- mer, 24/09/2025 - 15:32
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES. Le Soft International N°1645 | MARDI 23 SEPTEMBRE 2025 |
L’un des hommes politiques des premiers plans au Congo, l'homme des contacts, l'homme des réseaux, a-t-il oublié la phrase sagesse de l'un des hommes politiques français des premiers plans Jean-Pierre Chevènement : « Un ministre (un homme d'État) ça la ferme ou ça s'en va » ? Il avait tout, il suffisait de…
Pourquoi parle-t-il tant en politique avec une indépendance gênante ? Exemple (parmi mille) : cette affaire des députés partis le voir le 15 juin 2025 à son bureau pour lui dire que l'armée a commis un massacre à Moba, dans le Tanganyka et a tué 138 civils, et, clac, retour à la plénière et, sans rien vérifier auprès d'aucune autorité locale ou nationale, Vital Kamerhe, VK, balance en direct sur la télé avant de se faire démentir le lendemain vertement par le porte-parole de l'armée, le Général-Major Sylvain Ekenge, par le gouverneur Christian Kitungwa Muteba et de rétropédaler par un communiqué de son Directeur de cabinet ? Qu'est-ce que cela indique politiquement ? Est-on ensemble ou chacun est de son côté, se préparant pour la guerre à venir ?
Cela lui arrive pour la énième fois. Pourquoi cela touche tant Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi Nkingi ? Extrait d'une Histoire du Congo, de Mobutu à Tshisekedi, Ce que je sais, éd. Paris, par Tryphon Kin-kiey Mulumba.
J’ai rencontré Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi Nkingi pour la première fois en 2002 à Sun City. Dans cette magnifique cité touristique d’Afrique du Sud se tient le Dialogue inter-congolais. Kamerhe, un homme de contacts et de réseaux. Un homme captivant. Un vrai séducteur.
L’assassinat à Kinshasa le 16 janvier 2001 du président Laurent-Désiré Kabila change tout au Congo. Après sa prise du pouvoir le 17 mai 1997, Laurent-Désiré Kabila se sépare en juillet 1998 de ses alliés militaires régionaux rwandais et ougandais principalement. Ceux qui l’avaient aidé dans la guerre et qu’il avait incorporés dans l’armée nationale et dans les services de sécurité. A-t-il signé son arrêt de mort ?
La mort le surprend alors qu’il se trouve en séance de travail à son bureau quand son garde du corps Rachidi Kasereka arrive et l’abat. Tant qu’un procès n’aura pas eu lieu, il sera difficile de savoir qui a commandité cet assassinat et pourquoi d’autant que le jeune soldat qui a porté ce coup fatal a été abattu peu après par Eddy Kapend, l’aide de camp du président.
Mais le renvoi dans leurs pays de soldats rwandais et ougandais donne naissance à une nouvelle rébellion. L’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre, Afdl, a passé la main à l’Est au Rassemblement Congolais pour la Démocratie, RCD, appuyé par le Rwanda et, au Nord c'est le Mouvement de Libération du Congo, MLC, soutenu par l’Ouganda qui prend place. Les deux rébellions occupent peu à peu plus de 50% du territoire national. Elles mettent en place des structures de collecte d'impôts. S’il passe pour celui qui a donné naissance à cette deuxième guerre, Laurent-Désiré Kabila s’érige en même temps en obstacle à toute solution de paix. Il rejette tout accord de paix dont celui de Lusaka signé le 10 juillet 1999 par notamment l’Angola, la Namibie, le Rwanda, l’Ouganda, le Zimbabwe visant à mettre fin à la deuxième guerre du Congo.
UN DUO DE RÊVE.
Avant le coup fatal de Rachidi Kasereka, plusieurs tentatives d’attentats sont déjouées mais la situation du pays ne cesse de virer au chaos. Dans la capitale, la pénurie de carburant s’installe, le dollar - la devise la plus consommée - devient introuvable, un rapport de l’ONG américaine Rescue Commitee fait état de 2,5 millions de morts dans le pays, de 2 millions de déplacés internes, de 1 million de personnes privées de toute aide humanitaire. Alors que la perspective d’une mise du pays sous tutelle internationale paraît de plus en plus possible, la mort du président a ouvert une nouvelle page.
Commandant en chef de l’armée de terre, son fils, Joseph, âgé de trente ans, est choisi pour succéder à son père. Les proches du défunt le présentent comme le seul homme à même d’assurer le consensus et de trouver le compromis.
