- mer, 24/09/2025 - 15:30
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES. Le Soft International N°1645 | MARDI 23 SEPTEMBRE 2025 |
Nul ne sait ce que les enquêtes ouvertes par les Services donneront comme conclusions quand des médias et des influençeurs sur les réseaux sociaux disent avoir aperçu une tentative d’attentat contre le président de la République.
Le grave incident intervenu à Kinshasa dans la nuit de mercredi 10 à jeudi 11 septembre 2025 à l'Aéroport International de N'djili aux environs de 02:00' avec l'interruption de fourniture du courant électrique par la Snél et l'échec de la prise en charge des groupes électrogènes qui a plongé la tour de contrôle et la piste d'atterrissage dans un black-out total provoquant la diversion sur la piste de Maya-Maya à Brazzaville de trois vols internationaux et un retard d'atterrissage d'une dizaine de minutes de l'avion présidentiel à bord duquel se trouvait le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo de retour d'une visite d'État au Kazakhstan, a conduit à l'interpellation de hauts cadres de la direction générale de la Régie des Voies Aériennes-Société Anonyme, RVA-SA, en tête le directeur général Léonard Ngoma Mbaki et le commandant de l’aéroport Vicky Lutshaka Lundula. L'atterrissage de l'avion DRC 001 estimé à 02:27' locales, a eu lieu à 02:38', un retard de 11 minutes.
Nul ne sait ce que les enquêtes ouvertes par les Services donneront comme conclusions quand des médias et des influençeurs sur les réseaux sociaux disent avoir aperçu une tentative d’attentat contre le président de la République.
Mais la question est dans toutes les bouches : s'est-il agi d'un attentat, d'une incompétence ou d’une irresponsabilité des responsables de la RVA-SA? Le directeur général de la RVA-SA a été suspendu de ses fonctions vendredi 19 septembre pour une durée de trois mois par un arrêté de la ministre du Portefeuille, Julie Mbuyi Shiku après que le commandant de l’aéroport Vicky Lutshaka Lundula eût écopé lui, d’une «suspension par mesure d’ordre» signée le 11 septembre par le directeur général pour n’avoir pas obéi à ses instructions.
Selon la lettre du directeur général (n°RVA/DG/2964/2025) datée du 11 septembre basée sur «une analyse préliminaire de cet incident», le commandant de l’Aéroport International de N’djili aurait refusé «d’obtempérer à (ses) instructions pour l’achat de l’inverseur des charges».
Vicky Lutshaka Lundula aurait acquis du matériel de marque Unicompex plutôt que de requérir une pièce Sitele «mieux qualifiée» étant sous-traitant d'Aeronav, la firme qui avait installé les équipements électromécaniques dont quatre groupes électrogènes, les inverseurs de source automatiques, les pupitres de contrôle et de commande. Pire, le commandant aurait, cette nuit-là, « laissé en place un technicien de permanence incompétent qui n’a pas su observer le protocole mis à sa disposition pour activer le mode opératoire du secours inversé».
Selon un rapport préliminaire d'une enquête ordonnée par le professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba, président du Conseil d'Administration et autorité de contrôle de la RVA-SA, conduite en trois jours par deux administrateurs, Charles Ngandu Ndumbi et Raphaël Kapambu Katukonki, présenté et adopté le mercredi 17 septembre lors de la neuvième réunion statutaire de l'année de cet organe, « des défaillances humaines et des défaillances opérationnelles » sont à la base de cet « incident majeur».
Sur « les défaillances humaines », le rapport fait état de « contradiction des techniciens sur le maniement des équipements à cause de l'inobservance de protocole d'utilisation. Quoiqu’avisé par le point focal de la RVA-SA rattaché à la présidence, certains responsables se sont démobilisés quelques heures avant l'arrivée de l'avion présidentiel. Les autorités de la RVA-SA étaient absentes à l'aéroport, elles qui devaient encadrer les personnels à cet effet ».
MATÉRIEL EN OBSOLESCENCE.
Sur « les défaillances opérationnelles », le rapport des administrateurs écrit que «les équipements de secours n'étaient pas en état d'utilisation ; plusieurs correspondances alertaient la Direction Générale sur l'état des équipements sont restées lettres mortes». Le rapport demande au Conseil d'Administration «d'enjoindre la Direction Générale de prendre des mesures correctives en vue d'éviter à l'avenir ce genre d'incidents majeurs». Il appelle les autorités à sanctionner «les agents coupables».
