- jeu, 26/09/2024 - 12:34
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1619|JEUDI 26 SEPTEMBRE 2024.
Bunia, Ituri.
À l'extrême Nord-Est du Congo se trouve l'Ituri, la province dont la capitale a pour nom Bunia. La frontière Est de l'Ituri est bornée par le lac Albert autrefois appelé Lac Mobutu Sese Seko qui sépare le Congo du pays voisin, l'Ouganda.
Le lac Albert est le plus septentrional de la chaîne de lacs de la vallée du Grand Rift. Long de 160 kms et 30 kms de large, avec une profondeur maximale de 51 m, les poissons de ce septième lac d'Afrique par la superficie meurent de vieillesse.
CE BUNIA SE TRANSMUTE.
De la ville de Bunia à ce lac, à l'extrême-Est, il vous faut une heure de route. Faut-il faire montre de témérité pour approcher cette nappe d'eau ? Ce n'est certainement pas faux. Quand vous disposez d'une journée, entre prendre le risque de vous rendre à ce lac et vous offrir un tour de la cité, nul n'a le tournis.
Premier constat en parcourant cette ville de trois communes : la transmutation. S'il y a trois ans, en 2021, Bunia comptait 6 kms de route bitumés, la ville en compte une vingtaine désormais, depuis l'état de siège. «Hier, les millions de $US de rétrocession que Kinshasa déversait mensuellement à Bunia étaient distribués à des personnalités locales par des personnalités de Kinshasa.
Aujourd'hui, ces millions vont aux infrastructures», assure un homme trouvé boulevard de Libération. «L'état de siège a transformé la ville et la province avec à la tête un gouverneur militaire, le Commandant des Opérations, le Lieutenant-Général Johnny Luboya N'kashama. Le Général fait honneur à l'État», poursuit-il.
À ceux qui craindraient de faire le voyage de Bunia pour son passé voire, pour son présent tragique, rébellions, milices communautaires, Simba, UPC, Union des Patriotes Congolais du Hema Thomas Lubanga, Codeco, Coopérative pour le Développement du Congo, groupement de milices composé de Lendu, mercenaires blancs, 1.800 soldats français d'une force d'initiative européenne Artémis dont ce fut ici la base, soldats onusiens de la Monuc, puis de la Monusco, etc., qu'importe ! Ils manqueraient une occasion de mettre un autre nom au mot résilience.
Certes, il faut encore beaucoup pour Bunia si la capitale de l'Ituri veut un jour concurrencer la grande ville de l'Est, Goma, que Mobutu, s'il revenait, aurait du mal à reconnaître hormis l'aéroport toujours en forme de gare routière qui remonte aux années Mathusalem, que nul ne comprend qu'il n'ait reçu à ce jour aucun coup de peinture quand tous les quartiers de la ville touristique du pays qui longe son lac deviennent Singapour par un incroyable boom immobilier placé sur la dernière lave en date déversée par le volcan Nyiragongo.
Nul ne voit ailleurs dans le pays autant de villas, d'hôtels, de duplex, d'immeubles ultra luxueux à plusieurs étages pousser tant à vue d' œil. Qu'importe ! Il faut le dire : la capitale de l'Ituri n'en serait pas loin.
Il suffit d'en voir le potentiel. Les firmes ou usines qui s'y implantent ou s'y sont implantées avec parfois des noms prestigieux: menuiserie semi industrielle, usines à goudron de la société I&I, Safricas et Mont Gabaon, usines d’eau minérale Canaan Water, Risac, La Vie, la firme Sokimo/Electrokimo si connue dans le monde qui produit l'or et l'électricité distribuée dans tout l'Ituri, l'abattoir industriel de Bunia, qui, sous Mobutu, fut le deuxième du continent, connu pour avoir été l’unique abattoir du Zaïre à approvisionner le pays en viandes de bœuf, de porc, en poissons du lac, etc., conservés avec respect par la chaîne du froid.
