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KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International | N°1642 | JEUDI 31 JUILLET 2025 |
Pierre Diomi Mawesa fut médecin de Mobutu durant près de deux décennies.
Dans ses mémoires à paraître, il fait des déclarations qui glacent le sang.
Docteur en médecine à l’Université de Paris en 1963, lors d’une mission d’inspection dans la région de Gbadolite, à l'Équateur, où Mobutu est né, le professeur médecin découvre les ravages du goitre et organise avec succès une campagne d’élimination de cette maladie. Mobutu découvre le médecin, fait de lui son médecin. Depuis, Pierre Diomi Mawesa n'a pas quitté le Maréchal. Il est à ses côtés dans l'avion à son départ de Kinshasa pour Gbadolite, le 16 mai 1997 puis dans son exil deux jours s'en va à Lomé, au Togo, d'où il reçoit l'ordre de son ami Gnasinghe Eyadema de s'en aller aussitôt et qu'il quitte deux jours plus tard pour Rabat, au Maroc. Mobutu était devenu infréquentable pour la communauté internationale. Après la mort de Mobutu, le médecin s'en va en Afrique du Sud, à Capetown, où il est braqué par des criminels. Il quitte l'Afrique du Sud, va à Washington d'où il regagne le Congo. Pierre Diomi Mawesa meurt à Kinshasa, le 8 novembre 2022, dans sa résidence de Binza-Pigeon. Il avait 92 ans.
Ses mémoires que sa succession s'apprête à publier disent long sur la fin du Maréchal. L'une des prises de position clés de ce livre «Moi Diomi, médecin du Maréchal Mobutu», est celle-ci : «L’isolement du président Mobutu à Kawele a entraîné des conséquences catastrophiques sur sa santé et sur son régime politique. Le fossé s’était élargi entre le peuple et Mobutu. Pendant six bonnes années, la population ne le voyait plus. Ainsi, les Zaïrois ont appris à se passer de lui et à l’oublier. L’apathie et la résignation qui l’ont envahi lui ont fait perdre de vue que le fauteuil de chef de l’État du Zaïre pouvait être conquis par quelqu’un d’autre par des moyens non démocratiques. Il avait plus ou moins atomisé l’opposition interne mais il n’avait pas suffisamment conjuré le danger qui pouvait provenir au-delà des frontières du Zaïre. Ceux qui avaient placé Mobutu à tête du Zaïre ont décidé de le remplacer par quelqu’un d’autre».
Extraits.
Dans la matinée du 16 mai 1997, contre toute attente, le maréchal Mobutu quittera Kinshasa pour aller provisoirement dans son fief de Kawele. Deux jours plus tard, il abandonnera le territoire national en ébullition, pour aller s’abriter à Lomé chez son ami de longue date, le général Gnasingbe Eyadema. Ce jour-là, dans la matinée, il avait mis longtemps à se décider de quitter le Zaïre parce qu’il a souhaité attendre la suite des événements dans son palais de Kawele. N’eussent été les pressions d’un de ses fils et de son médecin personnel, il allait probablement mourir d’une mort violente causée par des éléments de la DSP en débandade. Il allait contraindre son entourage présent à Kawele à disparaître tragiquement avec lui. En effet, les troupes zaïroises fuyant le front nord-est convergeaient vers Gbadolite pour empêcher le chef d’État déchu de quitter le pays. Déjà, au départ de Kinshasa, il avait échappé à un attentat tendu par certains de ses généraux. À la suite de l’échec de cette tentative, un colonel de la DSP fut dépêché à Kawele par ces généraux avec mission d’éliminer physiquement le fuyard. Mais, la vigilance de ce qui restait de la sécurité présidentielle est parvenue à déjouer ce macabre projet.
Selon des sources proches de la Présidence de la République du Togo, le maréchal Mobutu n’était pas attendu ce jour-là à Lomé. Le gouvernement de ce pays n’était d’ailleurs pas content de le voir débarquer sur le territoire togolais. C’est ce qui a fait qu’arrivé le 18 mai, Mobutu et sa suite ont dû quitter le Togo le 23 mai 1997. Considéré comme un pestiféré dans toute l’Afrique noire, il a fini par trouver refuge chez le roi Hassan II du Maroc. Pour ceux qui ont connu les relations étroites qui unissaient Mobutu et Eyadema, il était difficile d’imaginer qu’un jour ce dernier pouvait poser des restrictions dans l’hospitalité à offrir à son frère aîné malade.