Joseph Kabila annonce des mesures qui vont dans le sens de ce qu’attend l’Occident rejoint par la sous-région : libéralisation de la circulation des devises, loi sur les investissements, abolition des prérogatives de la très redoutée Cour d’ordre militaire, liberté de fonctionnement des partis politiques, ouverture du dialogue inter-congolais avec la levée des obstacles dressés à la mission de l’ancien président botswanais Ketumile Masire désigné médiateur par l’Union Africaine, etc.
Après une audience de quatre heures accordée à l’ambassadeur américain, Joseph Kabila est invité par le président George W. Bush à Washington. En se rendant aux États-Unis, le jeune président s’arrête dans deux capitales clés : Paris à l’invitation du président Jacques Chirac et Bruxelles où le premier ministre belge Guy Verhofstadt le reçoit. Partout tapis rouge.
Washington, Paris, Bruxelles qui avaient mis à l’index Laurent-Désiré Kabila veulent donner sa chance à son successeur. Ces trois capitales appellent le jeune président à mener son pays à la paix qui passe par un dialogue préalable que l’Afrique du Sud accepte d’accueillir et de financer.
À ce dialogue, le professeur Guillaume Samba Kaputo, docteur en science politique qui, sous Mobutu, a été plusieurs fois gouverneur dans plusieurs provinces et ministre, passe pour le plus qualifié des Katangais qui entourent le jeune président.
Guillaume Samba Kaputo forme avec Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi Nkingi un duo de rêve à la tête de la délégation gouvernementale.
Samba Kaputo est conseiller spécial du président en matière de sécurité. Commissaire général adjoint du gouvernement chargé des relations avec la mission onusienne MONUC, puis commissaire général du gouvernement chargé du suivi du processus de paix dans la région des Grands lacs, Kamerhe est à Sun City dans son rôle.
Il se fait appeler « l’attaquant de base et de pointe » pour sa virulence contre une délégation de la rébellion du RCD-Goma déplorable.
J’ai rencontré Kamerhe plus tard à Kigali où je séjourne au lendemain de la signature le 16 décembre 2002 à Pretoria de l’Accord global et inclusif mettant fin au dialogue de Sun City. Après que j’ai fait mes adieux au RCD-Goma après les massacres de policiers congolais perpétrés à Kisangani que j’ai dénoncé avec virulence, j’ai regagné la Belgique où j'ai trouvé refuge. Le Rwanda est à la veille d’une campagne électorale quand je me trouve à Bruxelles, à l’hôtel Hilton (aujourd’hui The Hotel), face à une délégation de haut niveau dépêchée par le Gouvernement rwandais. Elle m’assure que le Gouvernement rwandais regrette que j’aie quitté le RCD-Goma alors que j’aurais pu occuper une importante charge dans l’équipe gouvernementale mise en place à Kinshasa après le dialogue. Elle m’explique que le Rwanda prépare des élections. Le pays a besoin d’être « accompagné » par un homme des médias, un professionnel qui dispose d’une expérience politique avérée.
Une phrase me retient fortement : « Finalement, nous avons compris à Kigali que le Rwanda est un pays francophone. Il nous faut nous adresser au pays en français ».
Si je demande le temps de réflexion, j’ai déjà pris ma décision. Le Rwanda est un pays voisin à l’Est de mon pays. Deux guerres qui ont chassé deux présidents à l’Ouest, à Kinshasa sont venues de l’Est. L’Est demande à être mieux connu et mieux compris par un homme politique de l’Ouest. Retourner sur le continent, à la frontière Est de mon pays, m’aiderait à mieux comprendre et mieux maîtriser nombre de phénomènes qui assaillent le Congo et la sous-région. Je me rends au Rwanda où je renforce mes équipes de travail avec des collaborateurs dont certains venus de Kinshasa.
Nous sommes en 2004. À Kigali, Kamerhe que je rencontre dans une salle d’attente de la résidence officielle du président rwandais, faisait partie, avec Augustin Katumba Mwanke, d’une délégation officielle dépêchée par le président Kabila auprès de Paul Kagame.
À ce Palais d'Urugwiro en plein centre de Kigali où je mets mes pieds pour la première et la dernière fois sans y voir son locataire, je m'aperçois que les Rwandais ont voulu me montrer que les communications entre Kinshasa et Kigali sont actives.
