Parlement congolais: efficacité ou anarchie?
  • lun, 27/11/2017 - 06:18

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES
Le Parlement congolais s’anime actuellement autour d’un débat dans lequel s’affrontent, d’une part, les partisans d’une loi électorale ayant pour base le mode de scrutin proportionnel intégral, visant à donner à chaque parti politique un nombre de sièges proportionnel au total des suffrages qu’il a obtenus sur l’ensemble d’un territoire donné et, d’autre part, ceux qui estiment que ce mode de scrutin, tout en gardant son caractère proportionnel, devrait être tempéré par l’introduction d’un seuil minimal pour être élu.
Comme à l’accoutumée, ce débat risque d’être complétement travesti si l’on n’y met pas un peu d’objectivité, de modération, voire de rationalité. J’ai lu, à gauche et à droite, des textes criant au retour du «Mobutisme et du Parti-Etat». Cet extrémisme verbal est bien évidement dérisoire mais le sujet lui-même mérite une explication.
De quoi s’agit-il?
Un peu d’histoire pour comprendre.
La Constitution de la République Démocratique du Congo et la loi électorale qui nous régissent aujourd’hui, sont le fruit de notre histoire.
En fait, historiquement, ces deux fondements juridiques de notre jeune démocratie sont venus, avant tout, comme réaction à la pratique dictatoriale du régime Parti-Etat mobutiste. Il faut également considérer les conditions de sortie des conflits ayant émaillé notre pays de 1996 à 2003.
Ces deux textes ont été rédigés dans le souci d’éviter les excès qui ont caractérisé la période allant de 1965-1990. Il fallait aussi tenir compte des minorités qui s’étaient exprimées au cours des guerres de 1996, jusqu’à l’installation du système 1+4. Une première réaction de rejet du mobutisme s’exprime, dans notre Constitution, à travers les dispositions de la Loi fondamentale destinées à prendre le contre-pied de la pratique de centralisation du dictateur. Dans la loi électorale, cette même préoccupation se reflète dans le mode de scrutin proportionnel, dont le choix s’explique par le besoin de voir toutes les tendances politiques existantes, dans la société congolaise, s’exprimer au sein de l’Assemblée Nationale. Jusqu’ici, il n’y a aucun mal, les règles de la démocratie classique sont respectées.
L’expérience de gouvernance de ces dernières années.
Tout observateur attentif de la scène politique congolaise a dû constater que ces instruments du «pouvoir du peuple par le peuple», qui fonctionnent à merveille dans les nations où les partis, en nombre limité, s’organisent autour des idéaux précis, s’avèrent porteurs de quelques aspects négatifs dans leur mise en pratique dans un environnement politique comme le nôtre.
Au niveau de la Constitution, la décentralisation, au lieu d’être le système du rapprochement des décideurs des administrés et aiguillon du développement, se révèle un mécanisme d’installation d’instances privilégiant des affrontements ethniques.
On a vu des gouvernements provinciaux tenter d’exclure des non-originaires de la province de leurs administrations publiques sous le prétexte qu’ils ne seraient plus chez eux. Dans certaines situations, lorsqu’il se trouve que la Province est mono-ethnique, ce sont les tribus ou les clans, sous l’incitation des politiciens, qui s’opposent les uns aux autres. Pire encore, même dans les provinces présentées comme mono ethnique, des velléités de séparation s’expriment déjà après moins de trois ans de pratique. Chacun trouve toujours une raison pour se séparer des autres. Sur un autre plan, contents du pouvoir reçu, mais refusant d’assumer la responsabilité qui va avec, les gouvernements provinciaux s’évertuent à tout attendre du gouvernement central.
A ce jour, la décentralisation semble incomprise et a eu comme seul effet ce que l’on pourrait qualifier de «sur-gouvernance», c’est à dire une multiplication d’autorités provinciales et, bien sûr, des charges qui n’apportent aucun avantage concret dans le développement des nouvelles entités décentralisées instituées.
