractère national, montant inscrit au budget de l’État chaque année et dû aux provinces, elles n’en recevaient en moyenne que 10 % (Muzito, 2015a). Comme on le voit, les anciennes provinces, à l’origine des nouvelles, sont porteuses de faiblesses sur tous les plans. Ainsi, cet héritage n’a pu leur permettre ni de faire fonctionner leurs institutions sur l’année 2015, ni de rémunérer leurs personnels.
La plupart ne disposent pas d’un minimum d’unités économiques pour leur développement du fait de l’absence de réseaux routiers d’intégration locale, provinciale et nationale, de dessertes agricoles, d’unités d’adduction d’eau, de centrales hydroélectriques et de réseaux bancaires. Certaines ont hérité de groupes rebelles alors que d’autres sont occupées par une seule et même tribu (Ngoie, 2014). Quel peut alors y être le sort de ressortissants d’autres provinces ou d’autres tribus qui y vivent ?
Ce tableau présente un État en faillite, dans lequel les provinces nouvellement créées sont elles aussi en faillite avant même leur naissance. Cette situation tient au fait que la précipitation et l’improvisation avec lesquelles le gouvernement les met en place démontrent qu’il a nettement l’intention de les maintenir dans un système de gestion centralisée des pouvoirs par l’accaparement de leurs ressources et le non-transfert de leurs compétences exclusives. Pour ce faire, elles méritent le qualificatif de « coquilles vides » (Muzito, 2015a) qui leur sont accolés.
Est-il toujours opportun pour le Congo de passer à 26 provinces ? La réponse est oui à condition que le gouvernement crée une nouvelle vision, gage d’un transfert réel des pouvoirs et des ressources au profit de ces provinces et de leurs entités territoriales décentralisées.
Dans cette perspective, il est appelé, à travers l’exercice 2016, à budgétiser au profit des provinces, et à leur verser, en plus des 40 % de la rétrocession, 10 % des fonds de péréquation pour leur permettre de financer leur installation, avant la mise en place effective de la caisse nationale de péréquation. L’État doit ensuite s’engager à leur verser désormais la totalité des crédits liés aux investissements provinciaux en vue d’améliorer leurs ressources et de renforcer leurs capacités d’intervention concernant les investissements de proximité en matière agricole et social et d’infrastructure routière (Muzito, 2015a).
Enfin, il doit procéder à la mise en place rapide de la caisse de péréquation, pour tenter de corriger les déséquilibres qui caractérisent aujourd’hui la répartition du revenu national. Les dirigeants des nouvelles provinces doivent proposer des alternatives intégrant la mise en place des programmes appropriés et associer les populations au processus de recherche de solutions (Ngoie, 2014). Par ailleurs, la régénération des provinces démembrées peut aussi passer par le biais de l’entreprise privée.
Cette formule est aujourd’hui d’usage dans la politique urbaine partout dans le monde, dans le cadre de contrats que le secteur public passe avec le secteur privé (op. cit.). Les autorités des nouvelles provinces, en partenariat avec les capitaux privés, peuvent créer des infrastructures économiques et sociales de base et des axes routiers d’intégration intra et interprovinciale, indispensables pour la création d’un marché intérieur et son ouverture aux investisseurs étrangers.
Le découpage territorial des nouvelles provinces est une réponse du Congo au défi d’une politique territoriale de développement fondée sur la gouvernance participative. Il ouvre la porte à de multiples opportunités d’investissement dans tous les secteurs au regard du potentiel naturel congolais. Cependant, il ne produira d’effets que s’il existe, comme en Bolivie, une meilleure adéquation entre pouvoir provincial et central.
ÉTIENNE NGOIE.
Université Pédagogique Nationale.