- jeu, 02/05/2024 - 16:00
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1607|JEUDI 2 MAI 2024.
Les dirigeants rwandais dans le viseur des Occidentaux.
Son pays est l'un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Mais la France qui siège avec les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine, est le pays qui, depuis la nuit des temps, a mission de rédiger les projets de résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies sur la région des Grands lacs africains. Que son président Emmanuel Macron, après l'échange vif du 7 mars 2023 survenu à Kinshasa avec le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo au Palais de la Nation, siège de la présidence de la République, ait pu avoir des mots aussi forts, lors de la conférence de presse commune animée mardi 30 avril 2024 à Paris au palais de l’Élysée avec son homologue congolais en marge de la première visite officielle de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, dénote, le moins que l'on puisse dire, un changement d'attitude de la part des dirigeants français, européens, américains et d'ailleurs. Sur une question comme celle touchant au continent africain et, plus encore, aux Grands Lacs, Paris n’aurait jamais annoncé une telle position sans avoir au préalable harmonisé avec les autres plus grandes capitales, Washington, Berlin, Londres, Bruxelles, etc. Paul Kagame est-il dans le viseur des Occidentaux ?
«Rien ne doit être exclu». Une phrase très forte qui restera à jamais gravée dans la mémoire qui marque un virage. Une phrase qui n’aurait pu être prononcée à la légère par l'homme qui arme l'Ukraine contre la Russie jurant que cette puissance planétaire qui détient l’arme atomique ne pourra pas gagner la guerre face à l'un des tout petits pays dont elle a déjà arraché des territoires.
«Nous n’avons aucune difficulté à pointer les responsabilités. Je vais le dire avec le plus possible de clarté : la France condamne fermement l’action de tous les groupes armés et particulièrement l’offensive du M23 qui doit cesser les combats et se retirer des localités qu’il occupe (...). La France ne transigera jamais sur l'intégrité territoriale et la souveraineté de la République démocratique du Congo. (…). Nous pensons que le dialogue et la recherche de la solution diplomatique et sécuritaire est plus efficace à ce jour. Mais rien ne doit être exclu ».
Contre les dirigeants rwandais, toutes les hypothèses sont désormais sur la table ! Les sanctions certes mais pire, particulièrement, l'arrêt ou la suspension de toute aide. Une perspective que le Rwanda vivant de l'extérieur - un budget de 160 millions de $US en 2024 financé aujourd’hui à 40% par des aides extérieures - ne saurait supporter.
L’étude de Nsengiyumva Samson, un Rwandais de Huye, à Butare, parlait déjà en 2009 d’un « budget de l'État (rwandais) appuyé par l'extérieur à 30%. Cette situation n'octroie pas la liberté dans la planification et le suivi des dépenses publiques ».
Les déclarations publiques d’Emmanuel Macron arrivent fin avril 2024, quand Kigali vit les trente ans du génocide anti-Tutsi que le Secrétaire d'État américain, Antony Blinken reconnaît comme un génocide contre les Tutsis tout en ajoutant à ce génocide - c'est loin d'être anodin - les trois autres ethnies dont le discours public rwandais n'a jamais prononcé le nom, à savoir, les Hutus, les Twa et «autres».
L'ÉTAPE DE LA VÉRITÉ.
«Les États-Unis se tiennent aux côtés du peuple rwandais lors de Kwibuka 30, pour rendre hommage aux victimes du génocide. Nous pleurons les milliers de Tutsi, Hutu et Twa et autres dont la vie a été perdue au cours de 100 jours de violence indicible», a écrit sur son compte X (ex-Tweeter) le chef de la diplomatie américaine.
En diplomatie, chaque mot est pesé, chaque mot a un sens. Rien ne doit, ne peut être négligé. Les mots préparent les terrains, annoncent les actes. Cette évolution dans le choix de mots n'a-t-elle pas un sens dans la nouvelle compréhension américaine de la tragédie des Grands Lacs avec une ethnie majoritaire exclue « à jamais » du pouvoir ?
Kagame qui ne laisse jamais rien passer a compris le message américain. Il y a répondu pris de colère.
«Quand il s'agit du jour de la commémoration, qui est le 7 avril, auriez-vous la gentillesse de commémorer avec nous et de vous arrêter là ? Il y a 365 jours dans une année. Donnez-nous ce 7 avril, commémorez avec nous et ensuite, vous pourrez passer les 364 jours restant à nous blâmer pour tout ce que vous n’aimez pas - chez nous», a-t-il lancé sans retenue, signe de l'ampleur du choc inattendu.