Reste l'état actuel des infrastructures de cet aéroport. Sait-on que N’djili (code IATA : FIH, code OACI : FZAA) fut inauguré le 14 février 1959 dans la banlieue de ce que fut alors Léopoldville aujourd'hui Kinshasa? C'est le Belge Henri Cornelis, Gouverneur Général du Congo Belge et du Rwanda-Burundi, qui en coupa le ruban symbolique.
La piste de cet aéroport alors longue de 4.694 m fut à l'époque une référence planétaire dans l'aviation civile au point que les plus gros porteurs terminaient leur atterrissage et décollaient à mi-piste. Cette piste était et est restée des années durant, la plus longue piste d'envol du monde, faisant tant la fierté du Congo devenu Zaïre sous Mobutu avant de reprendre son nom à la prise du pouvoir le 20 mai 1997 par Laurent-Désiré Kabila.
Conçu par la colonisation belge pour recevoir des avions à réaction qui mettaient l'ex-Léopoldville à 7:30' de vol de la métropole, N'djili était appelé à être un hub aéroportuaire au rayonnement du continent autour duquel les ambitions de développement se cristallisaient avec une compagnie Air Congo (Air Zaïre) dont ce fut le terminal avec 160 pilotes et qui desservait diverses villes du monde. En 1978, la compagnie desservait Kinshasa, Kisangani, Kananga, Mbuji Mayi, Bukavu, Isiro, Goma, Lubumbashi au niveau interne, Entebbe, Nairobi, Dar es Salaam, Bujumbura, Libreville, Douala, Lagos, Lomé, Abidjan et Dakar en Afrique, Athènes, Bruxelles, Londres, Madrid, Paris et Rome en Europe. Et, en 1981, signe de la vision robuste de l'aéroport et de sa compagnie de référence, ce fut 22 destinations internationales.
En soixante-six ans d'existence, a-t-on vu des rénovations ou des améliorations en termes d'infrastructures et de matériels techniques sur cette plateforme aéroportuaire ? Certes, un nouveau terminal international appelé « aérogare modulaire », réalisé par les firmes Alpha-Airport et Sinohydro pour un montant de 79 millions de $US financé par la Banque Africaine de Développement, BAD pour 86% et la Régie des Voies Aériennes, pour 14%, fut inauguré le 25 juin 2015 tout comme une nouvelle tour de contrôle et une caserne anti-incendie. Un terminal équipé de 17 points d'enregistrement et de 2 carrousels de livraison de bagages, conformes aux normes de l'OACI, l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale.
Lors de la cérémonie de lancement, le directeur général de l'époque, Bilenge Abdallah avait annoncé que ce terminal «d’une superficie de 10.000 m2 et d’une capacité d’un million de passagers par an, offrait tous les atouts nécessaires pour le traitement des passagers et des bagages, dans des conditions de confort et de sécurité répondant aux dernières exigences internationales en vigueur». Le terminal équipé d’un parking de 246 véhicules, pouvait accueillir jusqu’à 500 passagers. Il disposait outre cela de deux groupes électrogènes d’une capacité de 800 KW chacun et des véhicules pour l'embarquement et le débarquement des passagers. Mais cette aérogare modulaire n’était que «temporaire», conçu pour ne durer que cinq ans.
À l'époque, Kinshasa avait annoncé dans la foulée «la construction prochaine d'un grand projet», une «aérogare moderne définitive digne d’une capitale d’un grand État, plus spacieuse sur une superficie de 45.000 m2 avec trois terminaux capable de traiter 4 à 5 millions de passagers», vantant la « trilogie » de l’aviation, sécurité, sûreté et confort dans les voyages par avion. Le gouvernement annonçait avec force « un basculement irréversible vers la modernité définitive ».
Mais dix ans plus tard, cette aérogare modulaire reste en place. N’est-elle pas tombée en obsolescence ? L'aéroport vit d’ores et déjà sous des mesures d'exclusion de l'OACI (piste d'atterrissage, caserne de pompiers, sécurité des bagages, risque d'attentats terroristes, etc.) et sa certification par l'OACI comme celle de la Luano (Lubumbashi) ne fait qu'attendre alors qu'elle est chaque fois annoncée comme imminente.
