Il avait voulu faire du théâtre en politique, Mutamba a été rattrapé
  • mer, 24/09/2025 - 15:18

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES. Le Soft International N°1644 | LUNDI 8 SEPTEMBRE 2025 |

Il avait pensé que la politique était du théâtre. Du théâtre tous les jours, à son domicile, à son bureau, même à des occasions solennelles. Il en a fait tellement qu'il a fini par agacer, a été rattrapé. Sauf que la justice lui a été clémente.

Moqué comme jamais, le Congo risquait le pire. Une phrase qui traverse l'Histoire, que se partage l'élite politique : «Un ministre, ça la ferme ou ça s'en va». Plus clair : «Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne». Les mots de l’homme politique français Jean-Pierre Chevènement, élu, réélu au national comme au local, plusieurs fois ministre sous François Mitterrand...
Pour la discipline, la loyauté et la cohésion dans l'action gouvernementale, un ministre, face à des sujets controversés ou sensibles, est appelé à se taire. Il ne saurait les commenter publiquement. Il doit respecter la ligne gouvernementale clairement tracée, refuser d’exprimer une opinion qui pourrait créer des divisions ou nuire à l'image du gouvernement, donc de l'État. S'il estime qu'il ne peut se taire ou qu'il désapprouve fondamentalement la politique du gouvernement, « ça s’en va » plutôt que de rester dans une équipe où la discipline et la cohésion sont la règle d'or. Nombre de fois, l'homme politique français a eu recours à ce sacro-saint principe qui fait d'un ministre, qui gère les affaires de la Nation, un Homme d'État.
Que n'a-t-on pas vu ou entendu de Constant Mutamba Tungunga ? Nommé curieusement le 29 mai 2024 ministre d'État, ministre de la Justice, Garde des Sceaux dans Suminwa I alors qu'il avait sorti de sa bouche des insultes virales sur les réseaux sociaux en parlant du Président de la République, son nom n'est pas prononcé lors de la lecture solennelle de l'ordonnance présidentielle le 28 mai 2024.
Le 11 juin, dans son discours d'investiture devant l’Assemblée nationale, la Première ministre oublie de reprendre le nom de ce plus jeune ministre de 35 ans. En citant les noms des membres de son équipe aux députés à l’occasion de la présentation et du vote de son programme pour son investiture, elle ne cite pas celui de ce ministre d’État.
C'est le Président de l'Assemblée nationale Vital Kamerhe Lwa Kanyingini Nkingi, en reprenant la parole, qui rappelle avec élégance la Première ministre Judith Suminwa Tuluka. Incident mineur? Deux signes déjà !
Dans ce même Palais du Peuple rempli comme un œuf, lors d'un discours solennel devant le Président de la République, Chef de l'État, Constant Mutamba Tungunga horrifie. Il vante l'adhésion hors normes ayant entouré son entrée dans l’équipe gouvernementale. Puis, fait part d'attaques dont il est l'objet de la part de certains collaborateurs du Chef de l'État. Avant de conclure comme un donneur de leçons : « Sans votre soutien personnel, Excellence Monsieur le Président de la République, il y a longtemps que j’aurais remis ma démission ».

LA PREMIERE MINISTRE HORS D'ELLE.
Si quelques applaudissements résonnent dans cette salle archicomble, les représentants des pouvoirs publics sont sans voix.
Le 2 septembre, le ministre assure avoir échappé à une tentative d'empoisonnement. Des substances toxiques auraient été trouvées dans ses bureaux lors d’une «intrusion par effraction». Il se rend en séjour médical en Turquie.
Y voit-on un lien avec la mort, lors d’«une tentative d’évasion», de 129 détenus à la prison centrale de Makala, à Kinshasa ? Bis repetita le 3 mars 2025. Face à l’immeuble géant du Palais du Peuple, siège du parlement congolais construit par les Chinois sous Mobutu se dresse un autre immense complexe immobilier érigé par les mêmes Chinois. Le Centre Culturel et des Arts d'Afrique centrale. C'est là qu'intervient un énième incident, celui qui constipe la Première ministre présente et hors d'elle en se disant qu'elle y a été visée personnellement et directement. Lors d’une campagne de sensibilisation et de mobilisation des jeunes au patriotisme, à la lutte contre la guerre et contre la corruption, devant 5000 étudiants rassemblés par la ministre de la Jeunesse et de l’Éveil patriotique, Noëlla Ayeganagato Nakwipone, devant ses collègues ministres, devant la Première ministre qui préside l’événement, une confrontation verbale inattendue éclate. Face au pupitre dressé pour la prise de parole des officiels, piqué par quelle mouche, ministre d’État, ministre de la Justice, Constant Mutamba Tungunga déclare haut et fort :«Je sens l’odeur du détournement dans cette salle (…). Il est possible de distinguer sans tricher. Si tu es patriote, tu ne peux pas détourner les soldes pour les militaires».
Accuse-t-il sa Cheffe du Gouvernement ? Pointe-t-il du doigt ses collègues présents dans la salle ? Stupeur dans la salle.
Que de cas semblables systématiquement vécus dans le passé ! Cela n’interpelle pas les observateurs sur la santé mentale de ce membre du gouvernement qu'il aurait fallu sortir sans attendre ?
Que penser de cette loi inviolable édictée par Jean-Pierre Chevènement ?
Humiliée, outrée, la Cheffe du Gouvernement est hors d’elle. Plusieurs réactions en l'espèce étaient attendues. Ou elle quittant la salle sans serrer la main de ce ministre. Ou prendre la parole en ignorant cet incident qui ne pouvait que rattraper un théâtreux.
Mais Mme Judith Suminwa Tuluka choisit le combat. Elle réunit ses forces, prend son courage à deux mains, se lève de son siège, avance vers le lutrin de table que venait de quitter le ministre, s'adresse au public, poursuit le ministre dans ses retranchements : «Vous pouvez demander à ceux qui me connaissent. Depuis l’école primaire, je n’ai jamais triché. Le ministre d’État à la Justice vient d’affirmer qu’il perçoit une odeur de détournement dans cette salle. Partagez-vous cette perception ? Pendant que nous sommes ici, est-ce qu’un parfum de malversation semble flotter parmi vous ? Est-ce que c’est normal ? On ne peut jamais sentir l’odeur du détournement ici ».
Dans l'exercice de ses fonctions, celle qui est la première femme à diriger un gouvernement dans le pays doit compter nombre de blessures qui impactent sur la perception que le public a de l’action d'une équipe qui aurait dû plus que jamais construire la cohésion.
Quid de la guerre qui éclate, dès le lendemain de sa prise de fonctions entre Mutamba et les magistrats, qui se disputent les prérogatives? Notamment quand il se rend seul dans des prisons et libère d'autorité des prisonniers, dont des Kuluna. Les magistrats n'en reviennent pas. Le ministre de la Justice décide de punir l'un d'eux, le plus haut placé, le Procureur Général près la Cour de Cassation Firmin Mvonde Mambu.
En novembre 2024, il annonce l'ouverture d'une enquête sur l'acquisition d'un bien immobilier évalué à 900.000 euros, acquis en Belgique, l’ancienne puissance coloniale, par l'un des plus prestigieux magistrats du pays. Dans un communiqué, il déclare avoir découvert cette information dans les médias. Dressé dans ce conflit face au ministre, le Procureur Général est contraint de brandir dans les médias les preuves d'un prêt négocié dans une banque.

