- mar, 07/03/2023 - 09:03
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1577|lundi 6 mars 2023.
Cela faisait longtemps que le président français avait été invité par son homologue congolais à se rendre au Congo pour une visite officielle. Pour des raisons d’agenda et certainement de Covid-19, Emmanuel Macron a foulé finalement le 3 mars 2023 peu avant minuit le sol congolais mais au plus mauvais moment politiquement pour Paris. Quand sur le Continent, l'image de l'Hexagone suscite un rejet, que la guerre en Ukraine fortement soutenue par l'Occident qui ignore les guerres en Afrique et, peut-être, les encourage en y trouvant quelque intérêt, voilà qui pousse des pays du continent à prendre ouvertement position pour la Russie. Pour le Congo, il y’a surtout le grand soutien que Paris apporte au Rwanda dont l'armée Rwanda Defence Force occupe, tue, exploite des territoires entiers riches de minerais rares de la province du Nord-Kivu via une rébellion majoritairement tutsie du M23 défaite en novembre 2013 par l'armée congolaise, ressuscitée et armée fin 2021 par le Rwanda.
À la veille de la visite du président français en Afrique centrale, Libreville, Luanda, Brazzaville, Kinshasa, des mouvements citoyens ont organisé des manifestations devant l'ambassade de France dans la capitale.
« Macron assassin, Poutine au secours », «les Congolais disent non à la politique de la France », « Macron indésirable en RDC », pouvait-on lire sur des pancartes qui ont fait écho dans les médias français. Vendredi soir, à la sortie de l'aéroport, quelques jeunes ont aussi tenté de s'en prendre à son cortège.
À en croire un sondage de l'Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, Ebuteli, du GEC et du Bureau d'études, de recherches et de consulting international, Berci, moins de 30% des Congolais ont une bonne opinion de la France.
AU PIRE MOMENT DE L’HISTOIRE ENTRE LES DEUX PAYS.
« Il y a un vrai décrochage de l'image de la France dans ce pays. Je parle de décrochage parce que ça n’a pas toujours été le cas. Lors du premier sondage en 2016, 71% des sondés estimaient que la France jouait un rôle plutôt positif ou positif au Congo. Elle était deuxième de la liste, juste derrière les États-Unis d'Amérique. On voit donc qu'en l'espace de sept ans, la chute est vertigineuse», commente Pierre Boisselet, coordinateur des recherches à Ebuteli. Un décrochage lié au manque de prise de position ferme de la part de Paris sur la guerre au Kivu. « Ces 30% des sceptiques sont désespérés par l'impression qu’ils ont que la France n'en fait pas assez pour soutenir la RDC. C’est ce qui suscite la défiance de beaucoup de jeunes Congolais vis-à-vis d’Emmanuel Macron», surenchérit le politologue d'origine congolaise, Alfred Tumba Shango Lokoho, professeur à Paris à la Sorbonne.
En recevant le 12 avril 2019 à Paris, le président fraîchement élu Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui lui fit part de son intention de l’inviter à visiter le Congo, Emmanuel Macron ne s’imaginait pas que son voyage dans la capitale du plus grand pays francophone du monde en termes de superficie, le deuxième, après la France, en termes de locuteurs, aurait lieu au pire moment de l’histoire entre les deux pays.
L’histoire rappelle la visite particulièrement chaleureuse du couple Giscard d’Estaing reçu triomphalement le 7 août 1975 par le couple présidentiel zaïrois au stade du 20 mai à Kinshasa devant tout un pays réuni.
Près de cinquante ans plus tard, la France qui sauva le Zaïre de l’une de ces guerres que connaît avec récurrence notre pays - «la guerre des quatre-vingts jours» ou la première guerre du Shaba, celle des «ex-gendarmes» katangais venus d’Angola, en faisant sauter le 19 mai 1978 sur Kolwezi 405 parachutistes du 2ème REP (Régiment Étranger de Parachutistes) et 250 autres le lendemain, a pris désormais fait et cause, pour le pays agresseur, le Rwanda.
Est-ce la suite du génocide rwandais, crime perpétré en 1994 au Rwanda dans lequel la France a été continuellement accusée par le régime de Paul Kagame pour son opération Turquoise au cours de laquelle des génocidaires Hutu furent protégés ?
Comment ne pas s’étonner de cet appui français à tout ce qui tient désormais au régime de Paul Kagame ?
En décembre 2022, c’est la France qui poussa l’Union Européenne à fournir à l’armée rwandaise une aide militaire de 20 millions d’euros pour sa présence au Mozambique quand cette armée est accusée dans des rapports des experts des Nations Unies d’être engagée avec les rebelles du M23 dans l’agression des territoires congolais et l’exploitation de ses minerais.
Comment ne pas s’interroger sur les raisons qui ont poussé Emmanuel Macron à imposer la candidature d’une Rwandaise à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie, OIF, l’ancienne ministre des Affaires étrangères Louise Mushigiwabo proche du président rwandais en refusant avec force un deuxième mandat à la Canadienne d'origine haïtienne Michaëlle Jean et en faisant reconduire la Rwandaise à son poste comme candidate unique, lors du sommet de l’île de Djerba en Tunisie, le 19 novembre 2022, quand on sait que le Rwanda n'est plus forcément un pays francophone depuis que Paul Kagame a pris le pouvoir?
LA FRANCE TROP ENGAGÉE AUX COTES DU RWANDA.
« L’unité, la souveraineté, l’intégrité territoriale du Congo ne se discutent pas », avait déclaré Emmanuel Macron lundi 27 février, deux jours avant le début de son voyage en Afrique centrale sans s'exprimer sur la responsabilité du Rwanda contrairement aux États-Unis qui, le 5 janvier 2023, avaient réitéré leur appel au Rwanda de cesser tout soutien au M23.
« Prenant note des preuves claires du soutien rwandais au M23 et des rapports crédibles de graves violations des droits de l'homme par le M23, nous réitérons notre appel au Rwanda pour qu'il cesse tout soutien au M23 et retire ses troupes de l'Est de la RDC », a écrit un communiqué du département d’État américain. En voulant dévoiler sa vision sur l'Afrique («la stratégie diplomatique et militaire de la France en Afrique»), Emmanuel Macron a qualifié les guerres en Afrique de «régression inacceptable».
«Les mots ne suffisent pas du tout», a réagi sur France 24 le Vice-premier ministre congolais en charge des Affaires étrangères, Christophe Lutundula Apala Pen'Apala, ajourant : «C'est ce qui est dit tout le temps. Cela procède du classique. Il a déjà dit ça plusieurs fois mais les résultats ne sont pas au rendez-vous».
À l’Élysée, Emmanuel Macron avait parlé de la nécessité d’«une réponse collective». En clair, une réponse régionale qui s'appuie sur les processus de paix de Luanda et de Nairobi qui parlent «de désescalade» pour les deux pays.
Problème : pas un Congolais ne croit trop à ces accords.
D. DADEI.