Très diminué par des graves ennuis de santé et fortement démoralisé par la trahison des personnes sur lesquelles il avait l’habitude de compter, pour la première fois, le maréchal Mobutu s’est senti très seul. La présence du trio BOKOFA, composé de ses épouses jumelles et de son beau-frère qui l’avait pratiquement séquestré pendant plus de six années à Kawele, n’a pas dissipé son amertume. (...).
L’ancien chef de l’État est mort tristement dans l’isolement et l’humiliation. Mais, en notre qualité de témoin oculaire de la fin de ce colosse, nous pouvons affirmer que Mobutu est demeuré digne et de marbre face de ces épreuves. Il est vrai qu’il a beaucoup regretté la manière dont son régime a brusquement pris fin. Il était triste de n’avoir pas pu sécuriser matériellement le dernier carré de fidèles qui ont accepté de le suivre dans son exil. Il n’avait plus d’autorité sur les trois éléments de sa belle-famille qui s’étaient approprié sa fortune bien avant sa mort. Les ordres qu’il donnait n’étaient plus suivis car ses épouses ne l’écoutaient plus. On avait la nette impression qu’elles se réjouissaient de sa mort imminente. Aujourd’hui, ses veuves mènent une vie dispendieuse et ostentatoire au Maroc, en France, au Portugal, en Espagne et même aux États-Unis d’Amérique. À en croire les anciens gardes du corps, elles n’ont rien perdu de leur verve oratoire et surtout de leur arrogance. Beaucoup d’anciens gardes du corps mènent une existence difficile à l’étranger et d’autres sont morts dans la misère. L’oncle Popolipo, rongé par le remord et la peur de ses nombreux ennemis, tente par tous les moyens à se faire oublier. De Kinshasa, plusieurs personnes veulent connaître le contenue de cinquante malles en fer que l’épouse de Mobutu avait emportées lors de son départ précipité de Gbadolité alors qu’au Maroc le maréchal Mobutu n’avait plus d’habits à mettre. Sa canne et sa toque étaient introuvables au moment de son ensevelissement. Seuls les anciens gardes du corps commis à l’épouse du défunt président pourront un jour témoigner du contenu de ces malles dont madame Bobi ne s’est jamais séparée avant de les placer en lieu sûr.
SES ERREURS DOIVENT SERVIR l'AVENIR.
Qu’on l’aime ou pas, on ne peut nier cette évidence : Mobutu a marqué son époque d’une empreinte indélébile, par le fait que malgré des nombreuses embûches, il s’est maintenu à la tête du Zaïre pendant plus de trois décennies. Ce fut un grand visionnaire qui, à ses débuts, avait caressé le rêve de bâtir une grande nation au cœur du continent africain. (...). Mobutu a vécu un destin exceptionnel mais, hélas, dramatique de par sa fin. Il n’a pas dérogé au sort de «guides éclairés» des années 60. Il est mort paisiblement dans son lit loin des récriminations de ses ennemis. (...). À la fin de son régime, beaucoup de ses homologues africains l’ont déclaré infréquentable alors que certains parmi eux lui doivent la survie de leurs propres régimes tout aussi dictatoriaux. Comme s'ils obéissaient à une consigne générale, ils lui ont tourné le dos lorsqu’il avait, à son tour, désespérément besoin d’aide pour s’en sortir. (...). Même à titre privé, beaucoup se sont abstenus d’adresser un mot ou à faire un geste de compassion envers la famille du disparu. Grande fut la tristesse de ses proches de constater combien l’ancien Chef de l’État zaïrois était haï par ses pairs africains. Par pure hypocrisie, même ses «frères» du temps de la splendeur du Zaïre l’ont traité comme une brebis galeuse. (...). Les funérailles du roi Hassan II du Maroc ont drainé à Rabat un nombre important de têtes couronnées et des présidents parmi lesquels on compte des anciens amis de Mobutu. Par peur du «qu’en dira-t-on», aucun d’eux n’a ressenti le désir d’aller se recueillir sur la tombe de leur ancien ami.