Nous sommes au lendemain du massacre du 13 août 2004 des réfugiés Tutsis Banyamulenge au camp de transit de Gatumba, au Burundi, près de la ville d’Uvira. Le bilan est tragique : 160 Tutsis Banyamulenge pour la plupart des femmes et des enfants tués à la machette, à l’arme automatique, brûlés vifs, des corps mutilés, décapités par des combattants qui tapaient sur des tambours et chantaient «alléluias»; plus de 100 blessés. Le FNL, les Forces pour la Libération Nationale du Burundi, revendique ce massacre auquel, selon certaines sources, des Interahamwe rwandais ont pris part.
Ce massacre fragilise le processus de paix. Le Rwanda et le Burundi menacent d’envoyer des troupes au Congo afin d’en poursuivre les auteurs. La rébellion Tutsie Banyamulenge de Laurent Nkunda promet de renverser le gouvernement de Kinshasa qui « massacre son propre peuple ». Kinshasa réagit qu’il opposera une réponse « si les troupes rwandaises et burundaises franchissent la frontière ». Le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Union Africaine, la SADEC, etc., appellent toutes les parties à faire montre de retenue et à prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir toute détérioration de la situation dans la région. Il faut renouer les contacts.
Kamerhe qui a, depuis, pris le nom de « Le pacificateur », est à l’œuvre même si certains lui refusent cette appellation. Lui qui, pour être, pour rester, pour perdurer, a nargué tout et tout le monde. Lui qui a livré les batailles les plus féroces. Même contre ce Rwanda, pays qu’il connaît le mieux, dont il se dit le plus proche, dont il parle la langue, qu’il a retrouvé le 13 mars 2019 après la victoire à la présidentielle de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Lui qui est revenu à Kigali le 26 mars 2019 aux côtés du Président de la République. Toujours avec la même chaleur.
Augustin Katumba Mwanke avait prédit un destin funeste à Kamerhe. Un destin qui paraît tant hanter cet homme.
Samedi 20 juin 2020, à la chambre foraine de la prison centrale de Makala, un jugement est tombé : vingt ans de travaux forcés, dix ans de non-éligibilité après l’accomplissement de la première peine.
Au total : une peine de trente ans. Outre la confiscation des fonds et des biens meubles. Une catastrophe !
Comment cet homme en est-il arrivé là, lui qui a tout été, a fait tant rêver ? Comment en est-il arrivé à cet exploit ? Il y a une opinion pour contester le verdict, croire à un procès politique.
Augustin Katumba Mwanke avait eu l’honneur, me dit-il, de me recevoir en tête-à-tête deux fois. Deux jours durant d’affilée. Une première fois à son minuscule bureau officiel de deux bâtiments qui sont des salles de classe désaffectées d’une concession privée de Procoki cédée à l’AMP, l’Alliance de la Majorité Présidentielle. Quatre heures durant. Une seconde fois, le lendemain, à quelques encablures de Procoki, à nouveau quatre heures, dans une autre minuscule pièce qui lui servait de bureau dans une petite bâtisse contiguë de son habitation, non loin de la Jewels International School of Kinshasa, l’école indienne de Kinshasa.
La première fois, le tout puissant «Vice-président de la République» sinon «le Président de la République en personne» - ainsi l’appellent les chancelleries - vissé dans un fauteuil quelconque, fond en larmes devant moi quand il évoque la mort de Guillaume Samba Kaputo en août 2007. Une mort survenue en Afrique du Sud, officiellement, des suites d’un arrêt cardiaque. Puis, il m’annonce sa décision de quitter son poste de Secrétaire exécutif de l'Alliance de la Majorité Présidentielle, AMP.
« Prof, je n’en peux plus avec ces traîtres qui siègent au Bureau politique » de l’AMP, me dit cet homme trop puissant mais aussi trop détesté au point où quand il perd la vie, en février 2012, dans un mystérieux crash aérien survenu à l’atterrissage d'un jet privé, sur la piste de Kavumu, à Bukavu, au Sud-Kivu, à bord duquel il avait pris place, ses amis ne veulent pas laisser son corps passer une nuit dans la capitale, Kinshasa. Déjà, quand cette nouvelle avait été annoncée à ce Bureau politique réuni à Kingakani, nul de la trentaine de convives qui s'y trouvaient n’avait fait montre d'une quelconque émotion. Réunis autour de Joseph Kabila à sa ferme, tous s’étaient contentés du repas auquel ils avaient été conviés avant de reprendre le chemin retour alors que le président affligé s’était isolé. Un parfait débarras nul doute.