ESPOIRS À l'HORIZON.
Principale porte d'entrée et de sortie du pays, malgré trois ou quatre autres aéroports qui bénéficient de capacités d'accueil international, depuis plus d’un demi-siècle, N'djili n'a jamais été reconçu. Faute à la RVA-SA, société de l'État Actionnaire unique qui en assure la gestion et dispose de capacités financières propres ? Avec un leadership éclairé (une bonne conception de projets portés avec conviction et compétence au niveau de l'État et de bailleurs de fonds), les aéroports du Congo auraient pu se trouver à un autre niveau dans un pays, le deuxième plus vaste d'Afrique après l'Algérie, avec une superficie de 2,35 millions de km², dépourvu d'infrastructures routières et dont le seul moyen de déplacement efficace est aérien.
Qui n'a-t-on pas vu défiler à l'aéroport de N'djili depuis juin 2015 ? Chinois, Français, Qataris, Turques, Américains. Quelles offres n'ont pas été mises sur la table de la RVA-SA ? Désormais, on parle d’un projet de l’entreprise américaine Skidmore, Owings et Merrill, SOM, estimé à 570 millions de $US, avec le maître d’ouvrage, la société Infrarose, présenté mi-juin à Kinshasa à des membres du gouvernement (Transports, Affaires étrangères, Finances, Culture) en présence de l’ambassadeure des États-Unis d’Amérique, Lucy Tamlyn.
Un « projet de la nation, une infrastructure stratégique à la hauteur de l’ambition du pays », avait-on entendu lors de la cérémonie.
À Lubumbashi, c’est la firme turque Summa qui s’active sur la piste de la Luano avec un projet de 8.000 m² qui coûterait 200 millions de $US. La nouvelle aérogare serait capable d’accueillir jusqu’à un million de passagers par an. Le tarmac recevrait quatre avions gros porteurs. Il est prévu un terminal de fret d’une capacité de 5.000 tonnes, un centre de maintenance, un hangar de stockage, une station d’épuration des eaux usées, ainsi que la modernisation des voies d’accès et des installations de sécurité incendie. Les travaux de construction sont prévus pour durer entre 18 et 20 mois. Mais le dossier est encore en examen et validation et une équipe d'experts de la RVA-SA était attendue à Istanbul, siège de la firme en vue d'accélérer les échanges. Il y a aussi l'aéroport de Murongo, à Bunia, dans l'Ituri qu'érige la firme Mont Gabaon Construction et celui de Kolwezi.
Il n’y a pas que les plateformes aéroportuaires (infrastructures et matériel technique) qui posent problèmes à la RVA-SA. Il y a aussi le cadre de travail des agents. Un coup d’œil à des bureaux à sa direction générale sur le site de Ndolo permet d’en savoir sur ce qui est arrivé hier, sur ce qui pourrait arriver aujourd’hui et demain.
Une entreprise de haute sécurité arienne, qui devrait envoyer une haute image d’elle et du pays, réside dans des amas de papiers souvent sans climatisation, sans ordinateur, sans toilette, avec des plafonds effondrés. Un projet d’un nouvel immeuble initié depuis de longues années par la BAD, la Banque Africaine de Développement, soutenu par des fonds IDEF (Go Pass) va peut-être prochainement sortir de terre, plus d’un demi-siècle d’existence plus tard.
Mais en dépit de tout, des avions décollent et atterrissent chaque jour, les passagers embarquent et débarquent à bord des bus allemands ultra-modernes COBUS depuis des halls ou des salons aux normes internationales.
Après l’incident, le professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba, invoquant les attributions statutaires de contrôle de cet organe, est descendu deux fois sur l’aéroport avec des médias afin qu’ils voient de leurs propres yeux, les équipements au sol de l’aérogare et les conditions d’accueil qui sont loin de ce qui écrit ou entendu. Dans un tweet qui fait le buzz, visité par plus de 10.000 personnes en deux jours, il écrit : «Les médias ont l’obligation de s’informer à bonne source et donc à vérifier préalablement ce qu’ils diffusent ou publient sans chercher à faire le buzz».
D. DADEI.