Cet index de Félix Tshisekedi fait trembler ou l'opération Mani Pulite congolaise
  • mar, 14/04/2020 - 18:27

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
MARDI 14 AVRIL 2020.

Deuxième doigt situé entre le pouce et le majeur, l’index est le doigt le plus sollicité de tous nos doigts de la main et certainement le plus expressif. Il sert à cliquer sur la souris du portable, à exprimer une négation, à insister sur une instruction impérative…

Caractéristique de l’homme intransigeant, le Sphinx Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui usa sans désemparer de ce doigt semant la panique sous Mobutu, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo dont le corps porte le sang de son père, recourt à l’index pour annoncer des mesures impératives.

Ce doigt qui fait trembler aujourd’hui classe politique et opérateurs économiques congolais mouillés dans la corruption rappelle le Mani Pulite quand le Procureur général du Parquet général de la Cour d’appel de Kinshasa-Matete Alder Kisula Betika Yeye renvoie au Procureur italien Antonio Di Pietro des années 90.

Bling-bling, le Belge Thierry Taeymans ôte son identité à la première banque commerciale du Congo Rawbank.
Rawbank se trouve au cœur de la saga judiciaire qui frappe le plus haut sommet du pouvoir congolais. Dans le scandale «Vital Kamerhe» qui a vu le Directeur de cabinet du président de la République Félix Tshisekedi finir en prison comme plusieurs autres officiels et dirigeants d’entreprises publiques et privées citées, la première banque commerciale du Congo est accusée d'avoir notamment aidé à faire disparaître US$ 47 millions en les payant en espèces à un candidat prestataire... d'origine libanaise.

«TRES SEXY, TRES VENDEUR AU CONGO…».
Mars 2019. Thierry Taeymans est aux anges. Le banquier belge est sur le toit de la banque au Congo. Pour la cinquième année consécutive, la banque qu’il dirige depuis sa création en 2002 surclasse toutes les banques commerciales du pays.

«Pour la 5ème année consécutive, le magazine américain Global Finance désigne la Rawbank meilleure banque de la République Démocratique du Congo. Félicitations à toutes nos équipes!», écrit le D-G sur son compte Tweeter dont il n’est pas très friand.

Le 13 mars, le prestigieux magazine américain Global Finance a dévoilé son 25ème classement des meilleures banques du monde par région et pays en 2019.

Dans la catégorie «meilleure banque africaine», la congolaise Rawbank a été consacrée meilleure banque de la République Démocratique du Congo pour la cinquième année consécutive.

Selon des chiffres fournis par ce magazine, avec 25% de parts de marché dans le pays et 440.000 clients pour un bilan de US$ 1,37 milliard en 2017 et une progression au même rythme en 2018 (en attendant la publication des résultats), Rawbank connaît une croissance constante d’année en année depuis sa fondation en 2002.

Au Congo, l’histoire de la banque aux trois croissants de lune est intimement liée à celle de ses propriétaires, la famille Rawji. Née au Congo, celle-ci investit au pays depuis quatre générations.

Dans une interview au journal Le Soft International datée de 2016, Taeymans explique comment cette banque a fait de lui sa pièce maîtresse.

«En 2001, alors que je me trouve à Bruxelles (après un passage à la BCDC, l’ex-BCZ), Mazhar Rawji me demande de revenir en République Démocratique du Congo en vue de créer ex nihilo cette banque. Une fois à Kinshasa, je rassemble autour de moi huit banquiers aux compétences et expériences complémentaires pour mettre au point ce projet ambitieux et audacieux. C’est ainsi que Rawbank naît en 2002, au terme d’une réflexion menée trois ans auparavant, mais dont l’aboutissement fut retardé par les secousses dont a souffert le pays dans les années 90», explique-t-il fièrement.

Mais, les compétences seules de Taeymans ne sont pas au centre de sa désignation à la tête de la banque. Il y a d’abord le fait qu’il soit Belge. «Très sexy, très vendeur au Congo…». En clair, c’est BCBG…

D’origine pakistanaise, les Rawji ont vu en lui une possibilité de joindre l’image de leur banque à un Européen qui est par ailleurs de l’ancienne puissance coloniale du pays.

Inconnu au Congo qu’il rejoint les poches trouées, le Belge tisse sa toile peu à peu au point de devenir l’image de marque d’une banque qu’il dirige néanmoins selon ses états d’âme.

Il est certes parmi les actionnaires mais minoritaire (5%).

Sur les hauteurs de la ville et dans les salons huppés de la Gombe, les conversations le lient aux politiques et aux plus puissants personnages du pays, en tête des généraux de l’armée. Quels qu’en soient leurs camps politiques…

«QUI POURRAIT ME METTRE EN PRISON DANS CE PAYS?»
A Kinshasa comme à Bruxelles, à Paris ou à Madrid où il se rend chaque année lors des salons de l’automobile, face à ses fastes quand il multiplie ses achats de Ferrari, Masserati ou Porsche qu’il entasse dans un parking abandonné en banlieue de Bruxelles ou lorsqu’il autorise par simple coup de fil la sortie en cash de plusieurs millions de dollars, Tayemens jure à qui veut lui faire entendre raison : «Celui qui va me mettre en prison au Congo n’est pas encore né».