Pour ce qui concerne la loi électorale, la possibilité qu’offre le mode de scrutin proportionnel de voir toutes les tendances politiques existantes dans la société se retrouver à l’Assemblée Nationale, a eu un effet pervers suffisamment grave. Ce détournement du sens de la loi a convaincu les politiciens véreux de multiplier des tendances artificielles pour s’aménager des places à l’Assemblée. Ceci a eu pour conséquence l’émiettement des groupes politiques qui entraîne des difficultés pour la constitution d’une majorité cohérente et capable d’une bonne gouvernance pour la République.
La démocratie congolaise a enrichi la typologie des partis que nous présente la science politique avec un nouveau genre de parti: les Partis/personne ou encore Parti/propriété privée. Dans cette catégorie particulière, le parti politique n’est plus un ensemble d’hommes ou de femmes qui se réunissent pour prendre le pouvoir ou l’influencer dans le but d’atteindre une certaine forme de société idéalisée, il devient un simple instrument destiné à défendre les intérêts d’un propriétaire ou, à la limite, d’une ethnie particulière.
Il ne s’agit pas pour moi d’ignorer le poids des personnalités emblématiques, capables de modifier, par leur seule présence, une situation; l’histoire a connu beaucoup de ces personnalités emblématiques, mais chez nous, le phénomène se transforme en une véritable perversion. L’expérience vient de montrer que cette forme de patrimonisation des partis politiques ne favorise guère l’instauration de coalitions pour un gouvernement efficace.
Il va sans dire que les effets d’une décentralisation mal digérée, couplés aux conséquences de l’émiettement de la classe politique et de l’apparition des partis/personnes, empêchent toute gouvernance efficace.
Pour que la démocratie s’exprime et donne le meilleur d’elle-même, le gouvernement en place doit s’appuyer sur une majorité parlementaire cohérente, cimentée par une idéologie commune, sinon à tout le moins, assise sur un programme politique issu des valeurs partagées, débattues et acceptées comme base de travail. Un Parlement trop émietté ne peut satisfaire à cette condition essentielle à la bonne marche d’une nation.
Le temps du choix a sonné.
La Constitution institue le multipartisme en RDC, c’est une donne irréversible. Est-ce à dire que nous avons institué le «micropartisme»?
Ceux qui s’accrochent aujourd’hui au mode de scrutin proportionnel intégral, en pensant ainsi batailler pour la démocratie, se trompent de combat.
Un Gouvernement rendu inefficace par l’obligation de négocier tout avancement avec une multitude de partis et de personnalités diverses, ne saurait être efficient.
Crier au «Parti-Etat» lorsqu’on cherche à rationnaliser un système politique est une trahison de la démocratie que l’on prétend défendre. S’opposer à l’introduction d’un seuil minimal de 3 % des suffrages exprimés dans un pays où le corps électoral est estimé à environ 45 millions de personnes, c’est avouer que son parti est incapable de recueillir les votes de 1.350.000 personnes.
Il faudrait alors en tirer les conséquences.
A ces compatriotes réfractaires à la rationalisation de notre démocratie, il faut répondre que l’introduction du seuil minimal ne nous ramènera pas au «parti unique». Bien au contraire, cette donne nous conduira à un système politique où de véritables partis, assis sur des idéologies ou des programmes identifiables, permettront au peuple congolais d’opérer des choix rationnels.
Notre faible niveau de développement économique et les nombreux défis que nous avons encore à relever nous imposent des réorientations, voire des sacrifices. Parmi ceux-ci, figure cette part de liberté que chacun de nous doit céder pour unir ses forces à celles des autres au sein des partis politiques importants et véritablement porteurs d’espoir. Les mini-partis ne peuvent se comparer aux grands ensembles, l’histoire en témoigne.
L’homme politique responsable et soucieux de l’avenir de la nation doit savoir se débarrasser de son égocentrisme et de ses intérêts immédiats, claniques, tribaux ou autres.
La RDC et notre démocratie se porteront mieux si nous nous unissons au sein des grands partis politiques basés sur des projets allant bien au-delà de nos petites personnes.
La renaissance et l’émergence de notre nation ont là un passage obligé : celui du choix des responsabilités face à celui de l’irrationalité dont l’abîme est l’ultime précipice.
Prenez vos responsabilités devant l’histoire
par J.P. KAMBILA KANKWENDE.


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