Son corps transféré le surlendemain à Kinshasa, une stricte et courte séance a suffi au Palais du Peuple.
Son vieil ami Évariste Boshab Mabudj adresse, sur les marches du siège du parlement, une violente oraison funèbre contre la classe politique kinoise avant que le corps ne soit aussitôt exfiltré dans la plus grande discrétion vers l’aéroport. Direction Lubumbashi avant Pweto, sa ville où il repose. Boshab est de toutes les étapes.
IL AFFRONTE LE SPHINX.
À Kinshasa, il n’y avait aucune de ces éternelles séances d’adoration des morts reconnus qui se déroulent dans le lobby du Palais du Peuple, lors des veillées mortuaires, avec le défilé de différentes couches du pouvoir devant le corps et la succession des cultes. Ce jour-là, j’avais préparé une gerbe de fleurs à poser sur le cercueil de celui qui fut souvent un voisin de strapontin lors des plénières de l'Assemblée nationale. Mais cette séance de gerbes de fleurs ne fût pas au programme.
Le jour de la rencontre dans la concession de Procoki, Augustin Katumba Mwanke m’explique que la politique ç’en était fini pour lui. Que désormais, il avait décidé de consacrer sa vie à protéger « le Chef, le Raïs ». Il ne voulait plus se mêler des hommes politiques... « Je dois protéger le Raïs. Car Vital vient de tuer Guillaume. Il ne va pas manquer d’éliminer le Chef... Je ne peux pas accepter».
Face à une telle grave accusation, je perds ma voix. Comment Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, aurait donné la mort au conseiller spécial du Président en matière de sécurité ? «Vital a mis Guillaume dans un tel état que Guillaume a fini par craquer. Mais, Vital va marcher à pied dans cette ville, ici à Kinshasa. Croyez-moi... » ! Des phrases qui glacent le sang, répétées à l’envi.
À nouveau, pourquoi et comment Kamerhe aurait-il agi pour faire «craquer» un conseiller spécial du Président en matière de Sécurité ? En même temps, comment un homme, fût-il Katumba Mwanke, peut-il prédire l’Enfer à un autre homme et, en plus, à un acteur politique majeur ? Qui est-il pour prophétiser un tel destin funeste à un autre ? Face à cette éminence grise incontournable du Président, je ne fais qu’écouter.
Plus tard, en réfléchissant, j’essaie de comprendre sur ce qui a pu se passer entre Vital et Guillaume. Vital avait-il pris Guillaume la main dans le sac avant de lui faire du chantage, de le traîner dans la boue ?
Au lendemain du Dialogue de Sun City, Guillaume aurait-il empêché Vital à prendre l’une des quatre vice-présidences du régime 1+4 qui revenait, dans le fameux «partage équitable et équilibré», à la plate-forme Gouvernement, préférant la confier à un homme de l’Ouest, l’ami des années noires du père disparu, Abdoulaye Yerodia Ndombasi ?
Pendant ces tours de passe-passe, Kamerhe qui avait co-présidé la délégation gouvernementale au dialogue de Sun City, avait dû se retrouver de justesse dans ce partage contraint de se contenter d’un maroquin de bas niveau, le ministère de l’Information et de la Presse qu’un ancien journaliste de radio résidant en Afrique du Sud, Barnabé Kikaya Karubi, avait sportivement accepté de céder.
Mais Katumba a plus d’arguments à me faire entendre. «Vital était des nôtres, m’explique-t-il. Il était prévu qu’il succède au Chef (dont le mandat arrivait à terme avant d’être miraculeusement prolongé, ndlr). Vital le savait. Il n’avait qu’à travailler et à attendre son tour. Le poste lui revenait de droit. Il a tout gâché. Il a commencé par tuer Guillaume. Il ne restait qu’à éliminer le Chef. Ça, je ne peux l’accepter... ».