L’erreur de Mobutu fut d’avoir cultivé l’orgueil au point d’en faire une vertu. Il n’a même pas voulu demander pardon au peuple qui a tant souffert de la mégalomanie et de la tyrannie de son régime. Et pourtant, au cours de sa longue maladie, Mobutu s’était bien rendu à l’évidence qu’il était, après tout, un homme de chair et de sang. Il pouvait se tromper comme tout le monde. Le peuple souverain du Zaïre aurait pu lui pardonner ses échecs d’autant plus que le Zaïrois n’a pas l’habitude de poursuivre les morts dans leurs tombes pour leur demander des comptes. La preuve est que déjà, à travers l’ensemble du pays, face à son sort d’aujourd’hui, le peuple congolais le regrette déjà. S’il était encore en vie, la majorité de Congolais se seraient tournés vers lui pour la solution des problèmes actuels.
À côté de Mobutu Sese Seko que tout le monde a plus ou moins connu, quelques personnes ont eu le privilège de côtoyer le Mobutu de l’arrière scène qui, habituellement échappait aux projecteurs des médias. L’image qu’elles ont gardée de lui n’a rien de commun avec celle d’un impitoyable dictateur. Beaucoup de ces compatriotes ont plutôt découvert en lui un personnage timide, prévenant, généreux, secourable et capable de compassion. C’est autant dire que Mobutu n’avait pas que des défauts. Mû par la recherche de la vérité, l’auteur de ce livre s’est imposé un examen sans complaisance de la portion de vie du maréchal Mobutu, à laquelle il avait été associé. Déjà avant la parution de ce livre, des membres de sa belle-famille nous ont reproché d’avoir osé écrire sur des aspects inédits de la vie du maréchal Mobutu. Avec Michel Gonod nous pouvons répondre : «Le droit au respect de la vie privée n’est pas transmissible. Il appartient aux vivants, pas aux héritiers». En plus, dans l’une de ses prises de position, Feu Manda Mobutu, fils aîné du maréchal Mobutu, avait déclaré ce qui suit: «Notre père n’appartient plus à la famille, il appartient à tout le monde». Aussi, estimons-nous que personne ne peut nous dénier le droit et le devoir de jeter un regard critique sur le passé du défunt maréchal Mobutu pour dégager les enseignements capables d’orienter les futurs dirigeants du Congo. Les erreurs de Mobutu devraient servir à ceux qui ambitionnent de gouverner le Congo. Certaines personnes qui se disaient «membres de la famille présidentielle», n’ont plus le droit d’imposer leurs vues partisanes à ceux qui publient des analyses sur le maréchal Mobutu. Du vivant de Mobutu, la «famille» a causé plus de tort à son régime que ceux qui, aujourd’hui, veulent partager avec d’autres les informations qu’ils détiennent grâce aux postes qu’ils avaient occupés ou à cause des relations personnelles qu’ils ont entretenues avec le disparu. Ceux qui ont trahi Mobutu sont bien connus. Ces sont eux qui ont creusé le trou dans laquelle Mobutu est tombé parce qu’il ne s’était pas suffisamment méfié d’eux. Ils étaient les premiers à l’abandonner dès qu’ils ont constaté que cette fois, il ne s’en sortirait plus. Toutefois, il y a eu une poignée de Zaïrois qui ne l’ont pas déserté malgré son infortune. Ils l’ont arraché d’un pays en ébullition pour le mettre à l’abri en prenant des risques incalculables pour leurs propres vies. Ils l’ont protégé et l’ont soigné jusqu’à sa mort.
Nous n’avons aucune fausse modestie d’affirmer que nous sommes de ceux-là. Si, malgré tout, il y a des gens qui croient que Mobutu leur appartient toujours en exclusivité, ils se trompent car nous connaissons la manière dont il s’est séparé d’eux. Quant à nous, nous tenons à souligner que la confiance qu’il nous a personnellement témoignée pendant des longues années est un gage d’estime. En dépit de la haine imméritée que nous voue certains membres de sa belle-famille, il a tenu, malgré des fortes pressions exercées sur lui, à nous garder près de lui jusqu’à la fin. Il est le seul à en connaître les raisons.