Aussi, lorsqu’en janvier 2019, Joseph Kabila quitte le pouvoir, Taeymans qui a juré pour le candidat du pouvoir Ramazani Shadari, est zen, comme à son habitude.

Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le nouveau locataire du Palais de la Nation ou, du moins, son Directeur de cabinet Vital Kamerhe Lwa-Kanyingini Nkingi désigné le jour même, il connaît via ses réseaux.

Quand le premier scandale dit de US$ 15 millions éclate, Taeymans et sa banque sont au centre mais le Belge et la banque s’en sortent. Provisoirement…

Dans un rapport qui fuite sur les médias sociaux, les inspecteurs de l’IGF (Inspection Générale des Finances) fustigent les réticences de la banque à coopérer afin de les aider à tracer et à identifier les responsables qui seraient à la base de la dilapidation de ces fonds.

Et la tragédie vînt. Le 12 mars 2020, le Parquet général de Kinshasa-Matete dont le siège est à Limete, convoque le tout-puissant Thierry Taeymans. Qui répond comme quelques mois auparavant quand il fut retenu une journée durant dans les bureaux des services spéciaux sur les hauteurs de la ville avant de sortir libre après quelques coups de fils.

«Il était tellement calme et sûr de lui», confie une source judiciaire. Mais l’audition ne tourne pas à son avantage. La justice, qui a ouvert des enquêtes autour des projets du programme des 100 jours du Président Félix Tshisekedi, le coince. Des millions de dollars manquent à l’appel, alors que les travaux ne sont pas effectués.

Les entrepreneurs, à qui les marchés ont été confiés, sont aux arrêts : un Libanais, un juif américain, des Congolais. Derrière ce tableau sombre, le Parquet découvre la patte du Belge et de la banque pakistanaise dans les transactions.

Le Libanais Samih Jammal, patron imaginé de Samibo Congo Sarl et de Husmal Sarl, a reçu du Trésor public la bagatelle somme de US$ 47 millions pour un projet de construction des logements sociaux dans des camps de la police et de l’armée.

Mais l’argent est introuvable dans le circuit bancaire de la Rawabank.

Face à l’avocat général près la Cour d’appel Sylvain Muana Kaluila qui conduit l’interrogatoire, Thierry Taeymans est dans les cordes. On lui reproche des faits incroyables. Le paiement en espèces de ces US$ 47 millions et toute une série de violations de la législation bancaire.

Quand le magistrat lui lance : «Chez vous en Belgique, une banque peut-elle sortir même US$ 100.000 de cette manière?», la réponse du Belge faillit lui fait perdre le contrôle : «La Belgique est un pays organisé».

Sylvain Muana Kaluila tombe la décision. Thierry Taeymans est « mapé », placé sous Mandat d’arrêt provisoire. Le même soir, l’homme est transféré à la prison centrale de Makala après qu’il a négocié à coup de quelques billes verts la place à droite du chauffeur. Qu’importe !

Huit jours plus tard, le 20 mars, Thierry Taeymans recouvre la liberté mais une liberté provisoire. La justice congolaise n’y est pas allée par le dos de la cuillère. Outre le paiement d’une caution de US$ 10.000, le Belge s’est engagé à coopérer avec la justice. La banque devra rembourser au Trésor public la somme de US$ 47 millions perçue par le Libanais Jammal «si les travaux ne sont pas achevés par son client».

Le lendemain de sa sortie, un samedi, Thierry Taeymans s’offre un bain de foule au siège de la banque à Kinshasa. Son sort est déjà scellé. Le lendemain matin, un dimanche, un Conseil d’administration extraordinaire le limoge.

C’est Mustapha, fils de Mushtak Rawji jusqu’ici adjoint du Belge, qui prend les rênes de la banque familiale. C’est Mazhar, aussitôt le Conseil d’administration terminé, qui prend le téléphone et demande à Taeymans de ne plus mettre ses pieds à la banque.

Dans un communiqué à ses clients et partenaires, la Rawbank confirme officiellement le départ de son DG, affirmant cependant que ce dernier a «sollicité un repos pour raison de convenance personnelle».

Le prince des finances congolaises est mort. Mais la Rawbank est trempée jusqu’au cou dans cette saga judiciaire qui a vu Vital Kamerhe rejoindre les autres détenus à Makala quand l’affaire se poursuit et dévoile jour après jour ses secrets…

«Le Parquet a pu établir des faits incroyables tant de violations des procédures bancaires que de marchés publics. Taeymans et Kamerhe ont agi, avec leurs complices, en totale violation des lois», explique un magistrat.
Avec POLITICO.CD.


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