Je l’écoutais longtemps longuement, sans réagir sauf pour dire à cet homme de petite taille, physiquement frêle, qui s’asseyait sur la dernière rangée de l’hémicycle, que nombre de ses collègues à l’Assemblée nationale ne connaissaient pas tellement qu’il n’avait jamais pris la parole une seule fois, et qui n’attire pas de regard quand il passe dans les travées, que s’il voulait « vraiment protéger le Président », il n’avait pas à quitter son poste de Secrétaire général du Bureau politique de la Majorité Présidentielle, une structure qui enferme de grosses pointures susceptibles de faire mal à tout moment. Au contraire, il devait garder ce poste, travailler en interne à changer ceux qui y siègent, faire bouger les lignes de sympathie auprès de ce cercle et auprès des Congolais qui ne connaissaient pas son Chef. Katumba ne m’avait pas entendu. Il ne se passa pas une semaine qu’il officialisait son départ. L’annonce en fut faite un jour de décembre 2009 par son adjoint, un homme aux ordres, un Mobutiste repenti, Louis Alphonse Koyagialo Ngbase te Gerengbo qu’il désignait à sa succession mais dont l’avenir politique sera trop étrangement bref.
Si Koyagialo, Vice-premier ministre en charge des PTNTIC dans le Gouvernement Muzito, du 11 septembre 2011 au 6 mars 2012, dont j'ai repris la main, avant d’assurer l’intérim du Chef du Gouvernement, du 7 mars au 9 mai 2012, à l’élection de Muzito comme député, avait succédé le 10 juin 2013 comme vingt-huitième Gouverneur du Grand Équateur, à l’ex-abbé Jean-Claude Baende Etafe Eliko combattu comme jamais par l’élite politique de sa province, l’homme connu dans l’affaire du massacre du campus de Lubumbashi du temps où il fut gouverneur du Katanga sous Mobutu, ne prit jamais ses fonctions à Mbandaka. Deux mois plus tard, en septembre, il fut foudroyé par une maladie inconnue. Hospitalisé à Kinshasa, évacué en Afrique du Sud, il meurt le 14 décembre 2014 à Johannesburg.
Avec l’épilogue le 20 janvier à la prison de Makala du premier procès anti-corruption et de détournement des deniers publics qui a vu la condamnation d’un homme à vingt ans de travaux forcés et à dix ans d’inéligibilité, la prédiction de Katumba Mwanke est-elle en voie de se réaliser huit ans après la disparition de celui qui fut l’homme fort de la Kabilie et qui reste une référence aujourd’hui pour certains ?
Co-fondateur du parti présidentiel PPRD dont il fut le premier Secrétaire général de l’histoire, Kabila lui confie en 2006 la direction de sa campagne présidentielle. Au lendemain du triomphe électoral, Kamerhe se voit tout refuser mais parvient miraculeusement à enlever la présidence de l’Assemblée nationale par un vote massif des députés du PPRD et des opposants. Poussé à la porte de sortie trois ans plus tard par ses mêmes camarades du PPRD pour avoir critiqué l’appel fait par Kabila aux troupes rwandaises de venir au Congo se battre aux côtés des forces loyalistes contre des mouvements armés, Kamerhe se maintient à son poste trois mois durant mais doit abandonner son marteau quand ses co-équipiers s’éloignent de lui et démissionnent en bloc. S’il broie du noir, Kamerhe organise son rebond. Il crée une année plus tard en décembre 2010 son propre parti politique, UNC, l’Union pour la Nation Congolaise, avant de se porter candidat à la Présidentielle du 28 novembre 2011. Les chiffres officiels de la Commission Électorale Nationale Indépendante, CÉNI, lui accordent 7,74 % des voix. Résultat dont il se dit fier.
Il a affronté l’opposant de tous les temps, Étienne Tshisekedi wa Mulumba appelé aussi «le Sphinx». Il a refusé de former avec lui un ticket hostile à son ancien mentor Kabila dont il conteste néanmoins la victoire, reconnaissant celle du « Sphinx » arrivé second, selon la CÉNI.
Qu’importe ! Celui qui, en politique, a fait ses premières armes au Frojemo (Front des jeunes mobutistes du MPR-parti-État) et que des camarades du campus de Kinshasa accusent d’avoir joué un rôle d’« informateur » des services de sécurité, rejoint en 1983 les jeunes partisans de l’UDPS d’Étienne Tshisekedi.