Kagame dit sa surprise quand « il croyait avoir conclu, il y a dix ans, un accord avec les autorités américaines pour qu’elles ne critiquent pas l’anniversaire du génocide ».
Alors qu’on va sous presses, Le Soft International n'a pas vu une réaction américaine quelconque. Signe que Washington a minimisé cette réplique de Kagame. Cela en dit tout !
L'allié Kagamé des États-Unis et de nombreux dirigeants occidentaux, se conjugue-t-il désormais au passé alors que tous les rapports d'experts neutres dont ceux des Nations Unies sont sans équivoque, documentent avec la plus grande précision, l’implication, la présence des militaires rwandais au Congo, aux côtés de ses alliés du M23-AFC ?
En février, Washington avait exhorté Kigali de retirer ses troupes et ses systèmes de missiles de l’est du Congo, décrivant pour la première fois le M23 comme un groupe rebelle soutenu par le Rwanda. La ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib n'en a pas dit moins.
Mardi 30 avril 2024, lors de cette conférence de presse commune, Emmanuel Macron a appelé Kigali à « cesser tout soutien » aux rebelles du M23, à «retirer ses forces» du Congo.
Le chef de l'État français a évoqué un «engagement» du président congolais à «mettre fin aux agissements des FDLR», des rebelles hutu rwandais dont la présence depuis 30 ans dans l'est du Congo est dénoncée par Kigali.
«Nous sommes avec plusieurs autres alliés à vos côtés, vous le savez, pour mettre en œuvre cette avancée».
Saluant la médiation angolaise, Macron a souhaité «que d'ici à la fin de l'été, nous puissions avoir des initiatives pleinement conclusives pour sortir de la situation que vous connaissez depuis trop de temps».
Le président congolais a hautement apprécié cette nouvelle posture.
«Ce qui a le plus retenu notre attention (lors de cette rencontre, ndlr), c'est l'engagement encore plus grand de la France aux côtés du peuple congolais» pour trouver une issue au conflit avec le Rwanda (...). «Le Congo peut compter sur la France, qui sera à (ses) côtés pour trouver » la paix, sentant «une lueur d'espoir pointer à l'horizon (...). Nous avons été poignardés dans le dos (...) J'ai été payé en monnaie de singe (…). Il ne sera possible de discuter avec le Rwanda qu'une fois que son armée aura quitté le pays ».
Si Kagame invoque un M23-AFC qui se bat pour les droits des Tutsis congolais, nul doute, «enough is enough» (trop c'est trop), rien de tout cela ne paraît plus passer dans les chancelleries du monde.
Les Grands Lacs sont-ils arrivés à l'étape de vérité ?
Outre la France et les États-Unis, dans le cadre du Conseil de Sécurité dont la mission est de «maintenir la paix et la sécurité internationales, de développer entre les nations des relations amicales, de réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux et en encourageant le respect des droits de l'homme, d'être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes», mais dont surtout «le rôle central pour les sujets liés au maintien de la paix et de la sécurité internationales (est) d'imposer des sanctions ou encore autoriser des États à employer la force contre un autre État en cas d'agression», il faut noter l'attitude des deux autres membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, la Russie et la Chine.
Pays le plus doté au monde en minerais stratégiques ou critiques - cuivre, cobalt, lithium, germanium, outre les fameux « 3T », étain (cassitérite), tungstène (wolframite), tantale (coltan) - qui aident à la modernisation et à la mitigation du changement climatique tant réclamé par la terre entière - l'heure a certainement sonné pour que Kinshasa hausse le ton en faisant prendre conscience.
C'est à quoi s'attelle le président congolais en optant pour un discours guère entendu à ce jour et très apprécié des Congolais.
Le 11 décembre 2023, en pleine campagne électorale, lors d'un meeting à Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu, à la frontière du Rwanda, il avait mis en garde Paul Kagame, sous les applaudissements du public, le comparant à Adolf Hitler lui promettant le sort du chef nazi.
«Je vais m'adresser au président rwandais Paul Kagame pour lui dire ceci: puisqu'il a voulu se comporter comme Adolf Hitler en ayant des visées expansionnistes (au Congo), je lui promets de finir comme Adolf Hitler».
Une posture, nul doute, que le président ne peut jamais perdre face à Kagame.
LE SOFT INTERNATIONAL.