- lun, 08/06/2015 - 13:47
On n’a pas cessé de gloser autour de la nouvelle initiative présidentielle: chacun y va de son commentaire. Pour l’instant, le nombre de personnalités qui a défilé sur le tapis rouge moelleux du Palais de la Nation - siège de la Présidence de la République - montre que la Nation approuve la démarche du Président de la République. Le Congo est majoritairement pour ce dialogue. C’est la première leçon qu’il faut retenir d’une semaine de consultations initiée par le Président de la République qui a accepté de répondre à la demande d’une partie du pays désireuse de consensus à une phase politique cruciale de la vie de la Nation. Celle des élections qui a toujours réveillé nos vieux Démons...
«EVITER LE SUICIDE COLLECTIF».
«Il y a ceux qui veulent dialoguer par vidéo-conférence avec l’abbé Malumalu. Nous, nous voulons dialoguer avec le Président de la République dans le cadre institutionnel républicain», déclare le Dép. (opp.) Clément Kanku Bukasa wa Tshibwabwa (Kasaï Occidental) au sortir de sa rencontre avec le Chef de l’Etat. «Aujourd’hui, le Congo est incapable d’organiser des vraies élections. Elections, glissement, fin de mandat, délais constitutionnels, etc., ne sont que des mots», surenchérit un autre Dép. (opp.), Ne Mwanda Nsemi Badiengela (Kongo Central), au sortir aussi de sa rencontre avec le Chef de l’Etat après avoir sollicité et obtenu un colloque singulier, le tête-à-tête avec le Président de la République. Ne Mwanda Nsemi est l’homme qui faillit mettre le feu aux poudres dans l’alors Bas-Congo alors à la tête de sa secte Bundu Dia Kongo désormais muée en parti politique Bundu Dia Mayala. Les Catholiques que l’on craignait plus ne disent pas autre chose. Encore moins les Protestants avec Mgr Sénateur Pierre Marini Bodho. Ni le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya...
«Il faut éviter le suicide collectif. Nous sommes dans un environnement international fantasque, récessif qui n’est pas favorable à la construction de la paix chez nous. Nous devons nous empêcher de créer d’autres motifs de conflictualité chez nous», explique l’ancien vice-Président de la République en charge du social et de la culture Z’Ahidi Arthur Ngoma, président des Forces du Futur. «Raisonnablement, il n’est pas possible de tenir un tel cycle électoral. D’abord par rapport au facteur temps et budget, mais aussi par rapport aux tensions résultant de toutes ces élections qui peuvent causer d’énormes crises», anticipe un autre ancien Vice-président de la République en charge de la Politique et de la Défense, Azarias Ruberwa Manywa, président du Rassemblement congolais pour la démocratie. «Le RCD considère que le dialogue entre les acteurs politiques est principalement la bienvenue et il n’est pas à confondre avec les concertations nationales qui se sont justifiées en son temps et ont donné des résolutions qui doivent être mises en œuvre. Mais ces concertations n’ont pas abordé le climat politique apaisé attendu pour éviter des tensions et des guerres comme nous en avons au Burundi». Steve Mbikayi Mabuluki, Dép. (opp.), président du Parti travailliste juge «irresponsables» certains de ses collègues opposants qui «répondent précipitamment à l’invitation d’un ambassadeur pour traiter des questions politiques du Congo et refusent de répondre à l’invitation d’un Congolais - Chef de l’Etat - pour parler de questions congolaises».
C’est clair. Le pays veut le dialogue. Le pays veut préserver la paix chèrement acquise. Le Congo sait que sans le dialogue politique, sans la paix des cœurs, il n’y a pas de place à la stabilité, pas de place au développement. Les succès économiques que le Congo pourrait engranger ne seraient qu’illusion. L’exemple libyen - une Libye qui fut la caisse des pétrodollars, un pays désormais sans - est dans les mémoires...
LE PEUPLE DEPOSSEDE.
«Je ne saurai m’inscrire dans des calculs machiavéliques d’un opposant qui poursuit un objectif personnel, veut régler un compte avec ses amis», accuse Clément Kanku Bukasa wa Tshibwabwa, satisfait d’avoir rencontré le Président Kabila.
«Si vous avez un vieux véhicule, qui ne vous donne aucun rendement, croyez-vous que changer de chauffeur fera démarrer le véhicule? Il vous faudra tout au contraire revoir l’état du véhicule...», explique Ne Mwanda Nsemi.
Ce dialogue qu’entreprend d’organiser le Chef de l’Etat sera fondateur de nouveaux concepts, d’une nouvelle éthique de travail - une nouvelle République - ou ne sera pas. Avoir un pays qui a tout (espace géographique, position géographique stratégique, sous-sol regorgeant de tout, massif forestier tropical de la planète après l’Amazonie, démographie qui manque à certains, etc.) donne des responsabilités.
Voter, aller aux élections est inscrit dans nos Constitutions.
Il faut tenir les élections, cela va sans dire. Mais la parole du peuple n’a jamais rien réglé dans nos pays certes mais aussi dans nombre d’autres, dont ceux où le scrutin fait partie de l’histoire...
En France, «le Traité constitutionnel européen fut lu, commenté, analysé en 2005. Une culture juridique partagée s’est déployée sur internet, les incompétents ont affirmé une certaine compétence et le texte a été rejeté. Mais on sait ce qu’il advint! Finalement, le traité a été ratifié sans être soumis au peuple, au nom de l’argument: l’Europe est une affaire pour les gens compétents dont on ne saurait confier la destinée aux aléas du suffrage universel», explique le philosophe Jacques Rancière.
REPENSER LA POLITIQUE.
Puis: «Dans son principe, comme dans son origine historique, la représentation est le contraire de la démocratie. La démocratie est fondée sur l’idée d’une compétence égale de tous. Et son mode normal de désignation est le tirage au sort, tel qu’il se pratiquait à Athènes, afin d’empêcher l’accaparement du pouvoir par ceux qui le désirent. La représentation, elle, est un principe oligarchique: ceux qui sont ainsi associés au pouvoir représentent non pas une population mais le statut ou la compétence qui fondent leur autorité sur cette population: la naissance, la richesse, le savoir ou autres. Notre système électoral est un compromis historique entre pouvoir oligarchique et pouvoir de tous: les représentants des puissances établies sont devenus les représentants du peuple, mais, inversement, le peuple démocratique délègue son pouvoir à une classe politique créditée d’une connaissance particulière des affaires communes et de l’exercice du pouvoir. Les types d’élection et les circonstances font pencher plus ou moins la balance entre les deux.
L’élection d’un président comme incarnation directe du peuple a été inventée en 1848 contre le peuple des barricades et des clubs populaires et réinventée par de Gaulle pour donner un «guide» à un peuple trop turbulent. Loin d’être le couronnement de la vie démocratique, elle est le point extrême de la dépossession électorale du pouvoir populaire au profit des représentants d’une classe de politiciens dont les fractions opposées partagent tour à tour le pouvoir des «compétents».
Sans rien remettre en cause, le dialogue doit conduire à repenser nos fondamentaux, refaire nos logiciels mais cela suppose une prise de conscience générale - un consensus - au risque de détruire ce qui existe.
MARC JOURDIER.