Quand le régime Kabila fait face à une crise politique sans précédent et prépare un « glissement » de mandat, Kamerhe prend la tête d’un groupe de personnalités de l’opposition qui participe en septembre et en octobre 2016 à un énième dialogue, celui de la Cité de l’Union Africaine boycotté par toutes les têtes couronnées de l’opposition occupées à une grande rencontre qui ouvre ses travaux en juin 2016 à Genval dans une banlieue cossue de Bruxelles.
Kamerhe s’était laissé convaincre par le médiateur de l’Union Africaine, le Togolais Edem Kodjo que Kabila lui donnerait la direction du Gouvernement qui en sera issu mais ce poste va à l’un des membres de sa délégation. Le 17 novembre 2016, l’ex-UDPS Samy Badibanga Ntita est nommé Premier ministre contre toute attente. Kamerhe est littéralement effondré !
Mais la crise perdure et, face à son ampleur, les évêques catholiques ayant activement saisi la rue, réclament un plus large consensus... Très fortement contesté par l’opposition, Kamerhe monte néanmoins en puissance, rallie le dialogue des ecclésiastiques. Le dialogue du Centre inter-diocésain qu’a rejoint le Rassemblement de Genval qui donne lieu à l’Accord de la Saint-Sylvestre. Mais, à nouveau, le 18 mai 2017, Kamerhe loupe la primature. Si l’Accord de la Saint-Sylvestre désigne Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo comme futur Premier ministre à nommer par le président, rebelote, la Primature va à un autre ex-UDPS, Bruno Tshibala Nzenzhe.
Kamerhe a beau aller à des dialogues et concertations, rien ne marche pour lui. Marquée au fer rouge par Katumba Mwanke ? La forteresse ne s’ouvre pas pour Kamerhe même s’il entretient de bonnes relations avec des membres de la famille biologique du président. Qui a dit que les carottes peuvent être cuites en politique ? Certes, les carottes peuvent être cuites, elles ne le sont néanmoins pas pour tout le monde. En tout cas pas pour des acteurs de trempe.
Car voilà qu’une présidentielle se prépare fiévreusement et que tous «aujourd’hui plus que jamais», font bloc contre Kabila. Fayulu, Bemba sorti de prison à La Haye, Moïse Katumbi Chapwe, etc. Ces deux derniers interdits de course par une CÉNI aux ordres. Katumbi fut très proche de Katumba. Il n’a pas oublié Kamerhe.
Cet « étranger » - venu de Kinshasa - qui, dans la ville de Lubumbashi où Katumbi est un monarque absolu, ose l’affronter publiquement et l’humilier sur ses terres ! Président de l’Assemblée nationale élu fin décembre 2006 et qui doit encore faire ses preuves, Kamerhe atterrit sur la piste de la capitale du mondiale du cuivre et du cobalt. Il a été désigné pour représenter le Président de la République aux festivités de l’indépendance le 30 juin 2007.
Ce Kamerhe du lointain Kivu estime qu’il lui revient à lui et à nul autre, à son titre de représentant personnel du Président de la République, non de se précipiter à aller s’asseoir à la tribune d’honneur, mais de passer les troupes en revue, d’être accueilli par le gouverneur au pied de la tribune au terme de ce passage des troupes. Un air déjà de Président... avant l’heure ! Le roi du Katanga oppose un refus catégorique.
IL AFFRONTE LE ROI SUR SES TERRES.
Le début des cérémonies attendra tant que l’accord n’aura pas été trouvé entre les deux hommes. Le roi reste dans son palais, attendant un règlement de la crise. Spécialiste de la parade, Kamerhe s’éloigne. Il fait intervenir le Président de la République. Députés et membres de la délégation, avec Augustin Katumba Mwanke qui fut gouverneur ici sous Mzee, nous assistons inquiets à la bagarre. Quand Moïse apparaît, debout, dans la limousine réhabilitée ayant appartenu autrefois à l’autre roi du Katanga, l’autre Moïse (Tshombe), nul ne sait comment l’affaire s’est négociée.
Dans la course pour cette présidentielle de novembre 2018, Kamerhe a réussi un autre exploit : se faire adouber aux diverses rencontres anti-Kabila qui recherchent, sous une médiation internationale, un candidat commun susceptible d’affronter avec succès le dauphin de Kabila, les pays de la région, reprenant des thèses occidentales (l’Amérique de Trump veille, elle, qui a fait venir à Kinshasa sa représentante aux Nations Unies Nikki Halley revêtue d’un titre d’envoyée spéciale de Trump avec un message sans équivoque) ont juré de ne plus voir Kabila tenter de se succéder à lui-même. L’initiative qui consiste à faire barrage à Kabila ou à un quelconque membres de son cercle, est menée par un team d’organisations sud-africaines qui, soudain, se trouve en rupture de fonds. Qu’importe !