LES JUGES APPELLENT AU SECOURS.
Le 21 mai 2025, le Procureur Général découvre le pot aux roses, écrit au président de l'Assemblée nationale, demande une autorisation de poursuites judiciaires contre le ministre qui aurait détourné 19 millions de $US dans le cadre d'un projet de construction d'une prison dans la ville de Kisangani, province de la Tshopo. Le ministre n'aurait pas suivi la procédure légale pour ce marché. Dans la vie, il existe toujours quelqu'un de plus intelligent que soi. Ne dit-on pas « à malin, malin et demi » ?
Il n'empêche ! Ayant vu passer des millions de $US devant ses yeux, Mutamba en a plein dans ses poches. Il rejette toute idée de mettre bas les armes en hissant le drapeau blanc, sort des sommes d'argent, paie des enfants de la rue affamés et qui ne demandaient que ça, reçoit en retour des chants et des danses devant sa maison qu'une armée d'influenceurs à gages, de véritables criminels, commentent positivement à longueur de journée. Messages de mobilisation nationale et d'invincibilité envoyés aux pouvoirs, ils interpellent des services de police archaïques qu'aucun jeune de la rue ne craint désormais. Quant à la justice, elle avoue avoir la peur au ventre, parle de «messages haineux en ligne», se convainc que «le parquet va protéger les magistrats». Le Procureur de la République Edmond Isofa Nkanga du Parquet de Grande Instance de la Gombe lance une réquisition d’information qui cherche à traquer les auteurs de messages sur Facebook, WhatsApp, TikTok, X et YouTube à l’encontre des magistrats et des autorités judiciaires impliqués dans cette affaire.
Pour le Procureur, les influençeurs n'ont pas seulement critiqué la justice, ils ont poussé plus loin leur haine, se sont livrés à des attaques personnelles, menaces directes, harcèlement d’officiers du ministère public, appels à la violence. Il y voie des «menaces grave contre l’intégrité physique des magistrats», appelle la police au secours. Cela n'apaise rien.
Si dans son réquisitoire, l'avocat général représentant le ministère public demande à la cour qui siège en premier et second degré de déclarer établie à charge de l'accusé l’infraction de tentative de détournement de 19 millions de $US, estimant que «l’argent des morts ne doit plus jamais servir à enrichir les vivants, dès lors que le délinquant l’avait viré du compte du ministère de la Justice vers celui d'une société de construction supposée fictive et ses actionnaires en cavale», et de le condamner à 10 ans de travaux forcés, assortis de 10 ans d'inéligibilité après avoir purgé la peine outre la privation du droit à la libération conditionnelle ainsi que l'exclusion des fonctions publiques, le prononcé du verdict reporté à deux fois reprises - cela est loin d'être un hasard - tombe le 2 septembre.
Présent à l'audience le visage couvert d’un masque chirurgical, Mutamba est reconnu coupable de «violations répétées des règles de procédure et de précipitation dans la passation du marché avec pour objectif d’écarter des fonds de l’État pour enrichir frauduleusement l’entreprise Zion Construction». Coupable du coup de détournement de deniers publics, il s'en tire tout de même bien : trois ans de travaux forcés.
Quant à la prison, elle tarde à recevoir l'ancien ministre dans ses locaux quand d'autres anciens ministres voire des personnalités tel l'ancien et actuel président de l'Assemblée nationale Vital Kamerhe Lwa Kanyingini Nkingi y avaient été conduits directement, sous bonne garde, à Makala, celui-ci y ayant même séjourné au moins un an. La veille du verdict, il veut faire bouger les lignes, cherche un coup de poker, décide d'aller s'agenouiller devant la tombe du Sphinx, au mausolée, à une quarantaine de kilomètres du centre-ville.
Nul doute, l'ancien ministre veut émouvoir le fils du Sphinx, le magistrat suprême. Si la leçon a été apprise à un homme qui voulait foncer le pays vers le rebut de l'humanité, la page est néanmoins loin d'être tournée, disent ceux qui connaissant le Congo Démocratique.
D. DADEI.


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