Reste ce que personne ne sait à Kinshasa : et si l'Est se construisait son avenir ?
Par l'érection de ses bâtiments, gigantesques et impressionnants, initiative du Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui assure avoir hâte à venir les inaugurer, l'Université de Bunia, par sa modernisation, fera concurrence à une multitude d'établissements universitaires du continent.
Comment oublier cette nouvelle porte d'entrée et de sortie aérienne de la ville et de la province et, qui sait, demain, du Congo, l'Aéroport de Murongo, à Bunia, en voie de se doter dans un tout proche avenir, de nouvelles infrastructures ? Nouvelle aérogare, nouvelle tour de contrôle, nouvelle caserne anti-incendie, nouveau tarmac, piste d'atterrissage et de décollage agrandie et élargie pouvant recevoir des avions de type Airbus A320, cela grâce à un préfinancement d'une firme locale, Mont Gabaon Sarlu Construction.
CES DÉFIS À RELEVER.
Certes, Bunia comme l'Ituri, a encore d'importants défis à relever qui n'existent pas (ou existent peu) ailleurs au Congo. Le vivre ensemble. La ville compte plusieurs tribus issues du territoire et des environs : les Biras, les premiers occupants de Bunia, arrivés avant l’époque coloniale, les autres (Walendu, Hema, Gegere, Nande, Lendu, Nyali, Alur, Lugbara, Lese, Kakwa, Ndoo, Ukebu, Kalikoo, etc.), viennent de différentes chefferies environnantes.
Si certains quartiers de Bunia sont multiethniques, la ville compte nombre d'aires protégées de peuplement nourrissant la haine ethnique. Les Hema se trouvent dans les quartiers Nord de Bunia, à Muzipela, Bakongolo, Bigo et Ngezi ; les Bira vivent dans les quartiers de Dele et de Hoho, commune de Mbunya ; les Nande ont choisi d'être essentiellement présents dans le quartier commerçant de Yambi Yaya.
La capitale de l'Ituri a connu de multiples affrontements interethniques armés. Des combattants Lendu et Bira fiers d'être les premiers occupants d'ici estiment se trouver chez eux, n'ont de cesse de s'attaquer aux Hema dont les membres sont fortunés, dominants, trop proches des régimes de Kigali et de Kampala.
Lors de la prise de la ville par l’UPC Hema, dans les quartiers Nord de Bunia à majorité Hema, des habitations des Bira et Lendu furent sauvagement saccagées et des membres des communautés Lendu, Bira et Nande tués par un groupe d’autodéfense de l’UPC porté par le général Bosco Ntaganda, de son vrai nom Rutaganda Ntibatunganya, un chef de guerre Tutsi rwandais, condamné à 30 ans de prison pour crime contre l'humanité, détenu à La Haye par la CPI.
En 2013, de mars à juin, a eu lieu à Bunia ce qui est désormais connu comme «la bataille de Bunia» lorsque des opérations de «nettoyage ethnique» furent conduites.
Le 4 septembre 2020, plusieurs dizaines de combattants de la milice Codeco, firent irruption dans le centre de Bunia. Ni les Forces armées loyales, FARDC, ni les forces onusiennes de la Monusco ne purent intervenir militairement. La milice exigea la libération de ses miliciens détenus dans la prison de Bunia. Après négociation, elle quitta la ville après avoir reçu des réserves de nourriture données par l'armée.
Après sa marche à pied quasi quotidienne, le Commandant des Opérations, le Gouverneur militaire, le Lieutenant-Général Johnny Luboya N'kashama, développe quelques récits.
Le mieux et le plus assurant : «N'ayez aucune crainte. Allez-vous promener dans la ville comme vous voulez. Moi, je fais le pied quand je veux et partout où je veux. Celui qui pense un jour me prendre doit savoir qu'il sera pris avant qu'il ne me prenne».
T. MATOTU.