D’autres milieux anti-Kabila - le collectif des miniers très décidés - prennent la relève, mettent la main à la poche et, début novembre 2018, la rencontre de Genève a lieu. Attiré dans les filets, Kamerhe n’est pas au bout de ses peines. Le séducteur hors pair n’a vu venir aucun coup quand il lui est assuré que c’est lui et lui seul qui serait désigné candidat commun. Par un curieux vote - en l’espèce, tout sauf un mode de sortie de crise - ce candidat sera l’homme le plus faible du groupe, Martin Fayulu Madidi qui a promis que s’il était élu Président, il organiserait des nouvelles élections dans les deux ans de son pouvoir et s’en irait. Pour le remettre à ses mentors que la CÉNI a, à tort ou à raison, invalidés!
Plébiscité président du Rassemblement après le décès de son père, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui aurait dû logiquement lever cette candidature commune, a aussi été roulé dans la farine. Colère et deuil parmi ses proches qui n’avaient jamais envisagé une autre candidature que la sienne et qui annoncent, bien avant que la nuit ne tombe, ce même 11 novembre 2018, le retrait de l'accord de Genève et, aussi incroyable que cela, Kamerhe qui a senti le vent souffler, l’a rejoint. La donne a changé.
Ainsi naît, le 23 novembre, à Nairobi, sous l’égide du président kenyan Uhuru Kenyatta, la plate-forme électorale CACH, Cap pour le Changement, que consolident à Kinshasa, des personnalités clés et qui va porter Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo au pouvoir. Kamerhe a-t-il sous-estimé le fils du Sphinx que des observateurs disent qu’il porte 90% de l’ADN politique de son père ? À voir sa posture après sa nomination comme Directeur de cabinet du Président de la République, tout porte à le croire. À la Cité de l’Union Africaine où le Président a élu domicile, le Chef de l’État n’a pas accès à ses appartements et ne peut en sortir sans être vu, approché, voire invité par ce DirCab très entreprenant qui a déménagé lui aussi du Palais de la Nation et a pris ses quartiers dans un salon de la cité de l’UA qui donne aux appartements présidentiels. Là, il fait défiler en nombre ses premiers invités. Des dirigeants d’entreprises publiques et privées qu’il raccompagne à la sortie du bâtiment, comme s’il était le maître des lieux. Cela dit, c’est certainement signe de classe apprécié. Si le DirCab n’est pas une entité constitutionnelle, cela ne l’empêche pas d’affréter des jets privés avec femme et enfants et de poster au monde des photos du paradis. En public, il prend la main ou tient l’épaule du Président et le message est sans équivoque : à la Présidence de la République, il y a un couple...
De même, il se dispute sinon cette présidence, du moins, la préséance avec le Chef de l’État, faisant de l’officier d’ordonnance l’homme qui a mission de protéger le couple, le Président et son DirCab. Dans la ville haute, on s’alarme et le protocole se fait incendier à chaque fois que l’avion présidentiel atterrit et que le Président emprunte la passerelle non avec le militaire dans le dos mais avec le DirCab comme si le garde du corps armé se trouvait là pour assurer la protection des deux hommes.
Quand il sent que le couple, dans la perception publique, bat de l’aile en voyant le Président ne plus l’associer à des événements, Kamerhe monte au front des médias, affirme qu’il n’est pas un DirCab « comme un autre ». « Je suis d’abord le partenaire du Président de la République».
Quand la suspicion s’enfle, il pousse le dysfonctionnement jusqu’à produire, devant caméras, le drapeau du pays planté, un compte-rendu d’une rencontre ayant réuni loin des ors de la République, le Président et son prédécesseur... Le message est le même qui passe auprès des partenaires : admirez cette proximité et tirez-en les conclusions qui s’imposent. « Je ne l’ai jamais retoqué et il ne m’a jamais retoqué...», assure-t-il.
Lors de la publication fin août 2019 au petit matin du gouvernement Sylvestre Ilunga Ilunkamba, il s'est planté à gauche du porte-parole, les yeux collés sur une copie de l’ordonnance présidentielle, s’assurant, lui-même, que la lecture est bien faite. Quel message cherche-t-il à passer ?