D’autres nous reprochent d’avoir soigné un dictateur. Mais combien sont-ils ceux qui ont ouvertement refusé de servir le pays sous le régime Mobutu à cause de la mauvaise réputation du président ? Le fait d’avoir travaillé sous la dictature de Mobutu ne veut pas dire qu’on a cautionné ses méthodes politiques ou ses décisions solitaires. Le poste que nous avions occupé, nous ne l’avions pas sollicité. On sait pertinemment bien, qu’en République du Zaïre, il était malaisé de démissionner sur base de divergence d’opinion. D’autre part, il serait contraire à la vérité si nous affirmions que nous avions travaillé pour Mobutu sous la contrainte.
Aujourd’hui que beaucoup de ceux qui ont bénéficié des largesses et de la protection de cet homme le renient sans vergogne, nous n’éprouvons aucune gêne d’avoir pris soin de lui. Des personnes irresponsables nous ont reproché d’avoir prolongé les souffrances du peuple zaïrois en nous occupant de la santé de son bourreau. La profession que nous avons choisie a des normes qu’un praticien digne de ce nom ne peut impunément fouler aux pieds. La vie du malade appartient au malade lui-même et non à son médecin. Nous pensons avoir honoré notre contrat en servant le pays avec honorabilité à travers la personne de Mobutu. Par ailleurs, on ne peut douter de notre disponibilité pour cet homme auquel nous avions, en dépit d’énormes difficultés, consacré plus de deux décennies de notre vie. Nous n’avons jamais cherché à marchander les services que nous rendions car l’argent et les biens matériels n’étaient pas nos préoccupations prioritaires.
Des propos mensongers ont été colportés par des gens sans scrupule qui ont fait état des millions de $US que Mobutu aurait légués aux gens qui l’ont accompagné dans son exil. Nous croyons connaître l’origine de ces ragots. À vrai dire les millions de $US en question ne sont jamais arrivés à destination et on ignore qui les détiendrait aujourd’hui. Tout le monde y compris les médecins qui ont volontairement risqué leurs vies à côté de celle de Mobutu, ont eu pour unique récompense, la satisfaction d’avoir servi jusqu’au bout malgré les intimidations de certains. De son vivant, Mobutu ne nous a pas enrichis, ce n’était pas à sa mort qu’il allait le faire. Comme il a agi à l’égard de Motoko et ses hommes qui l’ont arraché d’une mort ignominieuse et violente au Zaïre, Mobutu nous a tous abandonnés, sans ressources, dans les rues de Rabat. Les seuls choix qui nous restaient à faire, était de devenir esclaves de la belle-famille du maréchal ou de nous clochardiser. Ses veuves se sont farouchement opposées à ce que Mobutu sécurise matériellement les membres de sa suite car du vivant de celui-ci, elles ont vécu à couteaux tirés avec plusieurs personnes de l’entourage du défunt. Le moment était donc venu pour elles de régler de vieux comptes avec ceux qu’elles ne sont jamais parvenus à domestiquer. Il est étrange que des personnalités qui ont travaillé pour celui qui était l’un des chefs d’État les plus riches au monde ne soient pas capables de se prendre en charge à la fin de leur carrière. Cela prouve une fois de plus que le système Mobutu était irrationnel.
FURIEUX QU'ON LUI PROLONGE LA VIE.
Vers la fin du régime, il devenait difficile de travailler pour le président du Zaïre sans être accusé de vouloir lorgner quelques avantages. C’est pourquoi, Bobi et son clan nous ont manifesté une grande hostilité qui ne pouvait pas s’expliquer autrement. Nous avions parfaitement conscience du désagrément que nous causions à ces personnes en continuant à soigner le maréchal Mobutu alors que le pronostic était déjà connu. Et, pourtant, le devoir professionnel nous obligeait de continuer à prodiguer les soins à notre malade jusqu’au bout. Depuis longtemps, nous avions compris que nous gênions des personnes qui nous reprochaient d’être toujours là et de prolonger la vie d’un être dont elles n’avaient plus besoin. En plus, elles croyaient que nous aussi avions les yeux rivés sur la fortune du maréchal Mobutu. À cause de cela, elles nous ont manqué de respect et nous ont querellés plusieurs fois pour nous contraindre à cesser les soins au malade. Après la disparition du maréchal Mobutu, nous avions décidé de partir. Comme la veuve du président n’avait d’égard que pour ceux qui acceptaient de se laisser asservir, notre place n’était plus à ses cotés. D’autant plus qu’un ami proche nous avait vivement conseillé de nous éloigner de ce milieu au plus tôt. Les gens qui se prennent pour des génies peuvent devenir un danger pour toute personne qui les ramène constamment à leurs vraies dimensions.
