- sam, 20/07/2013 - 10:46
LE SOFT INTERNATIONAL N°1236 ED. VENDREDI 19 JUILLET 2013.
S’il en avait les moyens, le ministre aurait affrété un avion pour ramener toute la presse à Kinshasa. La nuit de son retour dans la Capitale après son sacre de Muanda, Kin-kiey était plutôt embarrassé autour des siens, les dix-neufs journalistes qu’il avait invités pour couvrir la cérémonie officielle de la connexion de la R-dC à la fibre optique. Il les connaît presque tous nommément. Ce sont ses Mpangi, pour emprunter cette expression Kongo bien en mode dans le parler kinois, qui veut dire ses proches, les miens. «Non, jamais, cela ne peut pas vous arriver», répétait-il. Non seulement le ministre des PT&NTIC a une certaine expérience de plus de 600 km des routes cahoteuses et sinueuses qui relient Muanda à Kinshasa mais surtout il sait pertinemment bien que les siens vont devoir affronter, kilomètre après kilomètre, la mort! D’autant plus que les dernières nouvelles de cette route parsemée de cimetières rajoutant la lugubrité à la frayeur, ne sont guère rassurantes. Le week-end du 6 juillet 2013 comptera parmi les plus meurtriers de la route nationale n°1, Kinshasa-Matadi. Dix, vingt-deux, quarante-neuf…jusqu’à 65 tués, selon des sources… crédibles, des témoins oculaires, des camionneurs, des convoyeurs, des riverains de la RN1. «Toujours aux mêmes endroits!», déplore Blanchard, chauffeur de taxi, pour qui, la route de Matadi, malgré une réhabilitation par des Chinois avec des fonds européens, ne rassure personne. Les mêmes endroits, ce sont des ravins, des ponts sans garde-fous, des courbures en pentes qui donnent l’air de se torsader, de s’enrober, de se lover… «Ça glisse, l’asphalte ressemble par endroits à de la faïence…un peu comme de la céramique, fonce Vieux, camionneur poids-lourds. Les Chinois peuvent vous mélanger n’importe quelles matières pourvu qu’elles ressemblent à du bitume».
Par-dessus tout, la RN1, principale voie d’approvisionnement de la Capitale et de certains centres rurbains du centre et du nord du pays n’est pas électrifiée! Comment KKM - comme aiment à l’appeler ses proches - ne pouvait-il pas invoquer le Dieu Protecteur face à des nouvelles de plus en plus alarmantes, face à des bilans qui allaient effroyablement crescendo d’une minute à l’autre, au fur et à mesure que revenaient les délégations de Kinshasa sinon de ceux qui ont préféré faire une halte à Boma en vue d’affronter le tronçon Matadi-Kinshasa la journée. Tel a vu de ses propres yeux, un véhicule plonger dans un ravin. Tel autre dit avoir dénombré autant de morts et de blessés.
DIEU EST GRAND.
Comment le ministre des PT&NTIC ne pouvait-il pas solliciter le secours, l’escorte divine pour les siens, tant dans nos croyances africaines, disons nègres, en dépit du contact quasi séculaire avec l’Occident, en dépit de l’acculturation, le succès, la prouesse, l’aura ne saurait être le fruit d’un sacrifice humain.
À Muanda, les sacrifices, les désagréments, les incongruités, la presse en a bu des calices jusqu’à la lie. Tout a, en fait, posé problème: logement, restauration, toilette.
Venue quarante-huit heures avant, a-t-on appris, la suite du ministre qui aurait dû prendre en charge notamment la presse aura été le couac, le maillon faible de la grande journée de la fibre.
De tous temps, ils [les collabos de son Excellence] ont toujours failli, de l’avis de cette consœur. L’on croirait, fait-elle comprendre, à une fatalité sinon à une ferme volonté de saborder, chaque fois, les manifs des PT&NTIC en mettant la presse dans des conditions inconfortables, en lui privant notamment de ses droits sinon en les rabiotant considérablement. (…)
Partis de Muanda autour de 9 heures après une énième confusion créée par ceux-là mêmes qui étaient censés prendre en charge la presse, nous atteignîmes la banlieue kinoise vers 3 heures et demi, à près de 15 heures de route à bord des deux mini-bus exigus…pour le plus grand désarroi de ceux qui ont de longues jambes. La route Muanda-Boma sera bouclée pendant la journée, les conducteurs ayant reçu l’injonction de filer en bolide dans l’espoir d’atteindre Matadi avant la tombée de la nuit. Sur près de 110 kms, ce tronçon de la RN1 n’est plus qu’une piste sablonneuse durant cette saison sèche.