Ce CACH légitimé qui a porté le fils du Sphinx au pouvoir, n’a pu exister du fait de Kamerhe, dont le nom revient de temps à temps dans certaines bouches, n'a jamais été en réalité rien d'autre que l’ombre de lui-même. Plus tard, ce sera le même clash avec le fameux PCR, Pacte pour un Congo Retrouvé, présenté en grande pompe, le 24 janvier 2024, dans l'énorme salle Le Capitol de l'hôtel 5 étoiles Kin Plaza Arjaan by Rotana, sorti d'on ne sait quel cerveau mais qui réunit plusieurs regroupements politiques et semblait porter un projet et qui vole en éclats le soir de son annonce du fait d'une hallucinante communication de Kamerhe qui faillit faire faire des AVC à ses partenaires incapables pendant des semaines de mettre le nez hors de chez eux.
Voyant la présence d’hommes d'envergure pouvant l’effacer, cherche-t-il à tout prix s’assurer qu’il n'existe personne d'autre en dehors de lui et que face au Président, cela est mieux ainsi ? C’est là sous Tshisekedi que Kamerhe commence un nouveau chemin de croix.
Il peut compter sur l’Est, sur le Sud et le Nord Kivu comme sur une armée numérique d’Amazones acquises voire aller à l’étranger où il enfile des amis Chefs d’État et vante une amitié avec un certain Michel Rocard sauf que la politique ne ressemble ni à l’église, ni à une fratrie.
Le roi est mort, vive le roi. S’il y a de la douleur à voir partir le roi, il y a, dit-on, de la joie à voir l’immortalité du pouvoir d’État. Qui contesterait à l’UNC cette loi et refuserait de reconnaître le nouvel homme qui y surgirait comme le firent ces anciens Français qui hésitèrent à reconnaître Philippe de Valois comme successeur de Charles le Bel ?
Début avril, au lendemain de l’arrestation de Kamerhe ordonnée par le procureur Kisula, le Président reçoit des membres de la direction du parti de Kamerhe et des femmes de ce parti. Vendredi 19 juin, veille du verdict du procès de Kamerhe, le Secrétaire général a.i de l’UNC, l’un de ses beaux-frères, Aimé Boji Sangara Bamanyirue, a, devant des médias, des mots incisifs : « La coalition CACH se porte très bien. La mission classique reconnue à tout parti politique a toujours été la conquête du pouvoir, son exercice et sa conservation le plus longtemps possible et de façon la plus démocratique. Désormais, l’UNC se donne cette mission de conserver, le plus longtemps possible, le pouvoir acquis avec le concours de ses partenaires de CACH ».
Puis : « Si l’étape de la conquête a été parsemée d’embûches, celle de la conservation et de l’exercice ne l’est pas moins. J’en appelle au sens de responsabilité de chacun de nous...».
Entre-temps, que des UNC élevés, par des ordonnances présidentielles, à des postes de dirigeants d’entreprises du portefeuille de l’État, des services publics, etc. ! Si, au lendemain de l’annonce de l’emprisonnement de cet homme, divers propos menaçants ou désacralisants ont rempli la Toile, ils paraissent depuis s’être évanouis. Sauf accident, nul ne voit un seul ministre UNC inscrire son nom sur une liste de candidats au départ. Il en sera ainsi. Depuis, Kamerhe a retrouvé incroyablement son marteau de son seul fait. Les attaques elles, n’ont jamais été aussi folles montées depuis des chambres noires et alors que des pétitions fusent de toutes parts dont l'une dépasse la ligne de crête et atteint 260 signatures sur les 500 députés visant à le déchoir. L'objectif est atteint. Cette fois, Kamerhe n'a pas trouvé des fortifications derrière lesquelles il pourrait se battre des mois durant comme il le fit sous Kabila. Le 22 septembre 2025, il dépose sa démission. A-t-il évité un débat qui serait suivi d'une scène de boa éventré? Quel sort attend demain cet homme dont les prises de position et les actes posés n’ont cessé de montrer une liberté et une indépendance gênantes ? (...).
Extraits de l’ouvrage :Une Histoire du Congo, de Mobutu à Tshisekedi, Ce que je sais, Paris, Tryphon Kin-kiey Mulumba.