Le chef de l’État zaïrois se savait malade depuis de nombreuses années mais il a continué à négliger les recommandations pressantes des médecins qui l’invitaient à se soumettre aux soins que nécessitait son état de santé. En raison de certaines croyances et autres tabous culturels, il avait volontairement minimisé les chances de guérison que lui offrait la médecine hippocratique moderne. Pendant plus d’une décennie, il a focalisé son attention sur des futilités. Il lui a manqué le courage de se pencher sur la gravité de sa maladie. On peut se demander si la déception causée par la remise en question de son autorité par ses anciens alliés politiques passés à l’opposition et son échec dans le domaine économique et social n’étaient pas à la base de ce découragement.
On peut aussi s’interroger si l’ignorance de la bonne gouvernance, le refus à peine voilé de la démocratie, les violations fréquentes des droits humains et son désaveu par le peuple qui, à un moment donné, ont fait de lui un homme désespéré, n’ont pas influencé sa conduite. Il s’était malgré tout accroché au pouvoir en attendant des hypothétiques élections qui lui auraient donné une nouvelle légitimité. Hélas, le sort en avait décidé autrement. Il a pris des sérieux risques, il a malheureusement perdu! Mobutu était un homme anxieux car depuis les années 60, il vivait sous un stress permanent. Dans son désespoir, avait-il opté pour une solution radicale afin d’en finir une fois pour toutes ? Le refus systématique des soins appropriés contre une affection connue de longue date avait de quoi surprendre.
La pratique de la médecine auprès du maréchal Mobutu n’a pas été aisée. Nous avions subi des pressions pour que la médecine se pratique comme lui la concevait. Il ne nous a pas toujours aidé dans l’accomplissement de notre tâche. Pire, l’interférence constante et intempestive du clan de son épouse dans sa vie publique et privée était, pour tous les collaborateurs de Mobutu, un véritable casse-tête.
Ce sont les jumelles qui sont les plus concernées ainsi que leur frère Fangbi dont l’omniprésence dans tous les secteurs était devenue intolérable par un grand nombre d’entre nous. Il voulait s’occuper de tout alors qu’il n’était capable que de peu. Dans le présent ouvrage, il sera largement question de ce trio dont le comportement a paru inquiétant surtout pendant la maladie du maréchal Mobutu. L’agressivité liée à l’impatience dont ils ont fait preuve, était suspecte. En plus, l’arrogance et le mépris qu’ils affichaient à l’égard des collaborateurs du chef de l’État ont perturbé le bon fonctionnement de la présidence de la République. Ces trois personnes s’étaient arrogées des droits illimités sur la personne du maréchal Mobutu et sur la présidence de la République en tant qu’institution. Mobutu était devenu la propriété privée du clan Bobi. Ils ont profité de sa maladie pour lui dicter ce qu’ils voulaient. Ils se sont placés au-dessus des lois et des institutions. Après des années de réclusion à Kawele, Mobutu voyait tout à travers le prisme déformant du clan de sa femme. Par la présence active auprès du président, ce groupe a entravé au sommet, le fonctionnement normal de l’État.
C’est pourquoi, il est nécessaire de placer les projecteurs au bon endroit pour que chacun découvre la responsabilité des uns et des autres. On peut se poser les questions suivantes : Qui ont poussé Mobutu à quitter le siège des institutions républicaines pour aller, pendant plus de six ans, se blottir au village en compagnie de ses épouses monozygotes et de son beau-frère ? Qui sont à la base de la mise à l’écart de la majorité de collaborateurs qui habituellement assistaient le chef de l’État dans l’exercice de ses fonctions? Enfin, qui a introduit et entretenu l’exclusion et l’intolérance à la présidence de la République? Les services de renseignements n’ont pas échappé à la désorganisation générale voulue par ceux qui souhaitaient la fin rapide du régime et la mort de Mobutu pour faire main basse sur sa fortune. Serait-il un effet du hasard que les proches de Mobutu et les aînés des garçons issus du premier lit soient morts avant lui pour que le moment venu, Mobutu soit livré jusqu’à la fin de sa vie, mains et pieds liés à sa belle-famille ?