Que des panaches de poussières! Nous eûmes l’idée de monter toutes les glaces. Ce fut en vain. Nous subîmes une véritable noyade dans cette rivière des poussières.
«Ça vaut donc quoi le Foner! Que fait-on de ces fonds d’entretien routier?», se révolte le confrère. Sur la route de Boma, il y a en effet un bureau de Foner (Fonds national d’entretien routier), une pièce qui a tout l’air d’une maison de tolérance. «Payer pour l’entretien de la route alors qu’on roule dans le sable! Ça ne passe pas!», fonce le confrère. Invité, il y a encore des semaines, au Sénat, à la suite d’une question orale, le ministre de l’Aménagement du territoire, Urbanisme, Habitat, Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction, Fridolin Kasweshi, a soutenu que le Fonds n’installe pas des postes de péage sur des routes non réhabilitées. Que le Foner a hérité des postes de péage qui étaient déjà opérationnels sous la gestion des gouvernements provinciaux bien avant sa création.
Qu’un effort est en train d’être fourni pour que ces axes routiers sur lesquels le péage est organisé soient programmés en priorité par les agences routières responsables des réseaux que sont l’Office des routes et la DVDA.
Que lui, ministre de tutelle, prenait l’engagement, avec l’implication des agences routières, de veiller à une meilleure praticabilité des routes d’autant que les recettes de péage dépendent du niveau de trafic qui est lui-même tributaire de l’état de la route. Depuis, les usagers n’ont jamais connu un début de commencement du changement sur la RN1. «Nous payons à chaque poste de péage, mais il n’y a rien qui évolue, la route reste dangereuse!», fulmine un conducteur qui, comme nous, s’est improvisé une pause-pipi. Personne ne peut se passer de ce temps-mort sur cette route qui a l’air de s’allonger jusqu’à nulle part. La presse en a gardé une anecdote, plutôt croustillante. Celle d’une haute personnalité nationale - de sexe dit faible - qui, ayant longtemps résisté à la pause-pipi, a dû craquer. «Telema! Telema! » [lire: arrêtes-toi, arrêtes-toi], criait-elle à son chauffeur. D’un bond, elle était au bord de la route et souleva - tant pis pour personne!- sa jupe. (…)».
Pour ce qui est du péage sur la RN1, entre Kinshasa et Matadi, un contrat de concession de 11 ans a été signé entre, d’une part, l’Exécutif national et provincial (avant Jacques Mbadu, il faut le préciser) et d’autre part la firme chinoise CREC-7 à travers sa filiale SOPECE qui gère le péage. En retour, les Chinois se sont engagés notamment à entretenir régulièrement la route Kinshasa/Matadi et à verser USD 130.000 par mois à la province du Bas-Congo.
De l’avis de la presse, ce contrat-là est déséquilibré. En plusieurs endroits, il y a des ponts sur la RN1 qui n’ont pas de garde-fous. L’éclairage fait défaut même à l’approche de grandes agglomérations comme Kimpese, Lukala, etc. «Tout porte à croire que ce fameux contrat aurait exclu toute possibilité de procéder à un audit financier… », se demande la consœur. L’on apprendra que c’est une coordination comptant des membres des gouvernorats, de Foner et de... la FEC (le patronat) qui contrôle la caisse de péages dans chaque province afin d’assurer une gestion transparente.
Et, au Foner, l’on redit à qui veut entendre que la source principale des recettes du Fonds est la redevance sur les carburants terrestres. Les péages, c’est du pipeau. La part de la redevance sur les carburants terrestres dans les recettes réalisées par le FONER représente en moyenne 98% des ressources.
«Il en découle que, pour le moment, avait indiqué le ministre Kasweshi au Sénat, l’évolution de la consommation des carburants terrestres est le paramètre déterminant pour la réalisation des recettes du Foner».
Tout un débat.
«Sous d’autres cieux, le Foner et ses partenaires seraient tenus pour responsables de nombreux cas d’accidents que l’on enregistre sur la route de Matadi», soutient ce vieux routier de la presse.
«J’écrirai une lettre ouverte au ministre de tutelle!», jure-t-il. «Une pétition! Une pétition!», reprend son voisin de droite. «Oui une pétition! Pour nos frais de m… », reprend ce bout-en-train. «Oh! Ça viendra. No problème », rassure Monsieur le conseiller. Le très réfléchi, Eric Ambago. Éclats de rires. Il est 3 heures et demie. Une enseigne indique Mbenseke, nouvelle cité. Nous sommes à Kinshasa. Sains et saufs. Tous.
«Que Dieu vous garde!». Prière de KKM. Vœu exaucé. Dieu est grand.
POLD LEVI.