Seule une sœur aînée, l’unique parente de Mobutu, que la belle-famille a volontairement reléguée à N’djamena qui a pu, in extremis, aller soutenir le malade. Cette femme était pratiquement ignorée lors des tractations relatives à la succession de son frère. Aujourd’hui, elle vit en Belgique dans une précarité totale. Au Maroc, pour son vécu quotidien, elle dépendait de l’humeur instable des veuves de son frère. Celles-ci occupaient des luxueuses et gigantesques villas dont elles sont propriétaires. Sans chercher à nous immiscer dans les affaires privées d’une famille d’autrui, on peut se poser la question de savoir pourquoi Francisca, sœur aînée du maréchal Mobutu, a été délibérément reléguée au Tchad loin de son frère malade qui avait besoin de se confier pour la dernière fois. C’est sur l’insistance du malade lui-même qu’elle a enfin de compte rejoint Rabat à deux semaines seulement de la mort de celui-ci. D’après les coutumes zaïroises, cette femme bien que vieille et illettrée aurait dû jouer un rôle prépondérant pendant la maladie et les obsèques de son frère. Curieusement, ce sont les deux épouses et leur grand frère qui se sont substitués à la place de cette parente de Mobutu. Avant son décès, le président Mobutu a résumé son exaspération en nous disant : «Docteur, nous sommes en présence de deux familles bien distinctes : celle de ma femme et la mienne représentée par ma sœur. Ne l’oublies jamais et il ne faut pas confondre».
Jusqu’à présent, le rôle politique joué par le trio issu d’une même famille, n’est pas suffisamment connu du grand public congolais. C’est pourquoi, il est de notre devoir d’en parler dans le présent livre. Il est vrai que le principal responsable de tout ce qui s’est passé au Zaïre est Mobutu lui-même. Mais, on peut affirmer sans crainte d’être contredit que l’implication de sa belle-famille dans sa fin peu glorieuse, ne fait pas de doute. À quelques mois de sa mort, le président Mobutu a fini par se rendre compte de la grave erreur qu’il avait commise de placer une confiance aveugle en des personnes qui ne la méritaient peut-être pas. Il n’avait pas vite compris la vraie motivation de leur présence permanente à ses côtés. Aujourd’hui, tout le monde sait que ce n’est pas à cause d’un amour débordant pour Mobutu qu’ils se sont agglutinés autour de lui et l’ont tenu à l’écart de ses responsabilités constitutionnelles pendant plus d’un septennat. Peu après l’expiration de l’ancien chef de l’État zaïrois, sa veuve a reconnu explicitement sa culpabilité en nous affirmant: «Papa akei na kanda !» (Papa est parti en colère!). Si le président Mobutu est parti mécontent, ce n’est pas sans raison. C’est peut-être parce qu’il avait, enfin, découvert les vrais visages de ses épouses et de son beau-frère et surtout leur rôle dans ce qui lui est arrivé. Comme le maréchal Mobutu ne nous a pas associé à la conversation qu’il a eue avec sa belle-famille, nous ne sommes pas sensés connaître les causes exactes de son mécontentement. Sa veuve sait très bien ce que Mobutu lui a reproché avant de mourir. Cela devait être grave parce qu’elle était terrorisée en s’adressant à nous. Le président Mobutu doit s’être rendu compte que même ses intimes l’avaient trahi et que certaines personnes n’étaient pas fâchées de l’imminence de sa mort. Il en était triste et même frustré ; lui qui a exaucé le moindre de leurs désirs et qui leur a tout donné. Lorsqu’il a découvert ce qu’ils étaient en réalité, c’est en homme déçu qu’il a quitté cette terre. Depuis la Suisse, Mobutu avait renoncé à prendre la nourriture préparée par Bobi. Il devait y avoir une raison ! Pendant des mois, les veuves du maréchal Mobutu avaient l’habitude d’aller chaque vendredi s’incliner devant le mausolée avec des fleurs à la main pour parler au défunt en pleurant. Elles n’ont pas arrêté, malgré l’intervention de maman Bolozi qui leur avait demandé avec insistance de laisser reposer son frère en paix.